2e édition de l’Observatoire des forêts françaises : assurer une meilleure efficacité de l’action publique et renforcer la résilience de l’écosystème forestier
Par : Sophie Sanchez
Carte de sensibilité effective de la végétation aux feux d’été pour les projections du RCP 4.5 à l’horizon 2025 – (ONF – Météo France – Observatoire des forêts françaises – mai 2025)
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Le ministère de la Transition écologique a présenté mardi 6 mai 2025 la 2e édition de l’Observatoire des forêts françaises, coordonné par l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). La nouvelle version de ce « portail de référence de la connaissance et des données forestières », dont la création remonte à 2023, vise à « assurer une meilleure efficacité de l’action publique en matière forestière et à renforcer la résilience des écosystèmes forestiers », a expliqué Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique au cours d’une conférence de presse.
L’Observatoire des forêts françaises (OFF) intègrera 60 indicateurs de gestion durable et la contribution de 70 experts, dont celle du Citepa au sein du club Atténuation. Ce site qui favorise le partage de données et le dialogue entre toutes les parties prenantes, doit aussi servir d’aide à la décision pour des politiques publiques visant à préserver les capacités d’absorption du carbone des écosystèmes forestiers, leur biodiversité et leur valorisation économique.
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Contexte
Impact patent du changement climatique sur les forêts
La forêt hexagonale qui s’étend sur 32 % du territoire de l’Hexagone et de la Corse (soit 17,3 M d’ha qui rassemblent au total 11,3 Md d’arbres) et continue sa progression (à raison de 90 000 ha par an), est au cœur de la stratégie française énergie-climat pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050.
Mais l’impact du changement climatique sur les forêts françaises est déjà patent : le volume d’arbres vivants ralentit et leur mortalité augmente, comme l’avait constaté l’Inventaire forestier national (IFN) 2024 publié par l’IGN le 10 octobre 2024. Les perspectives sont sombres : 50 % des forêts sont en risque dans les 50 ans qui viennent, comme l’a souligné l’un des experts présents.
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Doublement de la mortalité des arbres
Évolution de la surface de forêts dégradées (Observatoire des forêts françaises, mai 2025)
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La mortalité des arbres a doublé en dix ans : elle est passée en moyenne de 7,4 millions de mètres cubes (Mm³/an) pendant la période 2005-2013 à 15,2 Mm³/an entre 2014 et 2022, soit 0,5 % du volume total de bois vivant. Or en parallèle, la croissance des arbres a ralenti (- 4 % en 10 ans), pour revenir de 91,5 Mm³/an en 2005-2013 à 87,9 Mm³/an en 2014-2022.
De fait, le dérèglement climatique génère des conditions de vie de plus en plus défavorables pour les arbres (manque d’eau, températures élevées) et la prolifération de « bioagresseurs » (champignons, insectes et bactéries), ce qui se traduit par de nombreuses crises sanitaires (scolytes de l’épicéa, chalarose du frêne, dépérissement du châtaignier, etc.).
En parallèle, les prélèvements d’arbres – autrement dit les coupes – ont été plus nombreux, passant de 47,2 Mm³/an en 2005-2013 à 53,1 Mm³/an en 2014-2022 car il a fallu, entre autres, couper les arbres morts à la suite de la tempête Klaus de 2009 et stopper la prolifération d’insectes ou de bactéries.
Résultat, le bilan net des flux d’évolution du volume de bois sur pied des forêts a été divisé par deux en 10 ans (de 41,7 Mm3/an sur la période 2005-2013 à +19,5 Mm3/an sur la période 2014-2022).
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Moindre absorption du carbone
Le ralentissement de la croissance des arbres entraîne une plus faible absorption du carbone par la forêt française : 39 Mt de CO2 par an en moyenne sur la période 2014-2022 contre 63 Mt de CO2 par an de 2005 à 2013 – alors que les forêts compensent 9 % de nos émissions nationales de gaz à effet de serre (GES).
Absorption de carbone versus stock de carbone
Les forêts jouent un rôle essentiel dans le cycle du carbone terrestre en absorbant et en stockant de grandes quantités de dioxyde de carbone, contribuant ainsi à réguler la température de la planète, comme le rappelle l’Office national des forêts (La forêt : un indispensable pour une planète décarbonée). Les forêts, les arbres mais aussi les sols forestiers, constituent le deuxième plus grand puits de carbone de la planète après les océans. Jusqu’à sa maturité, un peuplement forestier capture du CO2, et participe ainsi à la réduction de la présence de GES dans l’atmosphère. Pour atteindre la neutralité carbone, il est essentiel d’assurer leur sauvegarde et leur régénération.
L’IGN dénombre 11,3 Md d’arbres en 2023, soit un stock de 1 300 Mt de carbone, sachant que le réservoir total de carbone de l’écosystème forestier est estimé à 2,8 Md de t, réparti entre les arbres vivants recensables (45 %), les arbres morts (4 %), la litière qui recouvre les sols (5 %) et la matière organique contenue dans les 30 premiers centimètres du sol (46 %).
Ce stock évolue continuellement en fonction de l’intensité des flux de bois entrants (production) et sortants (mortalité, prélèvements). Lorsque le bilan des flux est positif, le stock de carbone en forêt s’accroît, permettant ainsi de réduire la quantité de CO2 de l’atmosphère. À l’inverse, si le bilan est négatif, le stock diminue et il y a un transfert du carbone des forêts vers l’atmosphère.
Chaque hectare de forêt contient aujourd’hui en moyenne 81 t de carbone dans ses arbres vivants (73 t en 2009), selon l’IGN. Mais l’accroissement biologique a ralenti et les forêts absorbent moins de carbone (La forêt ne peut pas être un puits infini de carbone – Portail IGN – IGN).
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La multiplication des crises sanitaires combinées à des épisodes de forte sécheresse et de canicule freine l’absorption du carbone. Certains massifs présentent d’ailleurs des niveaux de mortalité et de prélèvement – notamment des coupes sanitaires – supérieurs à la production biologique.
Sur la période 2021-2023, au vu de l’indicateur Deperis, la France compte 186 M d’arbres altérés (vivants ou morts sur pied depuis moins de 5 ans), parmi les 2 270 M d’arbres qualifiés, ce qui porte le taux d’arbres altérés à 8 % en moyenne – un pourcentage qui monte à 10 % à plus de 15 % dans le Nord-Est, une région particulièrement touchée. En outre, des traces d’abroutissement, de frottis (frottement des bois des mâles sur la tige) et/ou d’écorçage (consommation de l’écorce) sont présentes sur 29 % des jeunes arbres.
De ce fait, l’augmentation du stock de carbone n’a pas dépassé 17 % entre 2009 et 2023.
Évolution des flux de carbone (Observatoire des forêts françaises, mai 2025)
Évolution du stock de carbone en forêt (Observatoire des forêts françaises, mai 2025)
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Affaiblissement du puits de carbone forestier
Le Haut Conseil pour le climat soulignait déjà dans son rapport annuel 2023 la situation délicate des puits de carbone, ces écosystèmes qui absorbent le CO2 présent dans l’atmosphère. Dans le document 2024, le HCC relevait un « affaiblissement très important du puits de carbone forestier […] fragilisé par le changement climatique », qui entraîne des feux de forêt, de fortes chaleurs, des épisodes de sécheresse et le développement des parasites.
« La mortalité exceptionnelle des écosystèmes forestiers et l’augmentation des prélèvements ont entraîné une division par deux du puits de carbone forestier en France en dix ans. Cette perte de service écosystémique va demander des diminutions d’émissions plus importantes dans les autres secteurs d’activité pour tenir les objectifs d’atténuation de la France », poursuivait le HCC. Le HCC évoquait un « besoin urgent d’un plan de renouvellement forestier » et pointait « un retard particulièrement important pris dans ce secteur ».
À noter à cet égard, dans le cadre du Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC 3), présenté le 10 mars 2025 et qui comporte 52 mesures pour traiter les impacts du changement climatique (lire notre article), deux mesures concernent spécifiquement l’écosystème forestier :
▪ Mesure 7 – se préparer à l’augmentation attendue des incendies de forêt et de végétation ;
▪ Mesure 38 – assurer la résilience des forêts, des services associés et de l’économie de la filière bois.
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Un observatoire renouvelé
Dans ce contexte, la nouvelle édition de l’Observatoire, – coordonné par l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) en partenariat avec l’Office national des forêts (ONF), le Centre national de la propriété forestière (CNPF), l’Office français de la biodiversité (OFB), France Bois Forêt (FBF) et le ministère de la Transition écologique -, se veut un outil pour guider la transformation climatique des forêts et vise à faciliter l’accès aux données et aux connaissances sur l’état et l’évolution des forêts.
Afin de mieux informer sur ces espaces et appuyer la prise de décision, il rassemble des informations de référence sur les grands enjeux actuels de la forêt, ainsi que des cartes et des services innovants pour la connaissance et la gestion des forêts à l’échelle des territoires. Les parcours utilisateurs ont été revus pour faciliter la navigation ; l’accès aux données (synthèses, cartes, infographies et services numériques) est amélioré pour accroître leur réutilisation.
Le portail intègre désormais 60 indicateurs de gestion durable et rassemble un réseau d’expertise forestière multidisciplinaire de 70 personnes.
Avec pour objectifs :
– Mieux connaître pour mieux agir en fournissant des données objectives pour anticiper l’impact du changement climatique ;
– Fédérer l’écosystème forestier autour d’une vision commune et de données partagées ;
– Alimenter un espace de débat où se croisent expertises et points de vue pour une gestion durable et concertée ;
– Informer l’ensemble des acteurs – élus, professionnels, propriétaires forestiers et grand public – pour accompagner les décisions et les actions.
La première version de l’OFF comptait cinq clubs d’experts, espaces d’échanges et de production en commun qui mettent à disposition des contenus et des analyses actualisés sachant que le Citepa fait partie du club Atténuation. La nouvelle version de l’outil s’est enrichie de trois nouveaux clubs sur les thématiques liées aux sols, à la gestion forestière et à l’économie du bois.
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La nouvelle version du portail donne accès à huit clubs thématiques d’experts (Observatoire des forêts françaises, mai 2025)
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L’Observatoire rassemble également des contenus visant à favoriser les politiques de prévention comme sur les risques d’incendie en permettant, par exemple, de simuler les quantités de bois disponibles ainsi que les stocks et flux de carbone et d’avoir accès à des modélisations de la vulnérabilité des essences (ClimEssences).
Surface totale moyenne parcourue par les feux de forêt sur la période 2916 – 2020 (Observatoire des forêts françaises, mai 2025)
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Diagnostics sylvicoles en climat changeant et bonnes pratiques
Page du site ClimEssences qui met à disposition une série d’aides pour le choix des essences dans le contexte du changement climatique (Observatoire des forêts françaises, mai 2025)
Le portail donne accès
▪ aux catalogues de stations ;
▪ pour les sols, au centre de ressources (Association française pour l’étude du sol – AFES) et à l’application mobile For-Eval (qui permet d’évaluer la sensibilité des sols forestiers français à l’aide d’indicateurs écologiques) ;
▪ à BioClimSol, une méthode de diagnostic au niveau de la parcelle et un outil numérique, qui suggère in fine des pistes de recommandations sylvicoles dans un contexte de changement climatique ;
▪ au site ClimEssences proposé par le RMT Aforce (Réseau mixte technologique coordonné par le Centre national de la propriété forestière) qui met à disposition une série d’aides pour le choix des essences (espèces forestières arborées) dans le contexte du changement climatique (fiches espèces sur 37 critères) ;
▪ ainsi qu’à des guides techniques de travaux préservant l’environnement.
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Enfin, le nouveau service « Les forêts de mon territoire », permet d’avoir accès à des données et des indicateurs territorialisés à différentes échelles, notamment sur la quantité et le flux de carbone stocké par les forêts.
Présentation d’une page du service « Les forêts de mon territoire » (Observatoire des forêts françaises, mai 2025)
Le kit d’indicateurs clés-en-main sur un territoire permet ainsi aux élus locaux (comme aux citoyens) de s’informer sur l’état et l’évolution des forêts pour faciliter et éclairer leur prise de décision – superficie forestières, milieu naturel & types de sols, composition en essences, ressource en bois, bois mort, bilan des flux, carbone – et ce à différentes échelles dans les territoires. Il est ainsi possible pour favoriser l’adaptation de recueillir un panel d’options, de se renseigner sur la diversification des essences, les migrations assistées, ou encore les sylvicultures variées.
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En savoir plus
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Inventaire forestier national – memento-2024.pdf