La France apporte un « soutien politique fort » au Giec en accueillant 600 scientifiques venus d’une centaine de pays
Par : Sophie Sanchez

© D.R.
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Dix ans après l’adoption, le 12 décembre 2015, de l’Accord de Paris, où 195 pays s’étaient engagés à maintenir le réchauffement climatique « bien en dessous de 2°C », voire si possible 1,5°C, la France accueille du 1er au 5 décembre à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), près de Paris, plus de 600 scientifiques venus d’une centaine de pays qui contribueront à la rédaction des prochains rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) mandatés par l’ONU.
Cet événement lance formellement le nouveau cycle de travail du Giec, qui actualise tous les cinq à sept ans les connaissances scientifiques sur le changement climatique, et la préparation en l’occurrence du 7e rapport d’évaluation, dont la synthèse est attendue en 2028/2029 – un rapport censé faire référence dans le monde entier sur le dérèglement du climat, menace très directe pour la vie et les écosystèmes.
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Contexte
Alors que le président américain Donald Trump a affirmé que le changement climatique constitue « un canular », la France qui s’est portée candidate pour accueillir cette réunion, cherche, à l’inverse, « à envoyer un message politique fort à l’occasion des dix ans de l’Accord de Paris » et à préserver les engagements pris par les États en 2015 pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre comme l’a martelé le ministère français de la Transition écologique (MTE), sachant que cette manifestation est co-financée par le MTE, le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Recherche.
« Pour la France, accueillir cette manifestation, c’est envoyer un soutien politique très clair aux travaux du Giec qui doivent être la base de l’action contre le changement climatique en France, en Europe et dans le monde. Le Giec doit rester la référence absolue : il s’agit de la parole des meilleurs scientifiques du monde qui nous expliquent à la fois les causes, les conséquences et les solutions vis-à-vis du changement climatique », a ajouté le MTE lors d’un « brief presse » le 28 novembre 2025.
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Un format inédit
Robert Vautard, co-président du groupe numéro 1 du Giec, a rappelé que le Giec doit faire le point tous les cinq à sept ans sur l’ensemble des connaissances scientifiques ou techniques sur le changement climatique – que ce soit sous sa forme physique, sur les questions sociales, les implications pour les écosystèmes et sur l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.
« Le premier meeting d’auteur, c’est un peu le kick-off du cycle, de ce grand rapport d’évaluation, explique Robert Vautard. Il y aura quatre meetings en tout, ce qui tout à fait codifié dans la procédure du Giec, mais c’est le seul qui sera coordonné, puisqu’ensuite, pour des raisons techniques, les rapports doivent être revus séparément pour laisser le temps aux rapporteurs d’en prendre connaissance sachant qu’ils seront prêts en principe entre 2028 et 2029 ».
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« Le langage de l’expertise et de l’universalité »
Dans le cadre de cet évènement organisé dans un centre de conférence à Saint-Denis, 664 personnes sont présentes dont 568 « Lead Authors », c’est-à-dire les auteurs principaux des rapports du Giec (Intergovernmental Panel on Climate Change ou IPCC en anglais). Ceux-ci sont appuyés par les « Coordinating Lead Authors » qui procèdent aux revues scientifiques et les « Chapter Scientists », qui aident à réaliser les figures et à travailler sur les données. S’y ajoutent les membres du bureau du Giec, les co-présidents et les équipes techniques.
Ce faisant, sont rassemblés, comme l’a expliqué Robert Vautard, co-président du groupe de travail numéro 1 du Giec lors du « brief presse », « les meilleurs scientifiques du monde qui ont été sélectionnés par leur pays, apportent leur expertise et arrivent à parler le même langage, le langage de la science fondé sur la raison et la vérité ».
En outre, toutes les nations du monde et tous les continents sont représentés, combinant ainsi l’expertise et universalité. « Le Giec fait un état des lieux des connaissances. Ce qui fait l’unicité de cet exercice, c’est que nous suivons des règles très précises d’inclusivité de toutes les régions du monde et que nous devons couvrir l’ensemble des sujets », a également précisé Robert Vautard.
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De fait, le format de cet évènement est inédit. En effet, pour la première fois, cette réunion rassemble simultanément les auteurs des trois groupes de travail du Giec :
- Groupe de travail I sur les bases physiques du système (les causes du changement climatique) ;
- Groupe de travail II sur les conséquences, l’adaptation et la vulnérabilité (les impacts du réchauffement) ;
- Groupe de travail III sur l’atténuation du changement climatique (les solutions possibles).
La réunion de Saint-Denis doit permettre à ces experts de définir leur calendrier, se répartir le travail et s’accorder sur les méthodes devant aboutir à la publication du 7e rapport d’évaluation.
À cet égard, pour la première fois dans l’histoire du Giec, les Parties n’ont pas réussi à trouver un accord lors de la réunion IPCC de Lima au Pérou qui s’est tenue du 27 au 30 octobre 2025, sur l’année de la publication de ce rapport d’évaluation. Or ce document sera déterminant pour établir le prochain bilan mondial de l’action climat en 2028 : prévu par l’Accord de Paris, ce mécanisme – Global Stocktake en anglais – permet d’évaluer tous les cinq ans les progrès et les efforts collectifs en matière de lutte contre le changement climatique. Mais la publication du rapport en 2028 n’est pas acquise et pourrait être différée à 2029.
En tout état de cause, les experts vont également travailler sur certaines questions complexes et transversales de façon coordonnée et harmonisée afin d’avoir une vision intégrée du système naturel du climat. « Les auteurs peuvent ainsi connaître leurs interlocuteurs dans les autres groupes de travail et établir des mécanismes de collaboration, d’échange de données et de méthodes, d’harmonisation » et envisager sur certains sujets « des solutions transgroupes, transdisciplinaires », détaille Robert Vautard.
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La contribution de la France au Giec
La France participe au financement du Giec avec une contribution volontaire qui est de l’ordre de 1 million d’euros par an, a précisé le MTE. S’y ajoute le soutien financier apporté à l’unité d’appui technique du groupe de travail numéro 1 du Giec, située à l’École normale supérieure Paris-Saclay, dans le sud de Paris.
Cette équipe d’une quinzaine de personnes, qui « appuie notamment le travail de Robert Vautard », est « absolument indispensable au fonctionnement du groupe 1 du Giec », a précisé le MTE.
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Nouveaux chapitres
« Nous avons beaucoup de nouveaux sujets, de nouveaux chapitres, c’est pourquoi nous nous attendons à avoir des résultats vraiment innovants dans nos groupes de travail », s’est aussi félicité Robert Vautard qui en a présenté plusieurs en détail.
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· « Overshoot »
« La question du dépassement de certains seuils de température et du retour vers ces seuils va être, par exemple, une des questions très importantes de ce nouveau cycle de travail du Giec. Comment fait-on pour faire baisser les températures et les faire revenir à un certain seuil ? Cela implique, d’une part, des technologies, des solutions fondées sur la nature, mais fait aussi intervenir une réponse du système climatique qu’on ne connaît pas très bien. Nous devons absolument étudier comment le Système Terre va répondre à des températures qui baissent, ce qui implique aussi de s’accorder sur des scénarios communs. Ces trajectoires-là vont être mises en valeur dans l’étude scientifique et toutes les conditions qui viennent avec ».
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· « Techniques d’élimination du dioxyde de carbone »
« Dans le groupe 3, nous avons également des chapitres nouveaux, par exemple le chapitre 15 sur les méthodes d’élimination du CO2. Il y avait déjà des éléments dans le rapport précédent, mais il s’agit là vraiment d’un chapitre à part, car ces méthodes et la science qui porte sur ces méthodes a mûri. Ce chapitre sera intégré dans la partie technologique. C’est aussi pour cette raison que nous avons besoin de coordination entre le groupe 3 et le groupe 1, par exemple ».
« Il est normal dans le domaine scientifique qu’il y ait des questions pour lesquelles il n’y a pas de réponses absolument fermes. Des questions sur la possibilité, par exemple, de mise à l’échelle de ces technologies, et l’économie qui va être sous-jacente à ces technologies, [les sources] pour les financer ».
« Nous allons aborder aussi le sujet de la réponse, là encore, du Système Terre au déploiement, plus généralement, de ce qu’on appelle « les émissions négatives ». Nous ne savons pas encore bien si le Système Terre va être un peu collaboratif ou ne va pas collaborer. Il faudra bien sûr des méthodes d’élimination du CO2 pour arriver à « des émissions négatives ». Mais il faudra aussi une réduction très importante des émissions actuelles de gaz à effet de serre et particulièrement du CO2. Nous n’arriverons pas à des émissions négatives uniquement avec des technologies d’élimination du CO2. »
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· Géo-ingénierie
« Nous allons également parler des technologies de géo-ingénierie, la modification du rayonnement solaire notamment, de ce qu’elles impliquent, à la fois en termes de risque, mais aussi de conséquences pour le Système Terre. Est-ce qu’il y a une forme de réversibilité ou non sur ces technologies ? Il ne nous appartient pas, je dirai, en tout cas dans le groupe 1, de savoir si ces techniques sont bonnes ou mauvaises, mais simplement, de de simuler des scénarios avec ces technologies-là, et de voir quelles en seraient les conséquences. Aujourd’hui, de plus en plus d’études sont faites sur les conséquences de cette technologie. Dans le groupe 1, nous nous devons autant d’en évaluer les conséquences en termes de physique du climat, au même titre que pour tout ce qui est fait sur la Terre. »
« Ensuite, le groupe 2 va s’attacher à examiner des questions plus complexes et liées aux risques pour les systèmes vivants et pour les systèmes humains et aussi aux questions éthiques autour de ces questions de modification du rayonnement solaire ».
« Le groupe 3 n’en parlera pas parce que la modification du rayonnement solaire, d’une manière générale, n’est pas une technique d’atténuation à proprement parler [permettant la réduction] des émissions de gaz à effet de serre. »
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· Information climatique
« Nous avons également un chapitre dédié au service climatique, à l’information climatique sachant que l’on constate de très grands progrès dans l’utilisation des données climatiques pour l’adaptation, pour l’éducation, etc. Ce nouveau chapitre porte sur la manière dont ces informations là sont utilisées dans le monde. »
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Des données plus étoffées sur des régions autres que les régions tempérées et des résultats plus détaillés au niveau régional
« Le 7e rapport pourra s’appuyer sur des données plus étoffées sur des régions autres que les régions tempérées, explique par ailleurs en substance Robert Vautard. Bien sûr, il faudra attendre le résultat de l’évaluation réalisée par les équipes scientifiques, chaque chapitre ayant son équipe. Mais il est clair que beaucoup d’études ont été faites sur des régions qui n’étaient pas couvertes jusqu’alors, et particulièrement l’Afrique, la partie australe de l’Afrique et l’Afrique centrale. Nous devrions avoir ces informations là et dans tous les cas, nous mettrons à jour notre atlas dans le groupe 1 du Giec qui est extrêmement populaire, [puisqu’il génère] des milliers de connexions. »
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Au-delà, de manière générale, interrogé concernant une éventuelle sous-estimation du réchauffement climatique, Robert Vautard assure qu’« il n’y a pas de sous-estimation au niveau mondial. Les températures actuelles dans leur domaine de variabilité sont à peu près conformes aux projections déjà réalisées dans les années 70/80, avant même l’existence du Giec, et qui donnent une assez bonne idée de ce qu’on attendait pour aujourd’hui. Il n’y a pas de sur-estimation, ni de sous-estimation au niveau global des températures.
« En revanche, poursuit-il, il se peut qu’il y ait une forme de sous-estimation dans certaines régions du monde. En réalité, on ne sait même pas si c’est une réelle sous-estimation ou si c’est une forme de variabilité qui a pris le dessus, indique-t-il. Ce qui est clair, c’est qu’en Europe de l’Ouest, les vagues de chaleur, jusqu’à aujourd’hui, ont augmenté plus fortement que dans la plupart des modèles – mais ce n’est pas le cas pour les températures moyennes, les températures d’hiver. Au niveau mondial, les observations et les simulations [sont cohérentes]. En revanche, quand on regarde dans le détail, au niveau régional, il peut y avoir des différences qui sont encore à l’étude, mais que l’on commence justement à comprendre de mieux en mieux. Dans le 7e cycle, nous allons avoir, explique-t-il en substance, des résultats plus détaillés au niveau régional. »
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Les chercheurs américains bien présents
« Ce qui fait l’importance et l’autorité des rapports du Giec, c’est qu’ils sont aussi agréés à l’unanimité par les gouvernements qui en sont membres. Les textes sont à la fois en accord avec l’ensemble des résultats scientifiques et en accord sur la formulation des résumés, particulièrement le résumé pour les décideurs, avec les représentants de tous les pays membres du Giec », rappelle Robert Vautard.
À cet égard, les groupes d’auteurs américains sont bien présents à Paris, en dépit du fait que Donald Trump a annoncé le retrait de son pays de l’Accord de Paris, qui sera effectif en janvier 2026. « Le groupe d’auteurs américains dans les différents groupes de travail est tout à fait comparable en termes de nombre et d’expertise de haut niveau à ceux des cycles précédents, constate-t-il. C’est la procédure de nomination qui a été différente. Elle n’a pas été réalisée par le gouvernement américain, mais par des observateurs. Comme prévu par les procédures du Giec, les auteurs peuvent être nommés par le bureau, les gouvernements, ou encore par les organisations observatrices. »
Pour autant, les États-Unis étant membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), peut-on craindre qu’ils entravent le travail du Giec ? « Il faut rappeler que le Giec fonctionne par consensus, et si un pays, quel qu’il soit, s’oppose au compte rendu, le compte rendu ne peut pas être approuvé. Chaque pays a une sorte de droit de veto. Néanmoins, si ce pays est isolé, il y a des procédures pour approuver tout de même tout en signalant qu’un pays ou qu’un groupe de pays n’est pas en accord et les raisons qui le justifient », indique-t-il.