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Brexit : Le Royaume-Uni et la politique climat-énergie

  • Réf. : 2016_07_a1
  • Publié le: 1 juillet 2016
  • Date de mise à jour: 3 juin 2019
  • UE

Chiffres clés

2e plus forte économie de l’UE [après l’Allemagne] ( source Banque Mondiale, 2016 ).

Part dans les émissions mondiales de GES (2012) : 1% [France : 1%, Allemagne : 2%] ( source : JRC/PBL, 2014 ).

2e Etat membre émetteur de GES [523,7 Mt CO 2 e en 2014 (hors UTCATF) après l’Allemagne (900,2 Mt CO 2 e). France : 458,9 Mt CO 2 e] , soit 12% du total de l’UE.

Le Royaume-Uni a réduit ses émissions de GES sur la période 1990-2014 de 34,3% [UE-28 : -24,4%, France :      -16,3, Allemagne : -27,8] ( source : AEE, rapport d’inventaire de l’UE, 21/06/2016 ).

Objectifs nationaux de réduction des émissions de GES :

2025 : -50% (base 1990) 4e budget carbone 2023-2027.

2030 : -57% (base 1990) 5e budget carbone 2028-2032.

2050 : -80% (base 1990) [loi sur le changement climatique ( Climate Change Act ) 2008)] .

Accord de Paris non encore ratifié.

Nombre de voix au Conseil de l’UE : 29 sur 352 [même nombre que la France, l’Allemagne et l’Italie], soit 8%.

Nombre de députés au Parlement européen : 73 sur 751, soit environ 10% [France : 74, Allemagne : 96] .

Conséquences

L’UE va perdre un Etat membre qui a joué un rôle moteur dans l’élaboration de la politique européenne climat-énergie ces dernières décennies, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur la dynamique de cette politique, en affaiblissant son ambition à l’avenir.

Sans les 8% de voix du Royaume-Uni, le centre de gravité au sein du Conseil de l’UE pourrait se déplacer vers l’est, et notamment au sein du groupe de Visegrad composé d’Etats membres rétifs à une politique européenne climat forte [Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie] . Sans le Royaume-Uni, la force relative des Etats membres partisans d’une politique ambitieuse [France, Allemagne, Suède,…] sera affaiblie.

Autre incertitude : le Royaume-Uni maintiendra-t-il sa position de moteur au sein du Conseil pendant la période de négociations de sa sortie ? Dans ce contexte, ses arguments et son point de vue auront sans doute moins de poids.

Le Brexit pourrait également avoir des répercussions au niveau mondial. En effet, les négociateurs britanniques ont souvent joué un rôle clé au nom de l’UE dans le cadre des négociations de la CCNUCC. Cette contribution, et l’influence qui en résultait, ne seront plus possibles, une fois le Royaume-Uni en dehors de l’UE. Le Royaume-Uni va-t-il suivre l’exemple de la Norvège et de la Suisse qui, très souvent, se sont rangés du côté de l’UE sur les grandes questions au sein des négociations climat ?

4e période du SEQE  : Ian Duncan, eurodéputé britannique et rapporteur sur la réforme structurelle du SEQE [proposition de directive révisant la directive Quotas 2003/87/CE pour la 4e période d’échange (2021-2030)] (lire notre article sur ce sujet) a démissionné de ce poste le 24 juin 2016, après la décision sur le Brexit. Ian Duncan menait les négociations au sein du Parlement européen (PE) sur cette proposition législative. Il préconisait surtout une approche à quatre niveaux (plus ciblée que celle à deux niveaux initialement proposée par la Commission) visant à réaliser de plus fortes réductions de GES par une répartition plus efficace des quotas ( source : ENDS Europe Daily du 24 juin 2016 ). Cependant, à la demande de la Commission Environnement du PE, Ian Duncan a finalement accepté, le 6 juillet 2016, de poursuivre son travail de rapporteur à titre provisoire [en attendant toute modification des règles sur les eurodéputés britanniques] afin de respecter le calendrier prévu [vote sur la proposition en Commission Environnement du PE le 8 décembre 2016] .

Secteurs hors SEQE  : il va falloir redéfinir, parmi les Vingt-sept [et non plus parmi les Vingt-huit], la répartition des efforts de réduction des émissions de GES dans les secteurs hors SEQE pour permettre la réalisation de l’objectif de réduction de 30% en 2030 (base 2005) [approuvé par le Conseil européen des 23-24 octobre 2014 pour contribuer à la réalisation de l’objectif de réduction global pour l’UE de 40% en 2030 (base 1990)] . La Commission doit présenter sa proposition de décision dite ESD (effort-sharing decision) le 20 juillet 2016.

Plusieurs questions se posent désormais, auxquelles Londres et Bruxelles devront apporter des réponses :

  • quel impact le Brexit aura-t-il sur l’Accord de Paris ? Va-t-il retarder sa ratification par l’UE ?
  • le Royaume-Uni le ratifiera-t-il à titre individuel ?
  • le Royaume-Uni va-t-il décider d’élaborer une (I)NDC ? ou bien souhaiterait-il plutôt s’associer à celle de l’UE à l’instar de la Norvège et de l’Islande ?
  • quel rôle le nouveau Premier Ministre souhaitera-t-il jouer dans les négociations climat de la CCNUCC ?
  • quel groupe de pays le Royaume-Uni rejoindra-t-il dans les négociations de la CCNUCC : le groupe Ombrelle [groupe flexible de pays développés hors UE (Canada, Australie, USA, Norvège, Russie, Islande, Japon, Nouvelle-Zélande, Ukraine)] ou le groupe de l’intégrité environnementale [Suisse, Mexique, Corée du Sud, Monaco, Liechtenstein] ?
  • le Royaume-Uni sera-t-il obligé de renégocier sa participation aux traités internationaux [Protocole de Montréal, CCNUCC,…] ?
  • quel impact le Brexit aura-t-il sur l’ambition de l’UE en matière de politique climat-énergie, et surtout sur l’objectif de réduction des émissions de GES de l’UE de 40% [l’engagement de l’UE au titre de l’Accord de Paris (INDC)] . Sachant que le Royaume-Uni a apporté une contribution importante (-34,3%) à la réduction totale réalisée par l’UE sur la période 1990-2014 ( source : AEE, 21/06/2016 ), il sera plus difficile d’atteindre l’objectif 2030 pour les Vingt-sept qui devront donc sans doute consentir davantage d’efforts de réduction pour compen-ser les réductions réalisées jusqu’ici par le Royaume-Uni .
  • comment les liens du Royaume-Uni avec le SEQE vont-ils évoluer ? Plusieurs analystes financiers sont d’avis que le Royaume-Uni continuera à participer au SEQE à l’instar de la Norvège, de l’Islande et du Liechtenstein. Le Royaume-Uni joue un rôle important dans le SEQE : les producteurs d’électricité britanniques sont parmi les plus grands acheteurs de quotas. Sa participation à ce système post-Brexit dépendra de l’issue des négociations de sortie avec l’UE.
  • quid de la future Présidence britannique du Conseil de l’UE, prévue, hasard du calendrier, au 2 e semestre 2017 ? C’est la décision 2007/5/CE du Conseil qui a fixé les Présidences du Conseil sur la période 2007-2020.

Rôle historique

Partisan convaincu d’une action ambitieuse au niveau de l’UE, le Royaume-Uni, aux côtés de la France et de l’Allemagne, a donné une forte impulsion à la politique climat-énergie ces 20 dernières années. Il a surtout préconisé une approche basée sur le marché pour aider l’UE à atteindre ses objectifs climat [au titre du Protocole de Kyoto] via un marché carbone fort et robuste.

C’est le Royaume-Uni qui a lancé, en avril 2002, le premier système national d’échange de quotas d’émission de CO 2 sur la base d’une participation volontaire, afin de tester ce concept. Ce prototype préfigurait le système européen (SEQE) lancé en 2005. Ainsi, l’UE s’est largement appuyée sur le systèm e britannique pour concevoir le SEQE. Par ailleurs, le Royaume-Uni était un Etat membre clé de la majorité au sein du Conseil Environnement qui a permis l’adoption de la directive Quotas [2003/87/CE] en 2003.

A l’initiative du Gouvernement britannique, une table ronde s’est tenue les 15-16 mars 2005 à Londres sur l’énergie et l’environnement (1) . Ce forum a réuni, pour la 1ère fois, les Ministres de l’Energie et de l’Environnement des pays développés et des pays en développement fortement consommateurs d’énergie : 20 au total [pays du G8 + Espagne, Chine, lnde, Brésil, Afrique du Sud, Mexique, Australie, lndonésie, Corée du Sud, Nigeria, Pologne et Iran] .

C’est sous l’impulsion de l’ancien Premier Ministre britannique, Tony Blair que, pour la 1ère fois, en 2005, le changement climatique constituait un des deux sujets en tête de l’ordre du jour [avec l’Afrique] du sommet du G8 [du 8 juillet 2005 à Gleneagles] . Il a également été à l’origine de l’initiative d’inviter aux discussions les Chefs d’Etat de cinq grands pays émergents et grands émetteurs de GES [Afrique du Sud, Brésil, Chine, Inde, Mexique] (2) .

Le Gouvernement britannique a introduit, le 1 er avril 2013, un prix plancher sur les quotas CO 2 pour contrebalancer la faiblesse des prix des quotas dans le SEQE.

Le Royaume-Uni est à l’initiative de la création, le 28 octobre 2013, du Groupe ministériel pour la croissance verte ( Ministerial Green Growth Group ) qui rassemble les Ministres de 13 Etats membres ayant une vision commune sur le sujet [Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Espagne, Pays-Bas, Belgique, Portugal, Suède, Danemark, Finlande, Slovénie et Estonie], et représentant 60% des voix au Conseil de l’UE. La mission de ce groupe est de propulser l’UE vers une économie à faibles émissions de GES, en stimulant les investissements et politiques bas carbone. Dans leur vision bas carbone, les 13 Ministres ont préconisé trois actions prioritaires pour l’UE : se mettre d’accord sur un cadre politique climat-énergie 2030 ambitieux, réformer la structure du SEQE et convaincre l’UE de proposer un objectif de réduction ambitieux au sommet des dirigeants sur le climat [New York, 23 septembre 2014]

Malgré l’opposition de certains autres Etats membres, le Royaume-Uni s’est prononcé à plusieurs reprises pour un objectif de réduction contraignant des émissions de GES de l’UE de 50% à l’horizon 2030 (lire notre article sur ce sujet),en amont de l’adoption des objectifs climat-énergie pour 2030 [objectif de 40% approuvé par le Conseil européen des 23-24 octobre 2014] .

En 2015, le Royaume-Uni, aux côtés de l’Allemagne et de la France, a été très proactif dans les négociations au sein du Conseil Environnement pour parvenir à un accord sur la proposition de décision relative à la mise en place et au fonctionnement d’une réserve de stabilité du marché (MSR) pour le SEQE (lire notre article sur ce sujet), notamment en préconisant d’avancer la date de mise en opération de la MSR à 2017, soit quatre ans avant l’échéance initialement proposée par la Commission (2021). Face à l’opposition ferme de plusieurs Etats membres de l’Europe de l’Est (Pologne en tête), les trois pays leaders ont tenu tête et obtenu un compromis (2019) ( source : ENDS Europe Daily du 20 octobre 2014 et du 26/03/2015 ) sur ce texte qui s’inscrit dans la réforme structurelle du SEQE.

Le Royaume-Uni a joué un rôle important dans les négociations en amont et lors de la COP-21, agissant comme une passerelle entre les pays de l’Europe de l’Ouest et ceux de l’Europe centrale et orientale.

Enfin, les liens « climat » entre le Royaume-Uni et l’UE au sein de la Commission européenne sont étroits :

  • le conseiller principal du Directeur-Général de la DG Climat (Jos Delbeke) est britannique ( Jake Werksman ). Il a été chef de file, pour l’UE, des négociations climat de la CCNUCC sur certains aspects et conseille la Commission sur les partenariats internationaux (OACI,…),
  • le britannique Peter Vis, chef de cabinet de l’ancienne Commissaire Climat, Connie Hedegaard, a notamment travaillé sur la mise en place du SEQE et l’évaluation des premiers PNAQ.

Au niveau national  : le Royaume-Uni a été le premier pays au monde à avoir fixé un objectif juridiquement contraignant de réduction des émissions de GES pour 2050 de 80% [facteur 4] (base 1990) [loi sur le changement climatique (2008)] (3) . Lors de la 2 e lecture du projet de loi dans la chambre basse du Parlement britannique ( House of Commons ), seulement 5 députés sur 646 ont voté contre le texte. Cette loi oblige le Gouvernement britannique à établir des « budgets carbone » nationaux quinquennaux pour permettre au pays d’atteindre l’objectif de -80%. Le 5e budget a été adopté par le Gouvernement le 30 juin 2016. Le concept des budgets carbone a été repris par la loi sur la transition énergétique en France (loi n°2015-992) ( article 173 ).

(1) Voir ED 155 p.IV.7. (2) Voir ED n°156 p.III.11. (3) Voir ED n°163 p.III.5 et CDL n°119 p.4 .

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