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Emissions de GES : écart entre l’ambition 2030 et la science (Emissions Gap Report 2022 du PNUE)

  • Réf. : 2023_02_a01
  • Publié le: 8 février 2023
  • Date de mise à jour: 8 février 2023
  • International

Même avec la mise en œuvre intégrale des NDC, selon les projections du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) en 2030 ne seraient compatibles ni avec l’objectif de +1,5°C, ni avec l’objectif de +2°C. Les émissions doivent baisser de 30% entre 2021 et 2030 pour respecter l’objectif de +2°C et de 45% pour l’objectif de +1,5°C.

 

Le PNUE a publié le 27 octobre 2022 la 13e édition de son rapport annuel (Emissions Gap Report) sur l’écart entre le niveau d’émissions de GES mondiales prévues et le niveau nécessaire pour limiter le changement climatique. Plus précisément, ce rapport évalue l’écart entre :

  • le niveau de réduction collective des émissions de GES en 2030 nécessaire pour être compatible avec les objectifs de +2°C et de +1,5°C et,
  • les projections d’émissions mondiales de GES de tous les pays de la planète, basées sur leurs engagements de réduction pour 2025-2030, inscrits dans leurs contributions nationales (NDC) [soumises au titre de l’Accord de Paris]. Ces engagements sont inconditionnels [prévus quoi qu’il arrive] et/ou conditionnels [conditionnés à un soutien des pays industrialisés (financement, renforcement des capacités, transfert de technologies)]. Dans les deux cas, ces engagements ne sont pas pour autant contraignants [cf. article 4 de l’Accord de Paris]. Dans son rapport 2022, pour son scénario NDC, le PNUE prend en compte l’ensemble des NDC (NDC nouvelles ou mises à jour soumises par les Parties depuis la COP-26, et NDC précédentes dans le cas contraire), ainsi que tous les engagements de réduction pour 2030 officiellement annoncés avant le 23 septembre 2022.

 

Niveau d’émissions de GES en 2021 : légère hausse par rapport à 2019

Le rapport, publié fin 2022, traite des émissions de GES jusqu’en 2021, l’année 2022 n’étant pas encore estimée. En 2021, selon les projections préliminaires, les émissions mondiales de GES auraient atteint le niveau record de 52,8 Gt CO2e hors UTCATF, soit une légère hausse par rapport à 2019 (+0,4 Gt CO2e avec un total de 52,4 Gt CO2e, rapporté dans le rapport 2020 – lire notre article). Les estimations des émissions mondiales totales de GES (avec UTCATF donc) ne sont disponibles que jusqu’à l’année 2020. L’estimation précitée de 52,8 Gt CO2e laisse penser que les émissions mondiales totales de GES avec UTCATF en 2021 auraient atteint un niveau similaire à celui de 2019, voire le dépasseraient.

 

Ces résultats confirment les conclusions précédentes selon lesquelles les mesures de confinement mises en place pour contrer la pandémie de Covid-19 ont entraîné une réduction sans précédent, mais de courte durée, des émissions mondiales de GES. Les émissions mondiales totales de GES avaient diminué de 4,7% entre 2019 et 2020. Cette baisse était due à une forte diminution des émissions de CO2 issues de la combustion des combustibles fossiles et de l’industrie (-5,6%). Toutefois, en 2021, les émissions de CO2 ont rebondi aux niveaux de 2019, et parmi elles les émissions mondiales de CO2 liées à la combustion de charbon ont même dépassé les niveaux de 2019. Les émissions de CH4 et de N2O sont restées stables de 2019 à 2021, et les gaz fluorés ont continué à augmenter.

 

Si les émissions mondiales de GES n’ont cessé de croître au cours des 10 dernières années, le rythme de croissance a ralenti comparativement à la décennie précédente. Ainsi, sur la période 2010-2019, les émissions de GES ont augmenté de 1,1%/an en moyenne, contre 2,6% par an sur la période 2000-2009.

 

 

Emissions totales et par habitant : situation contrastée selon les pays

Les sept premiers émetteurs (Chine, Etats-Unis, Inde, UE-27, Indonésie, Russie, Brésil), ainsi que le transport aérien et maritime international, représentaient 55% des émissions mondiales totales de GES en 2020 (avec UTCATF). Pris ensemble les pays membres du G20 sont responsables de 75% des émissions mondiales de GES.

 

Emissions totales de GES des sept premiers émetteurs en 2020 (en Gt CO2e)

Source : PNUE, Emissions Gap Report 2022

 

Les émissions de GES par habitant par an sont très contrastées selon les pays. La moyenne mondiale des émissions de GES par habitant (avec UTCATF) était de 6,3 t CO2e/hab en 2020. Les émissions de GES par habitant aux Etats-Unis (14 t CO2e/hab) sont nettement au-dessus de ce niveau moyen, tout comme celles de la Russie (juste derrière les Etats-Unis, avec 13 t CO2e/hab). Quant à la Chine, ses émissions de GES par habitant sont de 9,7 t CO2e/hab, dépassant ainsi l’UE (7,2 t CO2e/hab). L’Inde (2,4 Gt CO2e/hab) reste nettement en dessous de la moyenne mondiale. Enfin, les pays les moins avancés émettent 2,3 t CO2e/hab en moyenne, soit six fois moins que les Etats-Unis et quatre fois moins que la Chine.

 

Emissions de GES par habitant des sept premiers émetteurs en 2020 (en t CO2e/habitant)

Source : PNUE, Emissions Gap Report 2022

 

 

 

Comment augmenteraient les émissions sans mise en œuvre des NDC ?

 

Comparées au scénario de référence basé sur les politiques en place en 2010 (66 Gt CO2e par an en 2030), les trajectoires projetées sur la base des mesures existantes (scénario sans NDC [projections d’émissions mondiales en prenant en compte les politiques climat actuelles adoptées mais hors engagements de réduction des NDC]) devraient permettre de réduire les émissions mondiales de GES d’environ 8 Gt CO2e par an en 2030 pour atteindre 58 Gt CO2e par an, soit 3 Gt CO2e de plus que l’estimation du rapport 2021 (55 Mt CO2e).

 

Toutefois, le niveau annuel à ne pas dépasser en 2030 pour ramener les émissions sur une trajectoire compatible avec l’objectif de +2°C est estimé à 41 Gt CO2e [soit 2 Gt CO2e de moins que le niveau estimé dans les rapports de 2021, 2020 et de 2019]. L’écart est donc de 17 Gt CO2e.

 

Pour l’objectif de +1,5°C, le niveau annuel à ne pas dépasser en 2030 serait de 33 Gt CO2e [contre un niveau de 25 Gt CO2e estimé dans le rapport de 2021], soit un écart de 25 Gt CO2e.

 

Ainsi, les objectifs +2°C ou +1,5°C ne seraient pas atteints.

 

 

Quel volume d’émissions la mise en œuvre des NDC permettrait-elle d’éviter ?

 

Les engagements [inconditionnels + conditionnels] pris par les Parties dans le cadre de leurs NDC constituent le fondement de l’Accord de Paris.

 

Entre le 1er janvier 2020 et le 23 septembre 2022 (date limite pour la prise en compte dans cette 13e édition du Gap Report), 166 Parties représentant environ 91% des émissions mondiales de GES ont soumis des NDC nouvelles ou des NDC mises à jour, contre 152 Parties lors de la COP-26. Par rapport aux NDC précédentes, une part plus importante a défini des objectifs en matière d’émissions de GES et un plus grand nombre comprend des éléments non conditionnels, et davantage de secteurs et de GES sont généralement pris en compte.

 

Selon les projections du PNUE, les NDC soumises depuis la COP-26 ne réduiraient que de 0,5Gt CO2e (soit moins de 1%) des émissions mondiales de GES projetées en 2030 (par rapport aux projections basées sur les NDC soumises avant la COP-26). Cette réduction résulterait principalement des NDC nouvelles ou des NDC mises à jour de l’Australie, du Brésil, de l’Indonésie et de la Corée du Sud (voir registre des NDC).

 

Même avec la prise en compte des NDC [scénario avec NDC], en 2030, les émissions mondiales annuelles de GES devraient être comprises entre 52 Gt CO2e [mise en œuvre intégrale des objectifs inconditionnels et conditionnels] et 55 Gt CO2e [mise en œuvre uniquement des objectifs inconditionnels], soit une réduction comprise entre 3 et 6 Gt CO2e par rapport au scénario sans NDC en 2030. En d’autres termes, même mises en œuvre intégralement, les NDC ne permettraient donc qu’une réduction de 6 Gt CO2e en 2030 par rapport au scénario sans NDC.

 

Le PNUE estime que les NDC inconditionnelles et conditionnelles réduiraient les émissions mondiales de GES en 2030 de 5% en 2030 et les NDC conditionnelles de 10% par rapport aux émissions basées sur les politiques actuellement en place.

Pour s’engager sur une trajectoire compatible avec les objectifs de +2°C et de +1,5°C, il faudra réaliser des réductions d’émissions de GES respectivement de 30% et de 45% en 2030.

 

Cohérence avec les données du Giec

La fourchette de 52-55 Gt CO2e précitée est cohérente avec les projections du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] dans le résumé pour décideurs du 3e volume (atténuation) de son 6e rapport d’évaluation publié le 4 avril 2022 (lire notre article et notre dossier de fond) : 50-53 Gt CO2e en 2030 sur la base du niveau d’ambition des NDC soumises ou annoncées avant la COP-26 (cf. paragraphe B.6.3).

 

 

L’écart entre l’ambition et la science : les NDC restent insuffisantes

 

L’objectif +2°C

Pour respecter l’objectif +2°C, il ne faudrait pas dépasser 41 Gt CO2e en 2030.

 

En 2030, si les objectifs et autres engagements des NDC étaient mis en œuvre, les émissions dépasseraient ce niveau de 11 Gt CO2e [mise en œuvre intégrale des objectifs inconditionnels et conditionnels] voire de 14 Gt CO2e [mise en œuvre uniquement des objectifs inconditionnels].

 

Ainsi, même avec la mise en œuvre intégrale des NDC (réduction de 6 Gt CO2e par rapport au scénario sans NDC), l’objectif +2°C ne serait pas atteint. Il faudrait multiplier l’effort de réduction par 2,8. Les engagements [inconditionnels + conditionnels] pris par les Parties dans le cadre de leurs NDC ne représentent donc qu’environ un tiers des réductions d’émissions de GES nécessaires à l’horizon 2030 pour respecter l’objectif de +2°C.

 

L’objectif +1,5°C

Pour respecter l’objectif +1,5°C, il ne faudrait pas dépasser 33 Gt CO2e en 2030.

 

Avec la mise en œuvre des NDC, les émissions dépasseraient ce niveau de 19 Gt CO2e [mise en œuvre intégrale des objectifs inconditionnels et conditionnels] voire de 22 Gt CO2e [mise en œuvre uniquement des objectifs inconditionnels].

 

Ainsi, même avec la mise en œuvre intégrale des NDC (réduction de 6 Gt CO2e par rapport au scénario sans NDC), l’objectif +1,5°C ne serait pas atteint. Il faudrait multiplier l’effort de réduction par 4,2. Les engagements [inconditionnels + conditionnels] pris par les Parties dans le cadre de leurs NDC ne représentent donc qu’environ un quart des efforts à fournir pour respecter l’objectif de +1,5°C.

 

En outre, ces estimations se basent sur l’hypothèse que les pays mettraient en œuvre les engagements de réduction inscrits dans leurs NDC, ce qui est loin d’être acquis à ce stade.

 

Evolution des émissions mondiales de GES selon des scénarios avec et sans NDC (CDN en français) par rapport aux objectifs de +2°C et de +1,5°C

Source : PNUE, Emissions Gap Report 2022

 

 

Même avec la mise en œuvre intégrale des NDC, le réchauffement serait de +2,4°C

La mise en œuvre des NDC nouvelles ou mises à jour entraînerait une augmentation des températures à l’horizon 2100 de +2,4°C [mise en œuvre intégrale des engagements] à +2,6°C [mise en œuvre des engagements inconditionnels seulement]. A titre de comparaison, la fourchette projetée dans le rapport 2021 était de 2,6°C à 2,7°C et celle des rapports 2020, 2019, 2018 et 2017 était de +3°C à +3,2°C. A l’inverse, la poursuite des politiques actuelles (sans NDC) conduirait à une hausse de +2,8°C d’ici 2100.

 

Le niveau du réchauffement ne se rapprochera de l’objectif de +1,5°C qu’au prix d’un respect absolu des objectifs de zéro émission nette qui sont, à l’heure actuelle, entourés d’incertitudes. La mise en œuvre de ces objectifs 2050 formellement fixés dans la législation et/ou les NDC ou annoncés pourraient réduire cette hausse d’environ 0,4°C (c’est-à-dire la ramener à +1,8°C), à condition que les engagements 2030 inscrits dans les NDC et les politiques et mesures de mise en œuvre correspondantes soient rendus compatibles avec ces objectifs de neutralité carbone. Cependant, souligne le PNUE, dans la plupart des cas, ni les politiques actuelles, ni les NDC ne permettraient de s’engager sur une trajectoire crédible à partir de 2030 vers l’atteinte des objectifs de zéro émission nette à l’horizon 2050.

 

 

Engagements de zéro émission nette : le PNUE pointe les très grandes incertitudes quant à leur crédibilité et leur faisabilité

 

Au total, 88 Parties représentant environ 79% des émissions mondiales de GES ont désormais adopté des objectifs zéro émission nette dans le cadre soit de la législation (21 Parties), soit d’un document politique (NDC,…) ou d’une stratégie à long terme (47), soit d’une annonce du gouvernement national (20) et ce, contre 74 Parties lors de la COP-26.

 

Si les seuls membres du G20 sont pris en compte, 19 membres se sont engagés à atteindre zéro émission nette, contre 17 lors de la COP 26. Le PNUE souligne que ces objectifs sont très contrastés à plusieurs égards, notamment :

  • leur statut juridique,
  • leur échéance,
  • la prise en compte explicite de la justice et de l’équité,
  • les sources d’émission, les secteurs et les GES visés,
  • le recours ou non aux crédits d’émission internationaux pour contribuer à leur réalisation,
  • le niveau de détail qu’ils fournissent sur le rôle du captage et stockage du CO2,
  • les modalités de planification, d’évaluation et de rapportage de la mise en œuvre des objectifs.

 

 

Conclusions

En conclusion, le rapport constate que depuis la COP-26, seuls des progrès très limités ont été accomplis en vue de réduire l’écart en matière des émissions de GES entre l’ambition et la science. La communauté internationale est encore loin des objectifs fixés par l’Accord de Paris, sans qu’aucune voie crédible pour respecter l’objectif +1,5°C ne soit en place. Le PNUE en appelle à une transformation systémique profonde et urgente, notamment dans les secteurs de la production d’électricité, de l’industrie, des transports, du bâtiment et de l’agriculture, ainsi que dans le secteur financier, pour réaliser de fortes baisses d’émissions de GES d’ici 2030.

 

 

Rapport du 27 octobre 2022 : Voir pages du site du PNUE consacrées au rapport en français et en anglais, communiqué en français et en anglais, synthèse en français et en anglais, messages clés (en français et en anglais), rapport intégral (en anglais uniquement).

 

 

 

 

 

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