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Incidences économiques de l’action climat : nouveau rapport de mission d’évaluation établi par Jean Pisani-Ferry

  • Réf. : 2023_05_b03
  • Publié le: 23 mai 2023
  • Date de mise à jour: 23 mai 2023
  • France
  • UE

Le 22 mai 2023, France Stratégie a publié un rapport intitulé Les incidences économiques de l’action pour le climat, élaboré par l’économiste Jean Pisani-Ferry (rapporteure Selma Mahfouz). Ce rapport fait suite à une demande de la Première ministre qui lui avait confié une mission d’évaluation des impacts macroéconomiques de la transition écologique. C’est France Stratégie qui a assuré le secrétariat de la mission.

Le rapport de synthèse vise à améliorer la compréhension des impacts macroéconomiques de la transition climatique. Par ailleurs, 11 rapports thématiques, préparés dans le cadre de cette mission et rédigés sous la responsabilité de leurs auteurs, ont été publiés en même temps que ce rapport de synthèse. Ils portent sur les sujets suivants : Sobriété, Dommages et adaptation, Inflation, Productivité, Compétitivité, Marché du travail, Capital, Enjeux distributifs, Modélisation, Bien-être, Indicateurs et données.

Les 18 messages clés

  • la neutralité climatique est atteignable. Y parvenir suppose une grande transformation, d’ampleur comparable aux révolutions industrielles du passé. Mais au regard de celles-ci cette transformation sera globale, plus rapide, et elle sera pilotée d’abord par les politiques publiques et non par les innovations technologiques et les marchés ;
  • cette transformation repose sur trois mécanismes économiques :
  • la réorientation du progrès technique vers des technologies vertes,
  • la sobriété (définie comme la réduction des consommations d’énergie qui ne découle pas de gains d’efficacité énergétique),
  • la substitution de capital aux énergies fossiles ;
  • nous ne sommes pas durablement condamnés à choisir entre croissance et climat. À long terme, la réorientation du progrès technique peut conduire à une croissance verte plus forte que ne l’était ou que ne l’aurait été la croissance brune. La chute du coût des énergies renouvelables est l’indice qu’une nouvelle croissance est possible ;
  • pour atteindre les objectifs nationaux de la France pour 2030 et viser ainsi la neutralité en 2050, il va falloir faire en 10 ans ce que la France a eu de la peine à faire en 30 ans. L’accélération est brutale, tous les secteurs vont devoir y prendre leur part. Pour se contraindre à tenir leurs engagements, l’Union européenne et la France devraient s’imposer le respect de budgets carbone, pas seulement d’objectifs en 2030 et 2050 ;
  • à l’horizon 2030, la transformation reposera principalement sur la substitution de capital aux énergies fossiles : la sobriété contribuera à la réduction des émissions de GES, mais pour 15% environ, en tout cas pour moins de 20%. Sobriété n’est pas nécessairement synonyme de décroissance et peut de plus être source de bien-être ;
  • dans les 10 ans à venir, la décarbonation va appeler un supplément d’investissements d’ampleur (plus de deux points de PIB en 2030, par rapport à un scénario sans action climat). Malgré des progrès récents, la France n’est pas encore sur la trajectoire de la neutralité climatique ;
  • d’ici 2030, le financement de ces investissements, qui n’augmentent pas le potentiel de croissance, va probablement induire un coût économique et social. Bien entendu, le supplément d’investissement aura, via la demande, un effet positif sur la croissance. Mais parce qu’il sera orienté vers l’économie de combustibles fossiles plutôt que vers l’efficacité ou l’extension des capacités de production, la transition se paiera temporairement d’un ralentissement de la productivité de l’ordre d’un quart de point par an et elle impliquera des réallocations sur le marché du travail ;
  • plus largement, la transition induira un coût en bien-être que les indicateurs habituels (PIB) mesurent mal. Les réglementations ne sont pas plus indolores que la tarification du carbone ;
  • la compréhension des effets de la transition nécessite d’articuler différents niveaux d’analyse : technique, microéconomique au niveau des sous-secteurs concernés, local parfois, macroéconomique pour comprendre les enchaînements d’ensemble, internationale compte tenu des enjeux de compétitivité et de coordination. Il faut continuer à investir dans l’amélioration des outils utilisés pour apprécier les incidences économiques de l’action climat dans toutes ces dimensions ;
  • la transition est spontanément inégalitaire. Même pour les classes moyennes, rénovation du logement et changement du vecteur de chauffage d’une part, acquisition d’un véhicule électrique en lieu et place d’un véhicule thermique d’autre part, appellent un investissement de l’ordre d’une année de revenu. Même si l’investissement est rentable, par les économies d’énergie qu’il permet, il n’est pas nécessairement finançable sans soutien public. Le coût économique de la transition ne sera politiquement et socialement accepté que s’il est équitablement réparti ;
  • pour soutenir les ménages et les entreprises, les finances publiques vont être appelées à contribuer substantiellement à l’effort. Compte tenu des dépenses nouvelles comme de la baisse temporaire des recettes liée au ralentissement de la croissance potentielle, le risque sur la dette publique est de l’ordre de 10 points de PIB en 2030, 15 points en 2035, 25 points en 2040, même s’il est supposé que la baisse des recettes assises sur l’énergie soit compensée afin de maintenir le taux de prélèvements obligatoires constant ;
  • il ne sert à rien de retarder les efforts au nom de la maîtrise de la dette publique. Sauf à parier sur la technologie, cela ne pourrait qu’accroître le coût pour les finances publiques et l’effort nécessaire les années suivantes pour atteindre les objectifs climat de la France. L’endettement public n’est pas le premier instrument de financement de la transition. Contraindre à l’excès la possibilité d’y avoir recours risque cependant de compliquer encore la tâche des décideurs publics ;
  • pour financer la transition, au-delà du redéploiement nécessaire des dépenses, notamment des dépenses budgétaires ou fiscales « brunes » [à forte intensité carbone], et en complément de l’endettement, un accroissement des prélèvements obligatoires sera probablement nécessaire. Celui-ci pourrait notamment prendre la forme d’un prélèvement exceptionnel, explicitement temporaire et calibré ex ante en fonction du coût anticipé de la transition pour les finances publiques, qui pourrait être assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés ;
  • pour les 10 ans qui viennent, la transition crée un risque de configuration inflationniste. Dans un contexte de brouillage sur la mesure de l’inflation, les banques centrales vont devoir préciser leur doctrine et expliciter leur réponse aux pressions sur les prix qu’induira la transition. Elles doivent au minimum conduire la politique monétaire avec doigté, et sans doute même opérer un relèvement temporaire de leur cible d’inflation ;
  • l’Inflation Reduction Act (IRA) américain (lire notre brève) témoigne de ce que convergence des ambitions climatiques n’implique pas convergence des stratégies. L’hétérogénéité des politiques climatiques est appelée à perdurer ;
  • l’UE fait face à un sérieux problème de compétitivité. Elle souffre d’un prix élevé de l’énergie, le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF – lire notre article) est un dispositif imparfait, qui limite les fuites de carbone mais ne traite pas au fond la question de la compétitivité, et le pari industriel européen est mis en cause par l’IRA. L’UE ne peut pas être à la fois championne du climat, championne du multilatéralisme et championne de la vertu budgétaire ;
  • l’articulation entre politique européenne et politiques nationales doit être repensée. Aujourd’hui l’UE fixe les objectifs mais elle laisse les coûts politiques et les coûts financiers correspondants à la charge des États et prend appui sur une coordination indicative, dont l’effectivité est incertaine. L’UE ne peut pas se permettre d’afficher une grande stratégie climat tout en restant dans le flou quant à sa mise en œuvre effective. Il importe qu’elle définisse et mette en place une nouvelle gouvernance climatique à la mesure de son ambition ;
  • la bonne méthode pour piloter la transition doit reposer sur un équilibre entre subventions, réglementation et tarification du carbone. Mieux que les États-Unis ou que la Chine, l’UE et la France combinent aujourd’hui les trois instruments. En dépit des difficultés politiques et sociales, il ne faut pas renoncer au signal-prix, qui permet d’orienter les décisions de façon décentralisée.

 

En savoir plus

Le rapport de synthèse

Les 11 rapports thématiques

 

 

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