Le puits de carbone terrestre de l’Europe diminue, mais son potentiel reste élevé – AEE
Par : Sophie Sanchez
Émissions et absorptions nettes liées à l’utilisation des terres, au changement d’affectation des terres et à la foresterie (UTCATF en français, LULUCF en anglais) pour l’UE-27 (1990-2023) en kilotonnes d’équivalent dioxyde de carbone (ktCO2e)
Source : AEE, juin 2025
Les forêts et les terres d’Europe absorbent moins de carbone que prévu, mettant en péril l’objectif 2030 pour ce secteur. Mais en adoptant les bonnes politiques et mesures, le secteur de l’utilisation des terres et de la foresterie pourrait encore jouer un rôle crucial dans l’atténuation du changement climatique, avec des co-bénéfices significatifs pour les personnes et la nature, selon le rapport de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) intitulé « Enhancing Europe’s land carbon sink: status and prospects » (Améliorer le puits de carbone terrestre de l’Europe : état et perspectives). Ce rapport publié le 30 juin 2025 porte sur l’évolution des émissions et absorptions de gaz à effet de serre (GES) dans le secteur de l’utilisation des terres, du changement d’utilisation des terres et de la foresterie (UTCATF).
Le document met en lumière un déclin significatif du puits de carbone terrestre en Europe au cours de la dernière décennie, soulignant les défis et les perspectives pour atteindre les objectifs climatiques de l’Union européenne (UE).
Ce rapport détaille également diverses stratégies pour améliorer la séquestration du carbone et réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans les forêts, les terres arables, les prairies, les zones humides et les zones urbanisées. Le document souligne l’importance de la gestion durable des terres pour atteindre les objectifs climatiques de l’Union européenne (UE) à l’horizon 2030 et 2050. Il propose des mesures spécifiques pour chaque type de terre, en mettant l’accent sur les co-bénéfices et les compromis potentiels. Par exemple, la protection des forêts primaires et anciennes, la reforestation et l’amélioration de la gestion forestière sont identifiées comme des stratégies clés pour augmenter les stocks de carbone dans les forêts.
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Contexte et enjeux
L’Union européenne (UE) s’est fixée pour objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, un engagement qui nécessite des réductions substantielles des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans tous les secteurs. Le secteur de l’utilisation des terres, du changement d’utilisation des terres et de la foresterie (UTCATF) joue un rôle crucial dans cette transition. Cependant, la capacité de l’UE à atteindre ses objectifs climatiques est menacée par un déclin récent du puits de carbone terrestre. Ce déclin, principalement dû à des facteurs tels que le vieillissement des forêts, l’augmentation des récoltes forestières et les perturbations naturelles, met en péril la réalisation des objectifs climatiques de l’UE.
Le secteur de l’UTCATF est en effet le seul secteur qui absorbe du carbone à grande échelle, jouant un rôle crucial dans la transition vers une économie climatiquement neutre d’ici 2050. Mais entre 2014 et 2023, le puits de carbone annuel moyen de l’UE a diminué de 30 % par rapport à la décennie précédente, principalement en raison de la dynamique des terres forestières.
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Les absorptions de carbone – définition et catégories et leur rôle dans l’atténuation du changement climatique
Le règlement récemment adopté sur les absorptions de carbone et l’agriculture carbone (Carbon Removals and Carbon Farming Regulation, CRCF) définit les absorptions de carbone comme « l’élimination anthropique du carbone de l’atmosphère et son stockage durable dans des réservoirs géologiques, terrestres ou océaniques, ou dans des produits de longue durée ». Les méthodes d’élimination peuvent être classées selon différentes caractéristiques, y compris le processus de séquestration, le réservoir dans lequel le carbone est stocké, leur « maturité technologique » ou la durée de stockage prévue. Le règlement CRCF classe les activités dans les catégories suivantes : absorptions de carbone permanentes, activités d’agriculture carbone et stockage de carbone dans les produits.
Depuis l’entrée en vigueur du Pacte vert pour l’Europe (European Green Deal, EGD) au début des années 2020, les stratégies climatiques européennes se sont fondées sur l’idée que tous les secteurs économiques doivent contribuer à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES) et, lorsque cela est possible, à l’augmentation des absorptions de dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère. La loi européenne sur le climat (EU Climate Law) de 2021 fixe des objectifs de réduction des émissions de GES de 55 % d’ici 2030 et de neutralité climatique d’ici 2050. Ces objectifs sont nets, ce qui signifie qu’ils prennent en compte à la fois les émissions de GES et les absorptions. Au cours des prochaines décennies, les absorptions devraient jouer un rôle important et croissant dans la réalisation de ces objectifs en compensant les émissions résiduelles et inévitables et en aidant l’UE à atteindre des émissions nettes négatives au-delà de 2050.
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État des émissions et absorptions rapportées dans le secteur UTCATF
En 2023, le secteur UTCATF a fourni un puits de carbone net au niveau de l’UE de 198 MtCO2e, compensant environ 6 % des émissions de GES de l’UE provenant d’autres secteurs. Cependant, il existe une forte variabilité entre les États membres : certains rapportent l’UTCATF comme un puits net, tandis que d’autres le rapportent comme une source nette d’émissions. Cette variabilité est due à des différences dans les caractéristiques des terres, l’intensité de la gestion et les conditions climatiques, ainsi qu’aux impacts des perturbations naturelles.
En Europe, les absorptions de carbone générées dans le secteur UTCATF devraient fournir la plus grande part des absorptions dans les scénarios politiques pertinents à court et moyen terme. Dans ce contexte, l’UE s’est fixé un objectif d’absorptions nettes de 310 MtCO2e dans le secteur d’ici 2030 sachant toutefois qu’aucun objectif politique n’a été adopté pour les options d’absorptions industrielles dans cette période de gouvernance.
L’évaluation d’impact (Impact Assessment, IA) de la Commission européenne assortie d’un objectif climatique de l’UE pour 2040 a indiqué qu’un minimum de 365 millions de tonnes équivalent CO2 (MtCO2e) d’absorptions est nécessaire pour réduire les émissions nettes de GES de 90 % d’ici 2040. D’ici 2050, environ entre 430 et 450 MtCO2e d’absorptions seraient nécessaires selon l’évaluation. Le secteur UTCATF devrait jouer un rôle particulièrement significatif dans la réalisation de ces objectifs pour 2040 et 2050 : d’ici 2040, l’UTCATF devrait contribuer entre 316 et 360 MtCO2e d’absorptions et entre 332 et 389 MtCO2e d’absorptions d’ici 2050. Cela représente une augmentation significative par rapport au niveau actuel (2023) du puits de carbone net de l’UTCATF. Les absorptions industrielles devraient contribuer entre 27 et 75 MtCO2e d’ici à 2040 et continuer à se développer d’ici 2050.
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Tendances et facteurs du déclin du puits de carbone UTCATF
Bien que l’UE se soit engagée à renforcer les absorptions de carbone dans le secteur UTCATF, au cours de la dernière décennie, il y a eu une tendance à la baisse de la capacité des écosystèmes terrestres européens à séquestrer le carbone de l’atmosphère. Le secteur UTCATF a fourni un puits de carbone moyen de 335 MtCO2e pour la période 1991-2013. Cependant, entre 2014 et 2023, le puits annuel moyen était de 30 % plus petit par rapport à la décennie précédente, atteignant des absorptions nettes de 198 MtCO2e en 2023.
Les raisons de ce déclin sont principalement attribuables à plusieurs facteurs interdépendants :
- Tout d’abord, les forêts ont mûri, ce qui a entraîné une augmentation des stocks de carbone forestiers, mais à un taux de séquestration plus faible ;
- Ensuite, les récoltes forestières ont augmenté en raison de facteurs économiques et politiques, ainsi que la récolte de salut (coupe de sauvetage). Autrement dit, l’abattage des arbres a augmenté en raison de facteurs économiques et politiques, et de l’exploitation de récupération ;
- De plus, le changement climatique a accéléré le processus de décomposition du carbone stocké dans les sols et la matière organique morte ;
- Les perturbations naturelles, y compris les incendies, les sécheresses et les ravageurs, ont également affecté les arbres debout ;
- Enfin, le taux annuel de boisement a diminué par rapport aux décennies précédentes, contribuant ainsi à la maturation des forêts.
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Dynamique des terres forestières
La superficie totale des terres forestières dans l’UE a augmenté de 6 % depuis 1990, représentant environ 40 % du territoire de l’UE. Toutes les terres forestières, à l’exception de deux pays de l’UE, ont connu une croissance depuis 1990. La Finlande, un pays avec une couverture forestière bien supérieure à la moyenne de l’UE, est plus sujette à la déforestation. Néanmoins, elle n’a rapporté qu’une diminution négligeable de 1 % depuis 1990. Malte, quant à elle, a rapporté une diminution de 5 %.
Les forêts jouent un rôle crucial dans l’atteinte des objectifs climatiques de l’UTCATF ; cumulativement, elles ont éliminé, en moyenne, l’équivalent d’environ 9 % des émissions totales de GES des autres secteurs dans l’UE entre 1990 et 2022. Dans la plupart des pays de l’UE, la capacité des forêts à séquestrer le carbone atmosphérique est le facteur clé du puits global de l’UTCATF, soulignant l’importance de cette catégorie d’utilisation des terres.
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Projections et mesures nécessaires
Les projections soumises à l’AEE par les États membres en 2023 et 2024 indiquent que l’UE n’est actuellement pas sur la bonne voie pour atteindre son objectif collectif UTCATF pour 2030. Selon ces projections, l’UE-27 atteindra conjointement 224 et 240 MtCO2e d’absorptions de l’UTCATF en 2030, avec les scénarios de mesures existantes (WEM) et de mesures supplémentaires (WAM) respectivement. En 2040, cette fourchette devrait encore diminuer pour atteindre 195 et 220 MtCO2e d’absorptions, respectivement. Une évaluation récente de la Commission sur les plans nationaux finals pour l’énergie et le climat (PNIEC en français ou NECPs en anglais) montre que les États membres ont intensifié leurs efforts dans le secteur terrestre, mais qu’il subsiste encore un écart significatif par rapport à l’objectif d’absorptions supplémentaires dans l’UTCATF.
Pour inverser cette tendance, il est nécessaire d’accélérer la mise en œuvre de mesures visant à renforcer les absorptions et à réduire les émissions dans l’UTCATF au cours des prochaines années.
Diverses mesures sont déjà disponibles pour réduire les émissions ou augmenter les absorptions, impliquant des activités terrestres qui offrent des avantages significatifs. Parmi ces mesures figurent
- une gestion forestière améliorée,
- la réduction des niveaux de récolte forestière,
- le boisement,
- la prévention de la déforestation,
- la jachère des sols,
- ainsi qu’une gestion améliorée des cultures et des prairies.
La réhumidification des sols organiques et la restauration des écosystèmes riches en carbone, tels que les tourbières, peuvent également réduire considérablement les émissions dans le secteur UTCATF. Cependant, ces mesures varient considérablement en termes de rentabilité et d’efficacité à différentes échelles de temps et peuvent impliquer des compromis difficiles. Leur pertinence pour différents objectifs politiques varie également selon les mesures et les États membres.
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Mesures spécifiques pour les terres forestières
Le rapport détaille plusieurs mesures pour les terres forestières, notamment la protection des forêts, la reforestation et l’amélioration de la gestion forestière.
- La protection des forêts vise à conserver les forêts existantes et à prévenir la déforestation et la dégradation des forêts.
- La reforestation, quant à elle, implique la conversion de terres non forestières en forêts, ce qui peut augmenter les stocks de carbone.
- L’amélioration de la gestion forestière inclut des pratiques telles que la sylviculture en couverture continue (par opposition à la coupe à blanc), la sélection des espèces et l’allongement de la période de rotation forestière.
Le potentiel d’atténuation du changement climatique par ces mesures varie considérablement. Par exemple, une augmentation de 6 % de la superficie forestière de l’UE d’ici 2050 pourrait entraîner une atténuation totale de 77 MtCO2 par an. Cependant, le potentiel de la reforestation est limité par la disponibilité des terres et ne peut avoir un réel effet que si la mesure entraîne une augmentation nette des stocks de carbone par rapport à la couverture terrestre précédente.
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Gestion des terres arables et des prairies
Le rapport aborde également la gestion des terres arables et des prairies, qui représentent respectivement le deuxième et le troisième plus grands types de terres gérées dans l’UE.
Des pratiques telles que
- l’agroforesterie,
- l’amélioration de la gestion des sols
- et la gestion des prairies sont proposées pour réduire les émissions et augmenter les stocks de carbone.
Par exemple, l’agroforesterie, qui combine des arbres avec des cultures ou des pâturages, peut augmenter les stocks de carbone dans la biomasse vivante et les sols.
L’amélioration de la gestion des sols dans les terres arables inclut des pratiques telles que l’utilisation de cultures de couverture, la gestion des résidus de cultures et la réduction du labour. Ces pratiques peuvent augmenter les stocks de carbone dans les sols et réduire les émissions de GES. Par exemple, les cultures de couverture peuvent offrir un taux de séquestration du carbone organique du sol (SOC) de 1,43 tCO2e par hectare et par an.
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Restauration des zones humides et des tourbières
Le document rappelle le rôle crucial des zones humides et des tourbières dans la séquestration du carbone. La restauration des zones humides et la protection des tourbières sont identifiées comme des stratégies clés pour réduire les émissions de GES.
- Par exemple, la restauration des tourbières drainées peut réduire considérablement les émissions de CO2 et augmenter les stocks de carbone ;
- La restauration des zones humides côtières, telles que les marais salants et les herbiers de zostère, est également proposée comme une stratégie efficace pour la séquestration du carbone. Ces écosystèmes peuvent séquestrer le carbone de manière efficace tout en émettant moins de méthane (CH4) par rapport aux tourbières.
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Barrières et facteurs facilitateurs
Le rapport identifie plusieurs barrières à la mise en œuvre des mesures d’atténuation dans le secteur UTCATF, notamment les coûts financiers, les risques financiers, le manque d’expertise et les cadres politiques incohérents. Par exemple, les coûts financiers pour la mise en œuvre de mesures telles que la reforestation et l’amélioration de la gestion forestière peuvent être significatifs et poser un obstacle important, en particulier pour les petits propriétaires.
Pour surmonter ces barrières, le rapport propose plusieurs facteurs facilitateurs, notamment le renforcement des cadres politiques, l’augmentation des incitations financières, l’amélioration des méthodologies de surveillance, de déclaration et de vérification (MRV) et la fourniture de soutien en matière de connaissances et de renforcement des capacités. Par exemple, la mise en place de mécanismes de responsabilité et d’assurance pourrait réduire les risques financiers pour les exploitants et encourager l’adoption de mesures d’atténuation.
L’AEE souligne la nécessité d’une action rapide et coordonnée pour mettre en œuvre les mesures d’atténuation dans le secteur UTCATF. Le rapport appelle à une collaboration entre les parties prenantes, y compris les gouvernements, les organisations non gouvernementales, les propriétaires fonciers et les gestionnaires de terres, pour surmonter les barrières et tirer parti des facteurs facilitateurs.
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