Secteur des combustibles fossiles : 70 % des émissions de méthane pourraient être évitées – AIE
Par : Sophie Sanchez
Opportunités de réduction des émissions de méthane dans le secteur énergétique (Source : AIE, Global Methane Tracker, 7 mai 2025)
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Déployer des solutions ciblées d’atténuation des émissions de méthane dans le secteur des combustibles fossiles aurait un impact considérable en permettant d’éviter une hausse d’environ 0,1°C des températures mondiales d’ici à 2050, fait valoir l’Agence internationale de l’énergie (AIE en français – IEA en anglais) dans la mise à jour de son rapport annuel sur le méthane « Global Methane Tracker 2025 », publié le 7 mai 2025. L’impact serait « considérable » et « comparable à l’élimination de toutes les émissions de CO2 de l’industrie lourde mondiale d’un seuI coup », calcule l’AIE.
De fait, l’AIE rappelle qu’il est « essentiel de réduire rapidement et durablement les émissions de méthane pour limiter le réchauffement de la planète », – le méthane étant un puissant gaz à effet de serre provenant de l’extraction, de la production et du transport de pétrole, de gaz et de charbon –, et dresse un état des lieux dans ce domaine.
Précisément, l’organisation intergouvernementale estime que les émissions de méthane liées à l’énergie n’ont pas encore atteint un pic définitif mais indique que 70 % des émissions de méthane provenant du secteur des combustibles fossiles pourraient être évitées grâce à des technologies existantes à faible coût.
En outre, elle fait valoir que la réduction des émissions de méthane contribue à l’agenda de la sécurité énergétique : un effort concerté pour limiter les émissions de méthane pourrait permettre de mettre près de 100 Md de m3 de gaz naturel à la disposition des marchés.
Le secteur des combustibles fossiles responsable de près d’un tiers des émissions de méthane
Si les secteurs de l’agriculture et des déchets sont des sources importantes d’émissions de méthane, c’est l’approvisionnement en combustibles fossiles qui offre le plus grand potentiel de réduction immédiate des émissions de méthane, relève le rapport de l’AIE.
Émissions de méthane provenant du pétrole et du gaz (Source : AIE, Global Methane Tracker, 7 mai 2025)
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En effet, le secteur des combustibles fossiles est aujourd’hui responsable de près d’un tiers des émissions de méthane dues à l’activité humaine. La « production record de pétrole, de gaz et de charbon, associée à des efforts d’atténuation limités », a ainsi maintenu les émissions de méthane dans l’atmosphère au-dessus de 120 millions de tonnes (Mt) en 2024 (à comparer à 118 Mt en 2023 selon le rapport précédent, lire notre article).
En outre, les puits de pétrole et de gaz terrestres et les mines de charbon abandonnés – inclus pour la première fois dans le Global Methane Tracker de cette année – ont contribué pour environ 8 Mt à ces émissions en 2024. Si la plupart des puits correctement bouchés émettent des quantités négligeables de méthane, les puits qui n’ont pas été mis hors service de manière appropriée peuvent continuer à émettre du méthane pendant de nombreuses années.
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35 Mt d’émissions de méthane provenant du pétrole, du gaz et du charbon pourraient être évitées sans coût net
Des solutions permettant de réduire les émissions de méthane des combustibles fossiles à un niveau proche de zéro existent déjà et pourraient être déployées dès aujourd’hui à un coût faible, voire négatif, insiste l’AIE. 70 % des émissions de méthane provenant du secteur des combustibles fossiles pourraient ainsi être évitées.
Dans le secteur du pétrole et du gaz, les solutions de réduction comprennent l’amélioration des équipements qui émettent par conception, comme le remplacement des joints humides des compresseurs par des joints secs, et l’utilisation d’unités de récupération des vapeurs pour récupérer les flux de méthane à basse pression. Pour le charbon, les émissions pourraient être réduites par l’utilisation du méthane des mines de charbon ou par des technologies de torchage ou d’oxydation.
Environ 35 Mt d’émissions totales de méthane provenant du pétrole, du gaz et du charbon pourraient être évitées sans coût net, sur la base des prix moyens de l’énergie en 2024, calcule l’AIE. Les dépenses nécessaires pour les mesures de réduction sont inférieures à la valeur marchande du méthane supplémentaire capturé et vendu ou utilisé.
Les options de réduction du méthane dans le secteur du pétrole et du gaz peuvent offrir des taux de rendement très élevés, poursuit l’AIE. Certaines mesures de réduction du méthane ont des coûts d’investissement initiaux élevés et que, dans de nombreux cas, il n’existe aucun moyen d’acheminer le gaz capturé vers les marchés, ce qui nécessite d’investir dans de nouvelles infrastructures ou de nouveaux moyens de transport du gaz.
Toutefois, de nombreuses options de réduction peuvent être rentabilisées en l’espace d’un an. Dans le secteur du pétrole et du gaz, environ 30 % des émissions actuelles de l’industrie pourraient être évitées grâce à des mesures offrant des taux de rendement de plus de 25 %, ce qui, argumente l’AIE, est bien supérieur aux rendements habituellement recherchés par les compagnies pétrolières et gazières lorsqu’elles envisagent de nouveaux investissements.
Des émissions de méthane largement sous-estimées
L’AIE constate dans son rapport que dans la plupart des régions du monde, les émissions de méthane ne sont pas ou peu mesurées or la plupart des inventaires nationaux sous-estiment les émissions. Ainsi l’estimation par l’AIE des émissions totales de méthane liées à l’énergie dans le monde est supérieure d’environ 80 % au total déclaré par les pays qui font partie de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). C’est en Europe que l’écart est le plus faible, car les pays y soumettent régulièrement des inventaires et certains producteurs déclarent leurs émissions sur la base de données mesurées.
Pour autant, l’organisation intergouvernementale se félicite que de nombreux pays et entreprises cherchent à améliorer leur rapportage en ce domaine. Ainsi le Canada a récemment mis à jour sa méthodologie pour tenir compte de l’amélioration des données, ce qui a entraîné une augmentation de plus de 35 % du volume des émissions fugitives déclarées provenant du pétrole et du gaz.
Par ailleurs, en 2024, certaines compagnies pétrolières et gazières ont atteint le niveau de déclaration le plus élevé fixé par le Partenariat sur le méthane pétrolier et gazier 2.0 (OGMP 2.0) du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Environ 10 % des émissions déclarées à l’OGMP 2.0 sont désormais fondées sur la catégorie de données la plus stricte, notamment les émissions de ConocoPhillips, GRTGaz, Jonah, Snam et TotalÉnergies.
En parallèle, depuis la première itération du Global Methane Tracker en 2020, la disponibilité croissante des études de mesure et des données satellitaires a réduit l’incertitude des estimations dans toutes les régions.
Aujourd’hui, plus de 25 satellites en orbite peuvent fournir des informations sur les émissions de méthane. De nouveaux satellites axés sur le méthane sont devenus opérationnels en 2024, notamment MethaneSAT et Tanager-1, qui ont des seuils de détection sensibles et fournissent des données à haute résolution.
Les données de MethaneSAT montrent que les sources dispersées (c’est-à-dire celles qui émettent moins de 500 kg de méthane par heure) sont responsables d’une part importante du méthane émis dans les principaux bassins de production de pétrole et de gaz. Cette constatation vient s’ajouter à des données récentes en provenance des États-Unis, qui montrent qu’il est important de s’attaquer à la fois aux super-émetteurs et aux sources plus modestes.
Une nouvelle analyse de Carbon Mapper, qui a examiné plus de 2 000 panaches de méthane dans le monde, indique qu’environ un quart des sources d’émissions détectées dans les installations pétrolières et gazières sont récurrentes (c’est-à-dire qu’une fuite a été détectée à plusieurs reprises au même endroit).
Les données de Sentinel 5P, qui fonctionne depuis un certain nombre d’années, suggèrent que les émissions de méthane super-émis par les installations pétrolières et gazières ont atteint un niveau record en 2024, malgré une réduction de la couverture (c’est-à-dire le nombre de jours où des observations ont été possibles).
Toutefois, des lacunes importantes subsistent, en particulier dans les régions du monde où les satellites peinent à recueillir des données utiles, comme au Venezuela, où la couverture nuageuse entrave les observations, et dans le nord de la Fédération de Russie, où la neige et la glace compliquent l’observation des fuites de méthane.
Émissions de méthane liées à l’énergie – rapportées à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC en français – UNFCCC en anglais) et aux estimations de l’AIE (IEA en anglais) (Source : AIE, Global Methane Tracker, 7 mai 2025)
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Un effort concerté pour limiter les émissions de méthane pourrait mettre près de 100 Md de m3 de gaz naturel à la disposition des marchés
Exportations de gaz naturel et potentiel d’approvisionnement en gaz naturel grâce à la réduction des émissions de méthane-2023 (Source : AIE, Global Methane Tracker, 7 mai 2025)
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L’organisation intergouvernementale fait aussi valoir que la réduction du méthane et du brûlage à la torche peut contribuer à améliorer la sécurité énergétique et à faciliter l’équilibre entre l’offre et la demande en mettant du gaz naturel supplémentaire sur le marché.
En 2024, le secteur des combustibles fossiles a émis environ 200 Md de m3 de méthane à l’échelle mondiale. Tout n’aurait pas pu être capté et utilisé comme source d’énergie, mais l’AIE estime que la réduction du méthane aurait pu rendre disponible près de 100 Md de m3 de gaz naturel.
Chaque année, 150 Md de m3 supplémentaires de gaz naturel sont brûlés à la torche dans le monde, la majorité d’entre eux étant des torchères de routine et non d’urgence. S’attaquer en même temps au torchage et aux émissions de méthane faciliterait le déploiement de solutions permettant d’acheminer de plus grands volumes de gaz vers les marchés.
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Key findings – Global Methane Tracker 2025 – Analysis – IEA
IEA – International Energy Agency