ZFE – m : les députés ont voté leur suppression, mais la mesure pourrait être considérée comme un cavalier législatif
Par : Sophie Sanchez
Source : Airparif, 17 janvier 2025
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À l’occasion d’un vote sur le projet de loi de « simplification » de la vie économique, les députés ont voté mercredi 28 mai 2025, par 98 voix pour, 51 voix contre et 6 abstentions, la suppression des Zones à faibles émissions » – mobilité, ou ZFE – m, censées inciter les automobilistes à acheter des véhicules moins polluants, mais qui pénaliseraient les ménages modestes.
Concrètement, au terme du scrutin, l’article 15 ter du projet de loi a été adopté sachant qu’il est lui-même issu de deux amendements identiques de LR et du Rassemblement national. Ces amendements abrogent les articles du code général des collectivités territoriales autorisant ou imposant la création des ZFE, ainsi que le contrôle et la répression des infractions qui en relèvent, et suppriment plus généralement toute mention à ce dispositif dans le code des collectivités territoriales, dans celui de l’environnement et dans celui des transports.
Les députés présents ont refusé l’amendement du gouvernement qui, à titre de compromis, proposait de ne maintenir que les ZFE de Paris et Lyon – sur les 25 déjà existantes -, qui restent les seules à accuser de manière régulière des dépassements des seuils réglementaires actuels de qualité de l’air.
Les débats sur ce texte doivent reprendre mi-juin, avec plus de 600 amendements à étudier. La mesure encourt un risque de censure au Conseil constitutionnel car il pourrait s’agir d’un cavalier législatif, éloigné sur le fond du texte initial.
Pour rappel, selon Airparif, un véhicule particulier Diesel Crit’Air 3 (achat neuf entre 2006 et 2010) émet en moyenne 15 fois plus d’oxydes d’azote (NOx) qu’un véhicule essence Crit’Air 1 (achat neuf entre 2014 et aujourd’hui) à distance parcourue identique et 3 fois plus de particules fines (PM2,5).
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Inégalités sociales et territoriales
Initiées en 2019 et étendues en 2021, les ZFE-m visent à limiter les émissions de polluants atmosphériques – dioxyde d’azote (NO2) et particules PM10 et PM2,5 –, responsables de maladies respiratoires en mettant en place des voies routières où la circulation des véhicules les plus polluants est restreinte, selon des modalités spécifiques définies par la collectivité.
Ainsi la ZFE parisienne exclut la circulation des véhicules Crit’Air 3, autrement dit les voitures Diesel immatriculées avant 2011 (voitures de plus de 14 ans) et les voitures à essence immatriculées avant 2006 (voitures de plus de 19 ans).
Pour sa part, la Métropole de Lyon interdit la circulation dans certaines communes et sur certaines voies structurantes d’agglomération aux voitures Diesel immatriculées pour la première fois entre 2006 et 2010, aux voitures essence et hybride immatriculées pour la première fois entre 1997 et 2005 et aux deux-roues motorisés immatriculés pour la première fois entre 2004 et 2006, ainsi qu’aux poids lourds et véhicules utilitaires légers (de catégorie n) classés Crit’Air 5, 4 et 3 ou non-classés.
Il existe actuellement 25 ZFE en France métropolitaine selon le ministère de la Transition écologique.
Source : ministère de la Transition écologique – Zones à faibles émissions (ZFE) – mise à jour le 27 mai 2025
« L’objectif [des ZFE] est louable (mais elles) exacerbent les inégalités sociales en pénalisant les ménages à revenus modestes (…) contraints de choisir entre des coûts supplémentaires importants pour acheter un nouveau véhicule propre ou renoncer à se déplacer », a critiqué Ian Boucard (Droite républicaine, Territoire de Belfort) au nom de son groupe.
« Les ZFE sont inutiles pour améliorer la qualité de l’air et créent une forte blessure sociale, un séparatisme territorial », a avancé Pierre Meurin (RN, Gard) également auteur d’un amendement.
Plus tôt au cours de la séance, Lisa Belluco (Écologiste et social), avait indiqué vouloir « éviter le rétrécissement excessif du périmètre des zones à faibles émissions (ZFE), comme le [proposait] le gouvernement» et avait fait valoir que « les ZFE sont un dispositif utile, mais il faut les étoffer avec des mesures d’accompagnement, afin qu’elles soient mieux acceptées, que leur déploiement soit mieux encadré et que les personnes susceptibles d’être pénalisées soient accompagnées [en les aidant] à changer de moyen de transport ou à trouver un véhicule mieux adapté ».
L’argumentaire des groupes LR et RN
Le groupe Droite républicaine estime que « la mise en œuvre des ZFE a exacerbé les inégalités sociales en pénalisant les ménages à revenus modestes. Ces derniers sont actuellement contraints de choisir entre des coûts supplémentaires importants pour acheter un nouveau véhicule propre ou renoncer à se déplacer.
De plus, les conséquences pour les petites entreprises sont significatives. Les artisans et les petits commerçants, qui dépendent fortement de véhicules utilitaires pour leur activité, sont particulièrement touchés. Ces véhicules sont souvent plus polluants que les véhicules particuliers et il existe actuellement peu d’alternatives propres adaptées à leurs besoins spécifiques. Par conséquent, l’obligation de s’adapter aux ZFE sans solutions viables menace la viabilité financière de ces entreprises et pourrait conduire à des suppressions d’emplois. Enfin, il ne faut pas négliger les défis en matière de mobilité. Les ZFE nécessitent un réseau de transports en commun efficace et bien développé, ce qui n’est pas toujours le cas dans les zones périurbaines. »
Pour sa part, le Rassemblement national considère que « les ZFE nuisent à nos entreprises et aux Français [et constituent] une ségrégation sociale et territoriale». « L’acquisition d’un véhicule avec un Crit’Air 2, 1 ou 0 représente un reste à charge auxquels nos artisans, nos entrepreneurs ne peuvent faire face. (…) Les ZFE affectent la vie économique. Selon un rapport de BNP Paribas Mobility publié le 11 mars 2025, « sur les 300 000 véhicules utilitaires légers (VUL) immatriculés dans la métropole du Grand Paris en décembre 2024, 17 % sont Crit’Air 3 ou plus, soit 50.000 véhicules ». C’est principalement le secteur de la logistique qui est touché avec « 27 % des véhicules qui sont Crit’Air 3 et plus ». Or pour ces entreprises, les alternatives sont inadaptées : le coût est trop important et les transports en commun ne répondent pas [à tous les] besoins. Les entreprises situées en périphérie sont particulièrement pénalisées. En dehors de Paris intra-muros, 21 % des véhicules professionnels sont désormais interdits de circulation, contre seulement 4 % dans les quartiers centraux de la capitale. »
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Dans un communiqué, prenant « acte » du scrutin, la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher a répondu que « dans les deux agglomérations où les ZFE sont effectives, soit celles de Lyon et Paris, la concentration de dioxyde d’azote a été réduite de plus d’un tiers ». Puis dimanche 1er juin sur France Inter, Agnès Pannier-Runacher a dénoncé le « cynisme » et la « démagogie » des députés qui ont voté la suppression des ZFE, alors que la pollution de l’air est « un sujet de santé publique majeur ».
De son côté, le maire de Lyon Grégory Doucet a parlé d’un « vote contre la santé ». [Grâce à la ZFE-m], « la pollution recule. Le trafic baisse. Les accidents aussi », a-t-il commenté. « Ce que nous demandons est clair : des aides suffisantes pour que chaque ménage puisse changer de véhicule sans s’appauvrir. La santé, la justice sociale et la liberté de circuler ne doivent être ni opposées, ni instrumentalisées », a-t-il conclut.
Pour sa part, la Ville de Paris a appelé à « rétablir cette mesure essentielle ». « La pollution de l’air cause plus de 8.000 décès prématurés chaque année en Île-de-France. Les ZFE sont un outil indispensable pour protéger la santé publique et répondre à l’urgence climatique », a-t-elle souligné.
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De fait, le 17 janvier 2025, Airparif, l’association agréée pour la surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France, a publié un bilan des précédentes étapes de la ZFE-m. Ce bilan, fondé sur des observations réelles, montre que l’interdiction à la circulation des véhicules « Crit’Air 4 », « Crit’Air 5 » et « non classés », a « déjà contribué à faire baisser les émissions de polluants de l’air dans le périmètre concerné, alors même que le contrôle automatisé n’est pas encore en place » :
- Sur la baisse de – 42 % d’émissions d’oxydes d’azote (NOx) dues au trafic routier estimée entre 2017 et 2023, 6 points seraient attribuables à la ZFE-m ;
- Sur la baisse de – 32 % d’émissions de particules fines (PM2,5) dues au trafic routier estimée entre 2017 et 2023, 3 points seraient attribuables à la ZFE-m ;
- Les étapes précédentes de la ZFE-m n’ont en revanche pas permis d’accentuer de manière significative la baisse des émissions de gaz à effet de serre dues au trafic routier.
Toujours selon les estimations d’Airparif, le plein respect des restrictions aux véhicules Crit’Air 3 entraînerait une diminution des émissions de polluants provenant du trafic routier dans le périmètre de la ZFE-m à raison de :
- – 14 % pour les émissions d’oxydes d’azote (NOx) dues au trafic, soit − 4 % des émissions totales ;
- et – 13 % pour les émissions de particules fines (PM5) dues au trafic, soit − 1 % des émissions totales.
Les véhicules Crit’Air 3, dont l’usage devait être interdit sauf dérogations dans le périmètre de la ZFE-m, représentent en effet 8 % des distances parcourues à l’heure actuelle dans la zone.
- de réduire de moitié le nombre d’établissements recevant du public dit sensible (crèche, écoles, hôpitaux, EHPAD) et de centres sportifs exposés à des niveaux élevés de pollution ;
- de diminuer de 2,2 % le nombre de décès prématurés dues à la pollution de l’air et de 5,2 % celui des nouveaux cas d’asthmes chez l’enfant.
Concernant le changement climatique, la ZFE-m entraînerait aussi, toujours selon AirParif, une baisse, bien que plus limitée, des émissions de gaz à effet de serre qui en sont responsables : -5 % d’émissions de dioxyde de carbone (CO2) dues au trafic, soit -1 % des émissions totales au sein du périmètre de la ZFE-m.
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Comparatif des impacts des véhicules
Airparif présente les différents impacts des véhicules en Île-de-France selon leurs spécificités :
- Un véhicule particulier Diesel Crit’Air 3 (achat neuf entre 2006 et 2010) émet en moyenne 15 fois plus d’oxydes d’azote (NOx) qu’un véhicule essence Crit’Air 1 (achat neuf entre 2014 et maintenant) à distance parcourue identique. Les véhicules électriques, eux, n’émettent aucun oxyde d’azote ;
- Un véhicule particulier Diesel Crit’Air 3 émet en moyenne 3 fois plus de particules fines (PM2,5) qu’un véhicule essence Crit’Air 1, et 4 fois plus qu’un véhicule électrique ;
- Un véhicule particulier Diesel Crit’Air 3 émet en revanche des quantités similaires de gaz à effet de serre par rapport à un véhicule essence Crit’Air 1 (- 8 %) à distance parcourue identique, mais en émet plus de deux fois plus qu’un véhicule électrique (- 57 %) ;
- Utiliser des transports en commun – bus, d’autant plus s’il est électrique, métro, RER, tramway -, le vélo, ou la marche à pied n’émet, par comparaison avec l’usage de la voiture, pour un passager, presque aucun polluant de l’air ou gaz à effet de serre.
Source : Airparif, 17 janvier 2025
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Pour rappel, selon Santé publique France (lire notre article), 40 000 décès sont attribuables chaque année aux particules fines. En outre, au-delà de ses impacts sur la mortalité, l’exposition à la pollution atmosphérique d’origine anthropique (en lien avec les activités humaines) constitue « un fardeau important pour la santé en France hexagonale ».
Selon la maladie et le polluant étudié, entre 12 et 20 % des nouveaux cas de maladies respiratoires chez l’enfant (soit entre 7 000 et presque 40 000 cas), et entre 7 et 13 % des nouveaux cas de maladies respiratoires, cardiovasculaires ou métaboliques chez l’adulte (soit entre 4 000 et 78 000 cas) sont attribuables annuellement à une exposition à long terme aux particules fines (PM 2,5) qui pénètrent profondément dans l’organisme et au dioxyde d’azote (NO2) d’origine anthropique, les oxydes d’azote contribuant en effet, aux côtés d’autres polluants atmosphériques, au déclenchement ou à l’aggravation de certaines pathologies chroniques.
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Risque de censure par le Conseil constitutionnel
Le vote de l’Assemblée nationale ne met pas fin aux restrictions actuellement en vigueur. La suppression des ZFE devra être confirmée par l’Assemblée nationale lors d’un vote sur l’ensemble du projet de loi. En effet, comme les services de l’Assemblée l’ont précisé au Citepa, le projet de loi a déjà été examiné en 1ère lecture au Sénat, devant lequel il avait été initialement déposé par le Gouvernement. Le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée sur ce texte, la convocation d’une commission mixte paritaire (CMP) après le vote final à l’Assemblée, composée de sept députés et de sept sénateurs – est à prévoir afin de trouver un accord sur une version commune.
L’article 15 ter supprimant les ZFE a été introduit par l’Assemblée nationale (sous réserve de l’adoption finale du texte) après l’examen au Sénat, et fera de ce fait partie des « dispositions restant en discussion » au sens de l’article 45 de la Constitution. Il appartiendra à la CMP de se prononcer sur le maintien, la suppression ou la modification de l’article 15 ter.
Si la CMP est conclusive, le texte qu’elle aura mis au point sera soumis pour approbation aux deux chambres. Si elle ne parvient pas à un accord, le texte poursuivra son chemin législatif en nouvelle lecture à l’Assemblée puis au Sénat – sur la base du texte adopté par l’Assemblée nationale, le cas échéant.
Par ailleurs, la mesure encourt un risque de censure au Conseil constitutionnel car il pourrait s’agir d’un cavalier législatif, éloigné sur le fond du texte initial.
En effet, cet amendement a été adopté dans le cadre de l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi de simplification de la vie économique. Ce dernier entend alléger la charge administrative qui pèse sur les entreprises, en particulier sur les plus petites, les TPE-PME. En outre, il a vocation à faciliter les projets industriels ou d’infrastructures. Dès lors, l’amendement supprimant les ZFE pourrait être perçu comme éloigné du sujet de ce projet de loi et être censuré par le Conseil constitutionnel.
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En savoir plus
ZFE – Paris – Zone à faibles émissions métropolitaine : les – Ville de Paris
ZFE – Lyon – Tout savoir sur la ZFE – ZFE
Airparif :
- La nouvelle étape de la zone à faibles émissions – mobilité métropolitaine va améliorer la qualité de l’air | Airparif
- 20240626_ZFE2025_MGP_Synthèse_non_technique_web.pdf
- 20240826_ZFE_MGP_Eval_a_priori_Etape_Critair3_2025_web.pdf