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Publié le 25 novembre 2025

« Super polluants » : le programme pluriannuel pour réduire les émissions de méthane et de HFC lancé lors de la COP30 vise à mobiliser 150 millions de dollars au cours de sa première phase

Par : Sophie Sanchez et Mark Tuddenham

Modifié le : 25/11/2025
Réf . : 2025_11_31

© Pexels – Marek Piwnicki

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En septembre 2025, Ana Toni, directrice de la COP30, avait appelé dans le cadre de la Semaine du climat à New York, à accélérer la réduction du méthane, un élément crucial pour ralentir le rythme et l’ampleur du réchauffement climatique. Si le méthane est un forceur climatique à courte durée de vie, il a un effet de réchauffement 86 fois plus fort que le CO2 par unité de masse sur une période de 20 ans.

Non seulement le méthane exacerbe le changement climatique, mais il a également un certain nombre d’effets indirects sur la santé humaine, les rendements des cultures et la santé de la végétation en raison de son rôle de précurseur de la formation d’ozone troposphérique.

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Contexte scientifique : le méthane et l’effet de serre 

Le méthane est un puissant gaz à effet de serre, un forceur climatique à courte durée de vie (SLCF – lire notre article)  (comme le carbone suie, l’ozone troposphérique et certaines espèces d’HFC), ainsi qu’un précurseur d’ozone troposphérique (comme les NOx, les COVNM et le CO). Il est ainsi concerné à la fois par les problématiques de changement climatique et de pollution atmosphérique.

Les forceurs climatiques à courte durée de vie – carbone noirméthaneozone troposphérique et hydrofluorocarbures (HFC) – sont les plus importants contributeurs au réchauffement climatique anthropique après le dioxyde de carbone comme le rappelle la Climate and Clean Air Coalition (CCAC), un partenariat volontaire de plus de 200 gouvernements, organisations intergouvernementales et organisations non gouvernementales fondé en 2012 et réuni au sein du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).

Selon l’édition 2025 du Bulletin annuel sur les GES publié le 15 octobre 2025 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM), le CH4 est le deuxième contributeur au forçage radiatif total des GES, à hauteur de 16 % en 2024, après le CO2 (66 %) et avant le N2O (6 %). En 2024, les concentrations moyennes mondiales de CH4 dans l’atmosphère ont atteint les niveaux les plus élevés jamais enregistrés depuis l’époque préindustrielle (1750) : 1 942,0 parties par milliard (ppb), soit +166% depuis 1750 (729,2 ppb).

Par rapport aux principaux gaz à effet de serre (CO2, N2O, HFC, PFC, SF6, NF3), le CH4 a une durée de vie courte dans l’atmosphère. Ainsi, dans son 6e rapport d’évaluation (2021), le Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) l’estime à 11,8 ans (voir tableau 7 SM7 p.1842), soit une légère réévaluation à la baisse de son estimation de 12,4 ans indiquée dans son 5e rapport d’évaluation (2013) (voir chapitre 8, appendice 8.A, tableau 8.A.1 pp.732).

Quant à la valeur PRG (pouvoir de réchauffement global – lire l’encadré dans notre article) du CH4, elle diffère sensiblement selon que le PRG soit considéré sur 20 ans ou sur 100 ans. Sur 100 ans, le 6e rapport d’évaluation l’estime à 27,9 ans (contre 28 ans dans le 5e rapport). Cependant, sur 20 ans, le PRG du CH4 est beaucoup plus important : 81,2 dans le 6e rapport (contre 84 dans le 5e rapport) (sources : AR6, voir tableau 7 SM7 p.1842 ; AR5, voir chapitre 8, appendice 8.A, tableau 8.A.1 pp.732). Autrement dit, le CH4  a un effet sur le climat beaucoup plus fort à court terme (20 ans) qu’à long terme (100 ans).

Dans son résumé à l’intention des décideurs du premier volume de 6e rapport d’évaluation (AR6), consacré aux sciences du climat et publié le 9 août 2021, le Giec souligne que les concentrations atmosphériques de CH4 en 2019 étaient les plus hautes depuis au moins 800 000 ans et que des réductions rapides, fortes et soutenues de CH4 limiteraient le réchauffement résultant de la baisse des émissions d’aérosols et amélioreraient la qualité de l’air.

Dans son résumé à l’intention des décideurs du 3e volume de l’AR6, consacré à l’atténuation et publié le 4 avril 2022, le Giec souligne que pour respecter l’objectif de +1,5°C, les émissions mondiales de CH4 doivent être réduites de 34 % d’ici 2030 et de 45 % d’ici 2050 (par rapport aux niveaux de 2019). Pour respecter l’objectif de +2°C, elles doivent baisser de 24 % d’ici 2030 et de 37 % d’ici 2050 (base 2019) (lire notre dossier de fond).

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Lors de la COP30, mais en dehors des négociations formelles, le Brésil, la Chine et le Royaume-Uni ont annoncé le 9 novembre 2025 avoir co-organisé un « sommet sur le méthane », réunissant des représentants de l’Allemagne, de la Barbade, de la France, de la Climate and Clean Air Coalition (CCAC) et de Bloomberg Philanthropies. À cette occasion, les dirigeants ont souligné la nécessité urgente de s’attaquer à « l’autre moitié » du changement climatique, notamment le méthane, l’oxyde nitreux et les hydrofluorocarbures (HFC).

Ainsi Marina Silva, ministre brésilienne de l’Environnement et du Climat, aux côtés de Ed Miliband, secrétaire d’État britannique à la Sécurité énergétique et au Zéro net, a annoncé le lancement d’un programme pluriannuel intitulé « Super Pollutant Country Action Accelerator » (Accélérateur d’action [pour les] pays très polluants) afin d’accélérer la réduction des émissions de méthane, de HFC et d’autres « polluants ultra-résistants » dans 30 pays en développement d’ici 2030.

Ce programme mettra en place des unités nationales dédiées aux super polluants, sur le modèle des unités ozone du Protocole de Montréal, qui ont fait leurs preuves (lire notre article), afin d’ancrer une action durable au sein des institutions gouvernementales. Les sept premiers pays participants, à savoir l’Afrique du Sud, le Brésil, le Cambodge, l’Indonésie, le Kazakhstan, le Mexique et le Nigeria recevront collectivement une aide initiale de 25 millions de dollars. L’initiative vise, selon ses initiateurs, à mobiliser 150 millions de dollars au cours de sa première phase et à mettre en œuvre des mesures coordonnées et à fort impact, alignées sur les priorités nationales, afin d’obtenir des bénéfices immédiats pour la santé publique, l’agriculture et la résilience économique, tout en renforçant la dynamique mondiale en faveur d’une action climatique à court terme.

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Le Royaume-Uni a également annoncé un effort collectif dans une déclaration intitulée « Réduire drastiquement les émissions de méthane dans le secteur mondial des combustibles fossiles ». Cette déclaration, qui a déjà été signée par onze pays (l’Allemagne, le Canada, le Chili, les États fédérés de Micronésie, la France, le Japon, le Kazakhstan, la Norvège, la République tchèque, le Royaume-Uni et le Sénégal) avec le soutien de la Commission européenne, de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et de l’Organisation latino-américaine de l’énergie (Olade), présente six mesures visant à accélérer les réductions tout au long de la chaîne de valeur du pétrole et du gaz, notamment des mesures et des vérifications rigoureuses, la fin du torchage et du dégazage systématiques d’ici 2030, le soutien aux pays producteurs à faible et moyen revenu, et la création d’un groupe de travail intergouvernemental chargé de développer un marché à intensité de méthane quasi nulle, dont les progrès seront présentés en 2026. Le Royaume-Uni et ses partenaires ont invité d’autres pays à approuver et à mettre en œuvre les objectifs de la déclaration.

De fait, déployer des solutions ciblées d’atténuation des émissions de méthane dans le secteur des combustibles fossiles aurait un impact considérable en permettant d’éviter une hausse d’environ 0,1°C des températures mondiales d’ici à 2050, a expliqué l’AIE (IEA en anglais) dans la mise à jour de son rapport annuel sur le méthane « Global Methane Tracker 2025 », publié le 7 mai 2025 (lire notre article). L’impact serait « comparable à l’élimination de toutes les émissions de CO2 de l’industrie lourde mondiale d’un seuI coup », précisait l’AIE.

En outre, plus de 80 % du potentiel de réduction des émissions de méthane d’ici 2030 peut être réalisé à moindre coût selon le rapport mondial sur le méthane publié le 17 novembre 2025 par le Programme des Nations unies pour l’environnement et la CCAC (voir encadré ci-dessous). Concrètement, 72 % du potentiel mondial de réduction du méthane se trouve dans les pays du G20+, où les émissions pourraient diminuer de 36 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2020 en atténuant les émissions dans les secteurs de l’agriculture, des déchets et des combustibles fossiles.

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Plus de 80 % du potentiel de réduction des émissions de méthane d’ici 2030 peut être réalisé à moindre coût – PNUE

Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et la Climate and Clean Air Coalition (CCAC), un partenariat volontaire de plus de 200 gouvernements, organisations intergouvernementales, entreprises, institutions scientifiques et organisations de la société civile, ont rendu public le 17 novembre 2025, en marge de la COP30 à Belém, le rapport mondial sur le méthane.

Le rapport indique que, bien que les émissions de méthane continuent d’augmenter, les émissions projetées pour 2030 dans le cadre de la législation actuelle sont déjà inférieures aux prévisions antérieures, grâce à des politiques nationales, des réglementations sectorielles et de changements sur le marché.

Ainsi de nouvelles réglementations sur les déchets en Europe et en Amérique du Nord, ainsi qu’un ralentissement de la croissance des marchés du gaz naturel entre 2020 et 2024, ont réduit les niveaux projetés [d’émissions] actuels et devraient permettre une baisse supplémentaire d’ici 2030, selon la législation actuelle, par rapport aux prévisions de 2021.

En outre, les Contributions déterminées au niveau national (CDN) remises dans le cadre de la COP30 et les Plans d’action nationaux sur le méthane soumis à mi-2025 pourraient se traduire par une réduction de 8 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2020.

Cependant, le rapport avertit que seule une mise en œuvre à grande échelle des mesures de contrôle éprouvées et disponibles permettra de combler l’écart pour atteindre l’objectif de l’Engagement mondial pour le méthane (Global Methane Pledge – GMP en anglais), à savoir une réduction de 30 % par rapport aux niveaux de 2020 d’ici 2030.

À cet égard, les solutions pour réduire les émissions de méthane existent déjà sur le marché et sont rentables, comme les programmes de détection et de réparation des fuites, le bouchage des puits abandonnés dans le secteur du pétrole et du gaz, la gestion de l’eau pour la culture du riz, ou encore la séparation et le traitement des déchets organiques dans les secteurs de l’agriculture et des déchets. Plus de 80 % du potentiel de réduction des émissions d’ici 2030 peut être réalisé à moindre coût, précise ainsi le document. Les mesures dans le secteur de l’énergie représentent 72 % du potentiel total de réduction, suivies par les déchets (18 %) et l’agriculture (10 %).

Concrètement, 72 % du potentiel mondial de réduction du méthane se trouve dans les pays du G20+, où les émissions pourraient diminuer de 36 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2020 en atténuant les émissions dans les secteurs de l’agriculture, des déchets et des combustibles fossiles. Un renforcement de la mesure, du reporting et du financement est essentiel pour suivre les progrès, cibler les principales sources et combler le déficit d’investissement.

Les avantages issus de ces politiques dépassent largement les coûts, comme le précisent les auteurs du rapport : une mise en œuvre complète de ces réductions techniquement réalisables à l’échelle mondiale pourrait éviter plus de 180 000 décès prématurés et 19 millions de tonnes de pertes de récoltes chaque année d’ici 2030. Toutes les mesures d’atténuation dans le secteur des combustibles fossiles pourraient être déployées pour un investissement représentant seulement 2 % des revenus du secteur en 2023.

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Contexte politique international : de plus en plus d’actions ciblant le méthane

Le méthane fait l’objet d’une attention internationale de plus en plus forte depuis quelques années :

  • selon le rapport spécial du Giec sur le réchauffement à +1,5°C, publié le 8 octobre 2018, pour respecter l’objectif de +1,5°C, les émissions de CH4 devront baisser de 35% entre 2010 et 2050 ;
  • dans leur évaluation mondiale sur le méthane (Global Methane Assessment), publiée le 6 mai 2021, le Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE) et la Coalition pour le Climat et l’Air Propre (CCAC) avaient estimé que les émissions anthropiques de CH4 pourraient être réduites de 45% au cours de la décennie 2021-2030. Une telle réduction permettrait de réduire le réchauffement climatique de 0,28°C sur la période 2040-2070 et serait compatible avec l’objectif de +1,5°C de l’Accord de Paris (lire notre article) ;
  • dans son résumé à l’intention des décideurs du premier volume de son 6e rapport d’évaluation (AR6), publié le 9 août 2021, le Giec souligne que des réductions rapides, fortes et soutenues de CH4 limiteraient le réchauffement résultant de la baisse des émissions d’aérosols et amélioreraient la qualité de l’air (lire notre dossier de fond;
  • l’UE et les États-Unis avaient annoncé conjointement le 18 septembre 2021 une nouvelle initiative, le Global Methane Pledge (Engagement mondial sur le méthane, lire le texte de l’engagement). Cet engagement avait été officiellement lancé le 2 novembre 2021, lors du sommet des dirigeants mondiaux à la COP-26 (lire notre article). Dans le cadre de cette initiative, les signataires s’étaient engagés sur un objectif collectif de réduction des émissions mondiales de CH4 d’au moins 30% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2020. Il s’agissait du premier engagement international chiffré de réduction visant les émissions du seul CH4 de l’ensemble des secteurs économiques. Les signataires s’engageaient également à s’efforcer d’appliquer les meilleures méthodologies de comptabilisation disponibles dans le cadre de leurs inventaires nationaux pour quantifier les émissions de CH4, en mettant l’accent sur les grandes sources d’émission. Au total, au 2 novembre 2021, 103 pays (dont la France) représentant 70% de l’économie mondiale et presque la moitié des émissions mondiales de CH4 d’origine anthropique, avaient apporté leur soutien à cette initiative. Six des 10 premiers pays ou régions émetteurs avaient signé l’engagement (Argentine, Brésil, États-Unis, Indonésie, Pakistan, UE selon la fiche d’information de la Maison blanche du 2 novembre 2021), quelques pays grands émetteurs étant absents (Chine, Inde, Russie). Aujourd’hui (au 7 novembre 2025), l’engagement compte 159 pays participants ainsi que la Commission européenne ;
  • à la veille de l’ouverture de la COP-26 et lors du sommet du G20 à Rome, le 31 octobre 2021, le PNUE, avec le soutien de la Commission européenne, avait lancé l’Observatoire international des émissions de méthane (International Methane Emissions Observatory ou IMEO). L’objectif d’IMEO est de relier les données d’émission à l’action en matière de recherche, de déclaration et de réglementations. IMEO collecte et intégre divers flux de données sur les émissions de méthane afin d’établir un registre public mondial des émissions de méthane vérifiées ;
  • le Pacte de Glasgow pour le climat, c’est-à-dire les deux principales décisions adoptées respectivement par la COP-26 (décision 1.CP.26) et par la 3e réunion des Parties à l’Accord de Paris (dite CMA-3) (décision 1.CMA.3), avait insisté sur l’importance d’envisager de nouvelles mesures pour réduire d’ici 2030 les émissions de GES hors CO2, et notamment le CH4. Pour la première fois, une décision de la COP (et de la CMA) faisait donc référence au deuxième GES le plus important ;
  • la décision phare de la CMA-5 (décision 1/CMA.5 adoptée au terme de la phase politique du bilan mondial de l’action climat [Global Stocktake ou GST]) fixe plusieurs objectifs (toutefois non contraignants) dans le cadre d’un paquet sur la transition énergétique pour accélérer les mesures d’atténuation des pays, dont le paragraphe § 28 : la CMA invite les Parties à contribuer à huit efforts mondiaux dont un portant sur le CH4: [§ 28f] accélérer une réduction forte des émissions de GES hors CO2, en particulier les émissions de CH4 d’ici 2030 ;
  • à Bakou, le 19 novembre 2024, lors d’un évènement de haut niveau sur la réduction des émissions de méthane provenant des déchets organiques, organisé par la présidence de la COP-29 en collaboration avec le PNUE, une déclaration sur la réduction de méthane provenant des déchets organiques (Declaration on Reducing Methane from Organic Waste ou ROW) a été lancée. Celle-ci visait à obtenir, dans le cadre des contributions déterminées au niveau national (CDN en français), des engagements ciblant le secteur de la gestion des déchets qui soient alignés sur l’objectif de +1,5°C, y compris des objectifs chiffrés de réduction du CH4 dans ce secteur. L’annexe 12 de la lettre présente cette initiative en détail.
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Pour en savoir plus

Méthane | Coalition pour le climat et l’air pur

Hydrofluorocarbures (HFC) | Coalition pour le climat et l’air pur

Polluants climatiques à courte durée de vie | Coalition pour le climat et l’air pur

Global Methane Status Report 2025 | UNEP – UN Environment Programme

Secteur des combustibles fossiles : 70 % des émissions de méthane pourraient être évitées – AIE – Citepa

COP30 calls on accelerated action to cut methane emissions from fossil fuels

A Turning Point for Methane: Leaders Move to Pull the Climate Emergency Brake at COP30

Déclaration : Réduire drastiquement les émissions de méthane du secteur mondial des combustibles fossiles | Coalition pour le climat et l’air pur

CCNUCC et Accord de Paris Energie Gaz fluorés