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La Cour des Comptes recommande de réduire l’écart fiscal entre le gazole et l’essence

  • Réf. : 2013_04_a3
  • Publié le: 1 avril 2013
  • Date de mise à jour: 24 juin 2019
  • France

Le CITEPA replace cette actualité dans le contexte de la fiscalité écologique en France.

Le 1er mars 2013, la Cour des Comptes, juridiction indépendante ayant pour mission de s’assurer du bon emploi de l’argent public et d’en informer les citoyens, a rendu public un référé sur la fiscalité de l’énergie et les dépenses fiscales rattachées à la mission écologie, aménagement et développement durables et énergie (c’est-à-dire le MEDDE aujourd’hui).

Le référé, établi dans le cadre du contrôle des dépenses fiscales de la mission précitée, a été transmis au MEDDE le 17 décembre 2012 par la Cour des Comptes.

Liste incomplète : dans ses observations, la Cour des Comptes constate que la fiscalité pesant sur l’énergie est caractérisée par « de nombreuses dépenses fiscales dont le recensement est incomplet et qui répondent davantage au souci de préserver certains secteurs d’activité [plutôt] qu’à des objectifs environnementaux« . A titre d’exemple, la Cour des Comptes cite les différentiels de taux de taxe intérieure sur la consommation (TIC) en faveur du gaz naturel et du charbon qui ne figurent pas tous sur la liste des dépenses fiscales, alors que certains de ces dispositifs comptent parmi les plus coûteux.

Détaxation du kérosène : par ailleurs, la Cour des Comptes met en avant que celle-ci n’est pas prise en compte dans la liste des dépenses fiscales. La détaxation du kérosène a été retirée de la liste des dépenses fiscales par la loi de Finances de 2009 au motif que l’exonération de la TIC pour les carburants destinés à propulser les aéronefs est prévue par la Convention Internationale de Chicago relative à l’aviation civile internationale (1944), ratifiée par la France le 25 mars 1947.

Exonération fiscale pour le kérosène

Dans les années 40, pour faciliter l’essor de l’aviation, une série d’accords bilatéraux relatifs aux services aériens a été signée. Parmi les clauses de ces accords figure l’exemption de toute taxe pour le carburant d’aviation destiné aux vols internationaux. Au niveau national, il en va de même, le carburant utilisé pour l’aviation est intégralement exonéré de taxe intérieure sur la consommation mais aussi de TVA. Ainsi, le kérosène est le seul carburant d’origine fossile dont la consommation ne supporte aucune taxe.

(Source : RAC-F, fiche d’information de juillet 2012)

La Cour des Comptes souligne que cette mesure a un coût élevé (3,5 milliards [Md] € en 2009, dont 300 à 400 M€ pour les vols intérieurs métropolitains). En outre, puisqu’elle bénéfice au mode de transport le plus émetteur par passager ou tonne transportée, elle va à l’encontre des objectifs nationaux de réduction des émissions fixés pour le secteur des transports (voir encadré ci-dessous).

Loi Grenelle 1 : objectifs de réduction pour les transports

Au titre de la loi Grenelle 1 (loi n°2009-967 du 3 août 2009), la France a fixé des objectifs nationaux pour le secteur des transports dans son ensemble et spécifiquement pour le secteur de l’aviation(1).


Objectif général pour les transports
(article 10.I) :

  • objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 20% d’ici 2020 afin de les ramener à cet horizon à leur niveau de 1990 (119 Mt CO2e pour les transports routiers et autres transports [hors UTCF, France métropolitaine, source : CITEPA/SECTEN, mise à jour avril 2013].

Objectifs spécifiques pour l’aviation (article 12.II) :

  • abaisser la consommation de carburant et les émissions de CO2, en réduisant les distances parcourues par les avions et en réduisant les temps d’attente et de roulage,
  • réduction d’ici 2020 de 50% de la consommation de carburant et des émissions de CO2 par passager.km et de 80% des émissions de NOx.

Un groupe de travail spécialisé au sein de la Cour des Comptes a évalué à 304 g la quantité de CO2 émise par € de dépense fiscale pour les seuls vols intérieurs, soit près de 400 000 t CO2 au total. Même si le secteur de l’aviation est désormais intégré au système d’échange de quotas d’émission (SEQE) de GES (au titre de la directive 2003/87/CE modifiée par la directive 2008/101/CE [article 3 ter](2)), « [le prix des quotas] a été divisé par quatre depuis 2008, ce qui n’est pas de nature à inciter les entreprises à investir pour émettre moins de GES« .

Taux de la TIC en faveur du gazole : le différentiel entre le taux de la TIC appliqué au gazole et celui appliqué aux autres carburants automobile (Code des Douanes, article 265), qui s’établit aujourd’hui à près de 0,18 €/litre selon le MEDDE, n’a jamais été inscrit sur la liste des dépenses fiscales. Alors que la loi de Finances de 1999 a entériné le principe de la réduction progressive de l’écart fiscal entre l’essence et le gazole, il reste supérieur à l’écart moyen de l’UE.

La Cour des Comptes pointe la perte de recettes fiscales « très élevée » due à ce différentiel, estimée par la Direction générale des douanes et des droits indirects à 6,9 Md€ en 2011. Si les répercussions du différentiel sur le coût des exonérations ou des taux réduits sur le gazole (dont bénéficient certains secteurs [pêche, agriculture,…]) étaient prises en compte, la dépense fiscale globale serait de l’ordre de 8 Md €.

Selon la Cour des Comptes, outre le fait que cette omission fausse l’information du Parlement (dans la mesure où elle soustrait l’effet de ce différentiel à l’obligation d’évaluation qui s’impose désormais aux dépenses fiscales), cette politique a fortement contribué à la diésélisation du parc automobile français.

Diésélisation du parc automobile français

Selon la Cour des Comptes, alors que les voitures particulières au diesel ne représentaient en 1990 que 15% du parc automobile total, cette part est passée à 55,3% en 2009. Par ailleurs, d’après l’ADEME, le taux de diésélisation du parc des automobiles neuves vendues s’est élevé à 72,4% en 2011, en hausse quasi-constante depuis 1990 où il se situait à 33%(3).

(Sources : Cour des Comptes, 1er mars 2013 & ADEME, 5 juin 2012)

La Cour des Comptes souligne que la diésélisation du parc automobile a un impact négatif avéré sur plusieurs plans :

  • économique : la France produit trop d’essence et ne produit pas suffisamment de gazole pour répondre à la demande intérieure, l’obligeant à en importer, ce qui n’est pas favorable à la balance commerciale,
  • environnement et santé : émissions des particules fines et de NOx notamment. Les voitures diesel sont les véhicules pour lesquels les recettes fiscales couvrent le moins bien les coûts externes (dont la santé).

Dans son analyse, la Cour des Comptes est formelle : « en favorisant la diésélisation du parc, responsable pour une très large part des dépassements des normes européennes [de qualité de l’air] pour plusieurs polluants(lire notre premier article sur ce sujet) / (lire notre deuxième article sur ce sujet), le différentiel de taux de la TIC en faveur du gazole va à l’encontre des objectifs du Plan Particules adopté [le 28] juillet 2010. »(4)

La fiscalité écologique en France – faits et chiffres clés

Les recettes de la fiscalité écologique s’élevaient à 36 Md € en 2010. Le montant de ces recettes représente 1,9% du PIB. La France se situe ainsi au 25e rang des Etats membres de l’UE (devant la Lituanie et l’Espagne) au regard de la part des recettes de la fiscalité écologique dans le PIB, avec le Danemark en tête suivi des Pays-Bas.

(source : MEDDE/CGDD/SOeS d’après Eurostat, novembre 2012)

Dans le cadre d’une analyse complète de la politique économique de la France, la Commission européenne a examiné le programme national de stabilité pour la période 2012-2016 et le programme national de réforme pour 2012. Le 30 mai 2012, la Commission a présenté un bilan approfondi de ces programmes qui montre que la France occupe l’avant-dernière place parmi les 27 Etats membres de l’UE en ce qui concerne la part de la fiscalité écologique dans les recettes fiscales nationales totales.

La Commission relève en particulier que la France devrait poursuivre les efforts pour mettre en œuvre l’éco-taxe poids lourds(5) conformément au calendrier prévu. Globalement, souligne-t-elle, « la France a une marge de manœuvre importante pour accroître la fiscalité écologique et pour utiliser les recettes qui en découleraient en vue de répondre à l’objectif d’alléger la pression fiscale sur le travail« .

(source : Commission européenne, document de travail SWD(2012)313 du 30 mai 2012, p.16)

Le Conseil de l’UE a également examiné les deux programmes précités et, dans un document publié le 30 mai 2012, a recommandé à la France de « prendre de nouvelles mesures en vue d’introduire un système fiscal plus simple et plus équilibré qui déplacerait la pression fiscale du travail vers d’autres formes de fiscalité pesant moins sur la croissance et la compéti-tivité extérieure, notamment la fiscalité écologique« .

(source : Recommandation du Conseil, COM(2012) 313 du 30 mai 2012, p.7)


Fiscalité du charbon
: en ce qui concerne les dépenses fiscales rattachées au programme intitulé « énergie et après-mines », le charbon est la ressource la moins taxée alors qu’il s’agit du combustible fossile le plus émetteur de CO2 [exemple : charbon : 95 kg CO2/GJ, gaz naturel : 57 kg CO2/GJ, fioul domestique : 75 kg CO2/GJ, fioul lourd : 78 kg CO2/GJ (source : CITEPA/OMINEA, 2012)]. La consommation de charbon représente en France 3,6% de la consommation d’énergie finale en 2011 (source : SOeS, bilan de l’énergie 2011) mais elle est à l’origine d’environ 7% des émissions de CO2 (hors UTCF, France métropolitaine, source : CITEPA/SECTEN, mise à jour avril 2013).

La Cour des Comptes souligne que, même si une taxe intérieure sur l’utilisation, comme combustible, des houilles, lignites et cokes a été introduit en 2007, son taux demeure très faible (1,19 €/MWh contre 5,74 €/MWh pour le fioul domestique) et son assiette très limitée. L’exonération des principales filières consommatrices (production d’électricité, de pétrole, sidérurgie, chimie, verre, céramique, cimenterie, secteur résidentiel/ tertiaire) a pour effet de taxer moins de 10% de la consommation. Ces dépenses fiscales ne favorisent donc pas la transition énergétique au titre des objectifs fixés par le Gouvernement lors de la Conférence environnementale des 14-15 septembre 2012.

En conclusion, la Cour des Comptes insiste sur le besoin de réorienter les dépenses fiscales relatives à l’énergie afin de favoriser la transition énergétique. A cette fin, elle recommande donc au Gouvernement :

  • d’appliquer les engagements de la loi Grenelle 1 sur les dépenses fiscales dommageables à l’environnement (article 54)(6), en réexaminant la pertinence de celles relatives à l’énergie car elles vont à l’encontre des objectifs environnementaux, et d’examiner en parallèle les moyens à mettre en œuvre afin de permettre une adaptation progressive des secteurs économiques concernés;
  • d’étudier un alignement progressif du taux de la TIC applicable au gazole destiné aux véhicules légers sur celui applicable à l’essence et ce, conformément aux orientations de la proposition de révision de la directive 2003/96/CE sur la taxation de l’énergie(7), et en cohérence avec les normes de l’UE sur la qualité de l’air (en particulier celles visant les particules fines et les NOx).


Dans une lettre adressée le 22 février 2013 à la Cour des Comptes, la Ministre de l’Ecologie a répondu aux différents points soulevés dans le référé. Premièrement, concernant les effets environnementaux négatifs de certaines dépenses fiscales relatives à l’énergie, la feuille de route issue de la Conférence environnementale prévoit que le Gouvernement réexaminera les dépenses fiscales relatives à l’utilisation des énergies fossiles afin d’orienter progressivement la fiscalité vers des utilisations moins émettrices de GES et de particules. Ces travaux sont actuellement conduits sous l’égide du Comité pour la fiscalité écologique (
voir encadré ci-contre). En clair, le Gouvernement attend les résultats de ceux-ci avant de présenter des propositions concrètes en ce sens.

Deuxièmement, sur la détaxation du kérosène, la Ministre souligne notamment que la suppression de celle-ci aurait des conséquences graves sur le secteur, étant donné la situation économique très fragile que connaissent aujourd’hui les transporteurs aériens français.

Enfin, concernant le différentiel de taux de la TIC en faveur du gazole, la Ministre rappelle :

  • qu’il résulte principalement du choix, opéré par la France et d’autres pays européens à la suite des premiers chocs pétroliers (1973 et 1979), de privilégier une politique fiscale en faveur d’une diésélisation du parc automobile,
  • que l’objectif de cette politique était de réduire les consommations de carburant dans le secteur du transport routier afin d’améliorer la sécurité de l’approvisionnement et l’indépendance énergétique de la France,
  • que l’impact sanitaire des émissions de particules des véhicules diesel impose aujourd’hui de reconsidérer ce choix.

Dans sa lettre, la Ministre de l’Ecologie affirme que, pour des raisons de santé publique, le MEDDE est favorable à une convergence progressive des fiscalités de l’essence et du diesel, toutefois sous certaines conditions (soit par une diminution concomitante de la fiscalité de l’essence, soit par l’affectation du rendement supplémentaire tiré de la hausse de la fiscalité du gazole à des mesures d’accompagnement et de justice sociale).

La publication du référé de la Cour des Comptes devrait amener le Gouvernement à se posi-tionner sur cette question sensible dans la perspective de l’éla-boration du projet de loi de Finances pour 2014.

La Ministre de l’Ecologie, Delphine Batho © Reuters, 2013


(1)
Voir SD’Air n°172 pp.13 et 14. (2)Voir SD’Air n°170 p.12. (3)Voir SD’Air n°183 p.10. (4)Voir SD’Air n°176 p.73. (5)Voir SD’Air 183 p.25. (6)Voir SD’Air n°172 p.20. (7)Voir ED n°179 p.109.

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