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Nouvelle tentative de la Commission de réviser la directive sur la taxation de l’énergie (consultation publique)

  • Réf. : 2020_03_a09
  • Publié le: 25 mars 2020
  • Date de mise à jour: 25 mars 2020
  • UE

La Commission européenne a lancé, le 4 mars 2020, une consultation publique sur la révision de la directive 2003/96/CE relative à la taxation de l’énergie (voir encadré ci-dessous). Elle a également publié une étude d’impact initiale (inception impact assessment) sur le sujet.

 

La directive 2003/96/CE

Une directive dépassée, contraire aux objectifs climat de l’UE

La directive 2003/96/CE restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, appelée communément la directive sur la taxation de l’énergie (DTE), fixe, pour les Etats membres, des taux minimaux de taxation pour les produits énergétiques utilisés comme carburant ou comme combustible, ainsi que pour l’électricité. Or, ces taux, qui s’appliquent généralement aux volumes consommés, ne tiennent compte ni du contenu énergétique de ces produits, ni des émissions de CO2 induites par leur consommation. La DTE, qui encourage entre autres l’utilisation du charbon (taux minimal de taxation le plus faible actuellement), est donc en contradiction avec les objectifs de l’UE en matière d’énergie/climat pour 2020, 2030 et 2050.

 

Première tentative de révision

Face à ce constat d’une directive dépassée et manquant de cohérence, le Conseil européen des 13-14 mars 2008(1) avait demandé un réexamen de la directive DTE en vue de la rendre plus conforme à ces objectifs. Cette révision était initialement prévue pour avril 2009, mais finalement ce ne fut qu’en 2010 que le Commissaire européen à la Fiscalité de l’époque Algirdas Semeta fixa la révision de la directive DTE comme priorité(2).

 

Le 13 avril 2011, la Commission européenne avait présenté une proposition de directive (réf. COM(2011) 169) modifiant la directive DTE (lire notre article sur ce sujet). Dans sa proposition de révision de la directive DTE, la Commission proposa de scinder le taux minimal de taxation en deux composantes :

  • une première composante basée sur les émissions de CO2 liées aux produits énergétiques, fixée à 20 € par tonne de CO2 à partir de 2013. Le montant de la taxe liée aux émissions de CO2 aurait été nul pour les biocarburants remplissant les critères de durabilité établis par la directive 2009/28/CE (article 17). Cette taxation, neutre du point de vue technologique car ne privilégiant aucune technique spécifique, devait favoriser les carburants produisant de faibles émissions de CO2. Elle devait s’appliquer à tous les émetteurs de CO2 et permettre d’aligner davantage la DTE sur le système d’échange de quotas d’émission (SEQE) de GES de l’UE, en mettant un prix sur les émissions de CO2 des secteurs non visés par celui-ci (transports, ménages, agriculture et petites installations industrielles) ;
  • une deuxième composante basée sur la consommation d’énergie, c’est-à-dire sur le contenu énergétique, exprimé en gigajoules (GJ), indépendamment du produit énergétique. Ceci devait refléter la quantité réelle d’énergie qu’un produit énergétique génère et récompenser automatiquement les modes de consommation efficaces en énergie. Cette taxation devait constituer une incitation à économiser l’énergie. Le taux minimal devait être fixé à 0,15 €/GJ pour les combustibles. Pour les carburants, le texte prévoyait une introduction progressive des taux en 2013 pour atteindre 9,6 €/GJ en 2018. Pour l’électricité, le taux prévu était de 0,15 €/GJ (soit environ 0,5 €/MWh).

A l’époque, la Commission tablait sur une entrée en vigueur du texte en 2013, en parallèle avec la mise en œuvre de la 3e période du SEQE (2013-2020).

 

Echec de la révision faute de consensus entre Etats membres

Sur la période 2012-2014, la proposition de révision a fait l’objet de débats au sein du Conseil Ecofin (débat du 22 juin 2012 [voir conclusions], puis débat du 14 octobre 2014 [voir conclusions]). Ce deuxième débat portait sur un projet de compromis élaboré par la Présidence italienne du Conseil (et publié le 9 octobre 2014) qui, selon la Commission, avait « totalement dénaturé le contenu de [sa] proposition » (source : annexe 2 de son programme de travail pour 2015 p.7). Compte tenu des positions divergentes des États membres concernant le projet de compromis, le Conseil a indiqué qu’il reviendrait sur le dossier ultérieurement. En effet, le texte s’est heurté à une forte opposition de la part de certains Etats membres (notamment le Royaume-Uni qui était hostile à toute harmonisation de la fiscalité). Les négociations du Conseil Ecofin n’ont donc pu aboutir à aucun accord.

Face à cette situation, la Commission finit par retirer sa proposition de directive en 2015 (voir liste des propositions retirées publiées au JOUE le 7 mars 2015, p.19) suite à son annonce en ce sens le 16 décembre 2014 dans son programme de travail pour 2015(3) (voir annexe 2 p.7). Voir le dossier législatif (procedure file) de la proposition de 2011.

 

Vers une nouvelle tentative de révision

En 2019, 11 ans après la demande de réexamen de cette directive, la Commission a réalisé une évaluation de la directive DTE et publié les résultats le 11 septembre 2019 sous forme de document de travail (réf. SWD(2019)329 final : synthèse et rapport complet). La Commission conclut que « la DTE est restée inchangée depuis son adoption alors que les technologies, les marchés de l’énergie et le cadre législatif de l’UE ont tous évolué ces 15 dernières années, ce qui a pour conséquence qu’il existe une incompatibilité importante entre la DTE et ces domaines« . Le constat d’une directive dépassée et manquant de cohérence, déjà fait 11 ans auparavant, est encore plus fort.

 

Ce constat d’échec a été confirmé par le Conseil Ecofin (Ministres de l’Economie et des Finances) du 5 décembre 2019 dans leurs conclusions. Pour ne pas s’arrêter sur cet échec, le Conseil Ecofin a affirmé qu’il était favorable à une mise à jour du cadre juridique en matière de taxation de l’énergie pour qu’il contribue aux grands objectifs stratégiques de l’UE en matière économique et environnementale. Dans cette perspective, le Conseil Ecofin a invité la Commission à analyser et à évaluer les options envisageables en vue d’une éventuelle révision de la directive sur la taxation de l’énergie qui reflèterait les besoins actuels de l’UE et des États membres. Ce faisant, le Conseil a demandé à la Commission de prêter une attention particulière au champ d’application de la directive, aux taux minima et aux réductions et exonérations fiscales spécifiques.

 

 

Dans sa communication sur le pacte vert pour l’Europe (European Green Deal), publiée le 11 décembre 2019 (lire notre dossier de fond sur le sujet), la Commission avait annoncé qu’elle proposerait de réviser la directive sur la taxation de l’énergie, en mettant l’accent sur les questions environnementales et en proposant d’utiliser les dispositions des traités qui permettent au Parlement européen et au Conseil d’adopter des propositions dans ce domaine au moyen de la procédure législative ordinaire à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité (voir éclairage du Citepa-dessous). La Commission souhaite réviser cette directive afin de renforcer les mesures européennes sur la taxation de façon à envoyer les bons signaux-prix (notamment via la tarification du carbone et la suppression des subventions aux combustibles fossiles) et à mettre en place les incitations fiscales appropriées.

 

 

L’éclairage du Citepa

Fiscalité : un processus de prise de décision particulier au niveau de l’UE

En matière fiscale, le Conseil de l’UE statue à l’unanimité et non pas à la majorité qualifiée. En effet, le Conseil doit statuer à l’unanimité sur les propositions fiscales, conformément à la procédure législative spéciale (articles 113 et 115 du Traité sur le fonctionnement de l’UE, dit TFUE). Par ailleurs, l’article 192 (paragraphe 2, 1er alinéa) et l’article 194 (paragraphe 3) du TFUE prévoient également que les dispositions et mesures, essentiellement de nature fiscale, dans le domaine de l’environnement et de l’énergie doivent être arrêtées par le Conseil statuant à l’unanimité (avec simple consultation du Parlement européen) conformément à la procédure législative spéciale.

Cela signifie donc que chaque Etat membre détient un droit de veto, ce qui rend très difficile toute décision dans ce domaine considéré comme sensible. La stagnation des travaux de révision de la DTE (voir encadré ci-dessus) illustre parfaitement ce problème.

 

A noter que la fiscalité est le dernier domaine d’action de l’UE où le processus de prise de décision repose exclusivement sur l’unanimité (source : Commission européenne, communication du 15 janvier 2019, Vers un processus décisionnel plus efficace et plus démocratique en matière de politique fiscale dans l’UE [COM(2019) 8 final]).

 

 

Le problème de départ

  • des subventions aux combustibles fossiles sont toujours en place. Des taux nationaux fortement variés s’appliquent en association avec plusieurs types d’exonérations et de réductions afin de protéger la compétitivité des industries européennes, et plus largement, des économies européennes. Ces nombreuses exonérations et réductions constituent de fait une forme de subvention aux combustibles fossiles, ce qui n’est pas du tout compatible avec les objectifs généraux du pacte vert pour l’Europe. Elles concernent des secteurs clés, tels que le transport aérien (voir encadré ci-dessous) et maritime, secteurs qui sont actuellement intégralement exemptés d’une fiscalité énergétique ;
  • la directive 2003/96/CE n’est pas compatible avec les objectifs politiques de l’UE, et notamment avec le système d’échange de quotas d’émission (SEQE) de gaz à effet de serre (GES), la directive (UE) 2018/2001 sur les énergies renouvelables (lire notre article sur le sujet) et la directive (UE) 2018/844 modifiant la directive 2012/27/UE sur l’efficacité énergétique (lire notre dossier de fond sur la directive de 2012). La directive 2003/96/CE ne promeut pas de façon suffisante des réductions d’émissions de GES, l’efficacité énergétique ou des combustibles/carburants alternatifs (hydrogène, carburants de synthèse, e-carburants, électricité, biocarburants avancés, etc.). La directive 2003/96/CE ne prévoit pas suffisamment d’incitations pour investir dans des technologies bas-carbone ;
  • un manque de pertinence pour le marché unique: la directive 2003/96/CE ne remplit plus son objectif principal, à savoir contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur, puisque les taux minimaux de fiscalité n’ont plus d’effet.

 

Historique de la détaxation du kérosène

Le kérosène embarqué pour des vols internationaux est exonéré de toute taxation conformément aux exigences de la Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale de 1944 [article 24]. Au départ, cette mesure était destinée à faciliter l’essor de l’aviation, Au niveau européen, cette exonération est prévue par la directive 2003/96/CE sur la taxation de l’énergie du 27 octobre 2003 [article 15.1(j)]. Au niveau national, il en va de même, le carburant utilisé pour l’aviation est intégralement exonéré de taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) mais aussi de TVA. Ainsi, le kérosène est le seul carburant d’origine fossile dont la consommation ne supporte aucune taxe.

La seule marge de manœuvre dont disposent les États signataires de la Convention de Chicago concerne donc la taxation des vols intérieurs pour lesquels la suppression de la détaxation serait compatible avec celle-ci et avec la directive précitée. Toutefois, cette latitude n’a pour le moment pas été employée par les États membres de l’UE.

 

 

Objectifs et options politiques de la révision de la directive 2003/96/CE

Les principaux objectifs de la nouvelle révision envisagée par la Commission européenne sont :

  • d’aligner la taxation des produits énergétiques et de l’électricité avec des politiques climat-énergie de l’UE en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’UE en matière de climat-énergie à l’horizon 2030 (les 40-32-32,5 – lire notre article sur le sujet) et 2050 (neutralité climatique – lire notre article sur le sujet) et ce, dans le contexte du pacte vert pour l’Europe (lire notre dossier de fond sur le sujet),
  • de préserver le marché intérieur en mettant à jour le champ d’application et la structure des taux, et en réduisant le recours aux exonérations et réductions fiscales par les Etats membres.

 

La Commission indique qu’elle compte élaborer une série d’options politiques fondées sur les éléments de base suivants, tout en précisant qu’elle pourrait proposer des options dédiées pour les secteurs aérien et maritime :

  • les taux minimaux de taxation: la révision tiendra compte de divers aspects ayant un impact sur les taux de taxation (inflation, contenu en énergie, lien avec les émissions de GES,…),
  • la différenciation de la taxation sectorielle : la révision examinera la différenciation entre le carburant pour véhicules motorisés et le combustible pour chauffage pour rationaliser les possibilités en vigueur pour appliquer des taux différenciés, des exonérations et des réductions. Il s’agira notamment de s’attaquer aux subventions aux combustibles fossiles,
  • la couverture des produits. Dans le cadre du système en vigueur, le recours à plusieurs nouveaux produits énergétiques (moins émetteurs de GES) n’est pas encouragé, puisqu’ils peuvent être taxés de la même façon que les produits énergétiques traditionnels (à plus forte teneur en carbone).

 

La date limite de remise des commentaires est le 1er avril 2020. La Commission prévoit de présenter une proposition législative au deuxième trimestre 2021.

 

(1)Voir ED n°166 p.I.316. (2)Voir CDL n°138 p.3. (3)Voir CDL n°187 p.5.

 

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