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Contentieux climat du Grande Synthe : le Conseil d’État précise les suites qu’il compte donner après la justification de l’Etat que ses mesures sont suffisantes pour atteindre l’objectif GES de -40% en 2030

  • Réf. : 2021_02_a13
  • Publié le: 26 février 2021
  • Date de mise à jour: 1 mars 2021
  • France

Avant de statuer définitivement sur une requête, déposée par la commune de Grande-Synthe (Nord) (voir encadré ci-dessous), le Conseil d’État avait demandé au Gouvernement, dans une décision du 19 novembre 2020, de justifier, dans un délai de trois mois, que son refus de prendre des mesures supplémentaires plus strictes est bien compatible avec le respect de la trajectoire de réduction choisie pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour 2030 (-40%, base 1990).

 

Après avoir reçu, le 22 janvier 2021, du Ministère de la Transition écologique (MTE) un mémoire justifiant que les mesures prises par le Gouvernement sont suffisantes pour atteindre cet objectif de -40%, le Conseil d’État a indiqué dans un communiqué, publié le 22 février 2021, les suites qu’il compte donner à ce contentieux et précise le calendrier à venir. Le Conseil d’État a aussi transmis le mémoire du MTE (non encore public) aux associations requérantes ou intervenantes pour recueillir leurs observations.

Le Conseil d’État et sa demande du 19 novembre 2020

Le Conseil d’État est la plus haute juridiction administrative publique française. Il est notamment le juge administratif suprême qui tranche les litiges relatifs aux actes des administrations.

Fin 2018, la commune de Grande-Synthe (Nord) et son maire ont demandé au Président de la République et au Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour que la France respecte ses engagements en termes de réduction des émissions de GES, pris dans le cadre de l’Accord de Paris et dans le cadre de ses objectifs nationaux (et notamment les budgets carbone de la Stratégie nationale bas-carbone, SNBC). Un refus du Président de la République et du Gouvernement leur a été opposé.

Soutenus par d’autres villes et ONG, ils ont alors saisi le Conseil d’État, qui a dû, pour la première fois, se prononcer sur la question des engagements climatiques de la France. Celui-ci s’est prononcé le 19 novembre 2020 via une décision. Sur la demande des requérants « que soient prises toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national de manière à respecter a minima les engagements consentis par la France au niveau international et national », le Conseil d’Etat a sursis à statuer en attendant que l’Etat prenne toutes les mesures utiles permettant de réduire plus efficacement les émissions de GES. Avant de statuer définitivement sur cette requête, le Conseil d’État a donc demandé au Gouvernement de justifier, dans un délai de trois mois (soit avant le 19 février 2021), que la trajectoire de réduction des émissions de GES pour 2030 (-40 % par rapport à 1990) pourra être respectée sans qu’il soit nécessaire de prendre des mesures supplémentaires.

Lire notre article « Contentieux climat : le Gouvernement a trois mois pour justifier au Conseil d’Etat que ses actions sont suffisantes
pour respecter ses objectifs climat », publié le 8 déc. 2020
.

 

 

Prochaines étapes (prévisionnel)

En avril 2021, la section du contentieux du Conseil d’État ouvrira la phase d’instruction avec procédure contradictoire sur la base de l’ensemble des éléments reçus (voir encadré ci-dessous).

 

À l’été, une nouvelle audience publique se tiendra au Conseil d’État, en présence des collectivités, des associations requérantes et intervenantes ainsi que des représentants du Gouvernement, déjà présents lors de l’audience du 19 novembre 2020. Le Conseil d’État pourra alors décider de :

  • cas n°1 : rejeter la requête des collectivités et associations s’il estime que, à la date à laquelle il se prononcera, les mesures prises par le Gouvernement sont suffisantes pour parvenir à respecter la trajectoire de réduction des émissions de GES à horizon 2030 ;
  • cas n°2 : ordonner que des mesures supplémentaires soient prises par le Gouvernement pour garantir le respect de la trajectoire fixée pour atteindre les engagements de la France à l’horizon 2030.

 

Conseil d’État : la phase d’instruction en bref

Avant le jugement d’une affaire, une phase d’instruction a lieu. Durant cette période de quelques semaines, le Conseil d’État recueille les arguments de l’administration et des requérants en règle générale par écrit (« mémoires ») et leur communique ceux de la partie opposée. Il peut aussi procéder à une instruction orale. C’est une phase contradictoire : chacune des parties peut discuter et contester la présentation des faits et les arguments juridiques que son adversaire lui oppose. À l’issue de ces échanges écrits et de leur analyse par un rapporteur du Conseil d’État, l’audience publique a lieu en présence des parties, et une décision est rendue 15 jours à 3 semaines plus tard.   (Source : Conseil d’Etat).

 

Dans le cas n°2, après l’été, si des mesures supplémentaires ont été ordonnées, un suivi de leur exécution sera réalisé par le Conseil d’État, avec une instruction et une procédure contradictoire débouchant sur une nouvelle audience et la possibilité d’une astreinte (amende) si les mesures ordonnées n’ont pas été prises.

 

L’Etat français, peut-il atteindre ses objectifs climat à l’horizon 2030 ?

Dans le cadre du recours de la ville de Grande-Synthe devant le Conseil d’État, les quatre organisations de l’Affaire du Siècle (Notre Affaire à Tous, Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France) ont mandaté le cabinet de conseil spécialisé sur la transition énergétique Carbone 4 afin de répondre à la question suivante : L’État français peut-il atteindre ses objectifs climat à l’horizon 2030 ?

L’étude, publiée le 24 février 2021, conclut qu’en l’état actuel des mesures prises ou envisagées, la France ne sera structurellement pas en mesure d’atteindre l’objectif de -40% de GES à l’horizon 2030.

En s’appuyant très largement sur les données d’émissions de GES élaborées par le Citepa, l’étude se focalise sur les déterminants concrets, physiques, des émissions de GES de la France. Elle cherche ainsi à estimer dans quelle mesure l’action de l’État permettra, ou non, de les transformer suffisamment profondément pour parvenir aux niveaux requis d’ici à 2030. L’étude montre d’abord qu’il existe une dépendance logique, dans le cadre d’une transition juste, entre l’atteinte de l’objectif de baisse de GES de la France et l’atteinte des bons niveaux d’ambition sur quelques paramètres “structurants” de la transition. Ces paramètres sont par exemple le nombre de logements à rénover, la taille du cheptel bovin, ou encore l’évolution du trafic ferroviaire en 2030.

Onze paramètres structurants couvrant la majorité du potentiel de réduction sont alors identifiés sur trois secteurs clés (transport de personnes, logement, agriculture).

L’étude estime le niveau que doit atteindre chacun de ces paramètres en 2030 pour être compatible avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Elle les compare ensuite avec le niveau qui sera probablement atteint en 2030 grâce aux mesures engagées ou prévues jusqu’ici par l’État.

L’étude conclut que sur les 11 paramètres, neuf ne parviendront pas au niveau requis. Ce retard sur les paramètres structurants induira nécessairement un retard significatif en termes de niveau d’émissions de GES sur ces trois secteurs clés.

En conclusion, la France ne semble pas structurellement en capacité d’atteindre ses objectifs climat à 2030 compte tenu des mesures déjà prises. L’existence de mesures néfastes pour le climat, et le rehaussement à venir de l’objectif climat européen constituent autant de facteurs aggravants.

Selon Carbone 4, dans l’état actuel des mesures adoptées ou envisagées et des moyens mis en œuvre, la France n’est donc structurellement pas en capacité d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés pour 2030. Des mesures supplémentaires sont nécessaires pour replacer le pays sur une trajectoire compatible avec l’objectif 2030, en vue d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Cette étude vient donc contredire le mémoire fourni par le MTE au Conseil d’Etat.

(Source : communiqué et étude de Carbone 4, 24 février 2021, p.8.)

 

En savoir plus :

 

Lire également notre article sur l’autre grand contentieux climat en cours en France :

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