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Emissions de GES : écart entre l’ambition 2030 et la science (Emissions Gap Report 2021 du PNUE)

  • Réf. : 2022_01_a03
  • Publié le: 11 janvier 2022
  • Date de mise à jour: 11 janvier 2022
  • International

Même avec la mise en œuvre intégrale des NDC, selon les projections du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) en 2030 ne seraient compatibles ni avec l’objectif de +1,5°C, ni avec l’objectif de +2°C. Les émissions doivent baisser de 24% entre 2019 et 2030 pour respecter l’objectif de +2°C et de 51,5% pour l’objectif de +1,5°C.

 

Le PNUE a publié le 26 octobre 2021 la 12e édition de son rapport annuel (Emissions Gap Report) sur l’écart entre le niveau d’émissions de GES mondiales prévues et le niveau nécessaire pour limiter le changement climatique. Plus précisément, ce rapport évalue l’écart entre :

  • le niveau de réduction collective des émissions de GES en 2030 nécessaire pour être compatible avec les objectifs de +2°C et de +1,5°C et,
  • les projections d’émissions mondiales de GES de tous les pays de la planète, basées sur leurs engagements de réduction pour 2025-2030, inscrits dans leurs contributions nationales (NDC) [soumises au titre de l’Accord de Paris]. Ces engagements sont inconditionnels [prévus quoi qu’il arrive] et/ou conditionnels [conditionnés à un soutien des pays industrialisés (financement, renforcement des capacités, transfert de technologies)]. Dans les deux cas, ces engagements ne sont pas pour autant contraignants [cf. article 4 de l’Accord de Paris]. Dans son rapport 2021, le PNUE a étendu son scénario NDC pour inclure l’ensemble des NDC les plus récentes (NDC nouvelles ou mises à jour lorsqu’elles ont été soumises par les Parties, et NDC précédentes dans le cas contraire), ainsi que tous les engagements de réduction pour 2030 officiellement annoncés avant le 30 août 2021.

 

Niveau d’émissions actuel, l’impact du Covid-19 sur les émissions en 2020 et le rebond en 2021

A l’heure actuelle, les estimations des émissions mondiales totales de GES pour l’année 2020 ne sont pas encore disponibles. Pour l’instant, pour 2020, seules les données d’émission du CO2 sont disponibles. Ainsi, le PNUE souligne que la pandémie du Covid-19 a entraîné une baisse sans précédent de 5,4% des émissions mondiales de CO2 issues de la combustion des combustibles fossiles en 2020. Même si les données d’émissions mondiales des autres GES hors CO2 pour l’année 2020 manquent encore, le PNUE projette que la baisse des émissions mondiales de l’ensemble des GES en 2020 devrait être moins importante que la baisse de 5,4% des émissions du seul CO2

 

Sur la période 2010-2019, les émissions de GES ont augmenté de 1,3%/an en moyenne (hors et avec UTCATF). En 2019, les émissions totales mondiales de GES ont atteint le niveau record de 51,5 Gt CO2e hors UTCATF et 58,1 Gt CO2e avec UTCATF (contre les estimations précédentes respectivement de 52,4 Gt CO2e et 58,1 Gt CO2e pour 2019 rapportées dans le rapport 2020 – lire notre article). Cet écart de rapportage pour l’année 2019 entre les deux rapports 2020 et 2021 s’explique par des ajustements à la baisse des estimations initiales pour 2019 après que des données d’émission plus complètes ont été publiées courant 2021.

 

Selon le PNUE, l’année 2021 devrait être marquée par un rebond important du niveau des émissions de GES suite à la reprise économique post-Covid-19. D’après les estimations préliminaires, les émissions de CO2 provenant de la combustion des combustibles fossiles (hors production de ciment) pourraient augmenter de 4,8% en 2021, si bien que le niveau d’émissions mondiales de CO2 ne devrait être que légèrement inférieur au niveau record de 2019.

 

Comment augmenteraient les émissions sans mise en œuvre des NDC ?

 

Comparées au scénario de référence (64 Gt CO2e en 2030), les trajectoires projetées sur la base des mesures existantes (scénario sans NDC [projections d’émissions mondiales en prenant en compte les politiques climat actuelles adoptées mais hors engagements de réduction des NDC]) devraient permettre de réduire les émissions mondiales de GES d’environ 9 Gt CO2e en 2030 pour atteindre 55 Gt CO2e, soit 4 Gt CO2e de moins que l’estimation du rapport 2020 (59 Mt CO2e). La moitié de la baisse observée entre les rapports 2020 et 2021 s’explique par les progrès réalisés dans les pays en matière de politique climatique, et l’autre moitié par le ralentissement économique généralisé dû à la pandémie de Covid-19.

 

Toutefois, le niveau à ne pas dépasser en 2030 pour ramener les émissions sur une trajectoire compatible avec l’objectif de +2°C est estimé à 39 Gt CO2e [soit 2 Gt CO2e de moins que le niveau estimé dans les rapports de 2020 et de 2019]. L’écart est donc de 16 Gt CO2e. Pour l’objectif de +1,5°C, le niveau à ne pas dépasser en 2030 serait de 25 Gt CO2e [le même niveau que celui estimé dans le rapport de 2020], soit un écart de 30 Gt CO2e.

 

Quel volume d’émissions la mise en œuvre des NDC permettrait-elle d’éviter ?

Même avec la prise en compte des NDC [scénario avec NDC], en 2030, les émissions mondiales de GES devraient être comprises entre 50 Gt CO2e [mise en œuvre intégrale des objectifs inconditionnels et conditionnels] et 52 Gt CO2e [mise en œuvre uniquement des objectifs inconditionnels], soit une réduction comprise entre 3 et 5 Gt CO2e par rapport au scénario sans NDC en 2030.

 

Cohérence avec les données du Giec

La fourchette de 50-52 Gt CO2e précitée est cohérente avec les projections du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] dans le résumé pour décideurs de son rapport spécial +1,5°C publié le 8 octobre 2018 (lire notre article et notre dossier sur le sujet) [Impacts du réchauffement à +1,5°C] : 52-58 Gt CO2e en 2030 sur la base du niveau d’ambition des premières NDC.

 

Comparaison de l’impact des NDC nouvelles ou mises à jour et l’impact des NDC précédentes

Le PNUE a analysé l’impact des NDC nouvelles ou mises à jour sur les émissions mondiales de GES par rapport à celui des NDC soumises précédemment.

 

Au 30 septembre 2021, 121 Parties (120 pays + l’UE dans son ensemble) avaient soumis leur NDC à la CCNUCC. Parmi les Parties ayant soumis une NDC nouvelle ou mise à jour, un plus grand nombre se sont fixé des objectifs de réduction par rapport aux premières NDC soumises (89% contre 79% auparavant). La proportion des nouvelles NDC ou mises à jour totalement inconditionnelles a augmenté, passant de 24% à 26%, tandis que la proportion des NDC totalement conditionnelles a baissé, passant de 31% à 18%.

 

Le PNUE souligne que l’effet cumulé des NDC nouvelles ou mises à jour est limité. En effet, les nouvelles NDC ou mises à jour inconditionnelles devraient conduire à une réduction totale des émissions mondiales de GES en 2030 d’environ 2,9 Gt CO2e par rapport aux NDC précédentes. Si les engagements de la Chine, de la Corée du Sud et du Japon sont pris en compte, cette réduction totale serait portée à un peu plus de 4 Gt CO2e en 2030 (NB. au moment de la rédaction du rapport 2021, ces engagements avaient seulement été annoncés, mais pas encore inscrits dans une nouvelle NDC ou mise à jour soumise à la CCNUCC. C’est désormais chose faite pour ces trois pays (voir liste des NDC nouvelles ou mises à jour)).

 

Bien que l’impact cumulé des NDC, nouvelles ou mises à jour, et des engagements annoncés à l’horizon 2030 soit estimé à 4 Gt CO2e, l’écart entre la science et l’ambition est réduit de seulement 2 Gt CO2e par rapport à l’année 2019. Collectivement, au regard des politiques actuelles, les pays sont loin de pouvoir atteindre les objectifs inscrits dans leur NDC, qu’elles soient nouvelles ou mises à jour, et leurs engagements annoncés.

 

L’écart entre l’ambition et la science : les NDC restent insuffisantes

Par rapport à l’année 2019, les NDC, nouvelles ou mises à jour, et les engagements annoncés ne permettraient de resserrer que très légèrement l’écart entre la science et l’ambition : en 2030, si ces objectifs et autres engagements étaient mis en œuvre, les émissions seraient tout de même trop élevées (entre 11 et 13 Gt CO2e en trop pour l’objectif de 2°C, et entre 25 et 28 Gt CO2e en trop pour l’objectif de +1,5°C). Ainsi, les nouveaux engagements pris pour 2030 (objectifs inconditionnels des NDC nouvelles ou mises à jour) permettraient de réduire les émissions projetées en 2030 de 7,5% supplémentaires seulement, par rapport aux engagements précédents. Les écarts précités, estimés pour 2020 dans ce rapport 2021, demeurent proches de ceux estimés pour 2019 dans le rapport 2020(1).

 

 

Sur la base de ces écarts observés, les émissions mondiales de GES doivent donc baisser de 24% en 2030 par rapport à 2019 pour engager une trajectoire d’émissions compatible avec l’objectif de +2°C et de 51,5% pour l’objectif de +1,5°C.

 

Les engagements [inconditionnels + conditionnels] pris par les Parties dans le cadre de leurs NDC, qui constituent le fondement de l’Accord de Paris, ne représentent qu’un peu plus d’un tiers des réductions d’émissions de GES nécessaires à l’horizon 2030 pour respecter l’objectif de +2°C et seulement un sixième pour respecter l’objectif de +1,5°C. En d’autres termes, il faudrait donc respectivement multiplier par 3,2 le niveau d’ambition inscrit dans les NDC pour respecter l’objectif de +2°C et par six pour respecter l’objectif de +1,5°C.

 

En outre, ces estimations se basent sur l’hypothèse que les pays mettraient en œuvre les engagements de réduction inscrits dans leurs NDC, ce qui est loin d’être acquis à ce stade.

 

Evolution des émissions mondiales de GES selon des scénarios avec et sans NDC par rapport aux objectifs de +2°C et de +1,5°C

Source : PNUE, Emissions Gap Report 2021

 

 

Les engagements pré-COP26, permettraient au mieux de limiter le réchauffement à +2,2°C … mais ces engagements restent souvent flous et irréalistes

La mise en œuvre des NDC nouvelles ou mises à jour entraînerait une augmentation des températures à l’horizon 2100 de +2,6°C [mise en œuvre intégrale des engagements] à +2,7°C [mise en œuvre des engagements inconditionnels seulement]. A titre de comparaison, la fourchette projetée dans les rapports 2020, 2019, 2018 et 2017 était de +3°C à +3,2°C. A l’inverse, la poursuite des politiques actuelles (sans NDC) conduirait à une hausse de +2,8°C d’ici 2100.

 

Selon le PNUE, la mise en œuvre des objectifs de neutralité carbone en 2050 formellement fixés dans la législation, la réglementation et/ou les NDC (ou bien annoncés par divers pays mais pas encore inscrits dans leur NDC) pourraient réduire cette augmentation d’environ 0,3°C (c’est-à-dire ramener la hausse à +2,2°C environ), à condition que les engagements 2030 inscrits dans les NDC et les politiques et mesures de mise en œuvre correspondantes soient rendus compatibles avec ces objectifs de neutralité carbone. Par ailleurs, le PNUE souligne que les objectifs de neutralité carbone 2050 sont de portée variable et comportent d’importantes ambiguïtés en ce qui concerne l’inclusion de secteurs spécifiques et des GES. La plupart de ces objectifs restent par ailleurs peu précis quant à l’inclusion des émissions de GES liées aux transports maritimes et aériens internationaux, ainsi que l’utilisation de crédits de compensation au niveau international. Enfin, pointe le PNUE, compte tenu du manque de transparence des engagements 2050, de l’absence d’un système de MRV (suivi, déclaration et vérification) et le fait que peu d’engagements pour 2030 mettent clairement les pays sur une trajectoire vers un niveau de zéro émission nette, il n’est pas certain que les engagements 2050 soient réalisables.

 

 

En conclusion, Le PNUE est formel.  Inger Andersen, directrice exécutive du PNUE a déclaré : « Pour avoir une chance de limiter le réchauffement de la planète à +1,5°C, il faudra réduire de près de moitié les émissions de gaz à effet de serre en l’espace de huit ans : huit années pour élaborer les plans, mettre en place les politiques, les appliquer et, enfin, faire de ces réductions une réalité….Les nations doivent mettre en place les politiques nécessaires pour respecter leurs nouveaux engagements, et commencer à les mettre en œuvre dans les mois qui viennent. Elles doivent rendre plus concrets leurs engagements pour atteindre zéro émission nette, en veillant à ce que ces engagements soient inclus dans les NDC et à ce que des mesures soient prises. Les pays doivent ensuite mettre en place les politiques nécessaires pour soutenir cette ambition accrue et, là encore, commencer à les mettre en œuvre de toute urgence. ».

 

De nouveaux engagements en 2021 permettraient, s’ils sont tenus, des réductions d’émissions supplémentaires

Le 4 novembre 2021, le PNUE a publié un addendum à son rapport 2021 à la suite de la remise de NDC nouvelles ou mises à jour, de l’annonce de nouveaux engagements 2030 ou 2050, faites depuis le 30 août 2021, date limite pour la prise en compte des objectifs et engagements dans le rapport 2021. Cet addendum fournit une évaluation provisoire de l’impact de ces NDC nouvelles ou mises à jour et de ces engagements 2030 et 2050.

L’addendum prend en compte de nouveaux engagements de réduction pour 2030 de 33 pays (dont 31 via les NDC et 2 via des annonces) pris entre le 30 août et le 4 novembre 2021. Le nombre total de Parties avec des engagements de réduction 2030 pris en compte s’élève désormais à 152 (couvrant 88% des émissions mondiales de GES).

 

Mise à jour des projections d’émissions mondiales de GES à l’horizon 2030

Selon les nouvelles estimations provisoires du PNUE, l’impact agrégé des objectifs inconditionnels dans toutes les NDC nouvelles ou mises à jour et de tous les autres engagements annoncés conduirait à une réduction totale des émissions mondiales de GES en 2030 d’environ 4,8 Gt CO2e par rapport aux engagements précédents, soit 0,7 Gt CO2e de plus que l’estimation du rapport 2021. Cette réduction accrue de 0,7 Gt CO2e s’explique essentiellement par des réductions supplémentaires provenant de l’Arabie saoudite (environ 30%), des pays hors G20 (30%), la Chine (30%) et d’autres facteurs (10%), comme des projections plus faibles en matière d’émissions de GES des transports maritimes et aériens internationaux.

 

Mise à jour de l’écart entre la science et l’ambition à l’horizon 2030

Les projections d’émissions de GES pour 2030 sur la base des objectifs inconditionnels seraient désormais de 51,5 Gt CO2e, soit 0,5 Gt CO2e de moins que l’estimation du rapport 2021.

Les projections d’émissions de GES pour 2030 sur la base des objectifs conditionnels seraient désormais de 48 Gt CO2e, soit environ 1,5 Gt CO2e de moins que l’estimation du rapport 2021.

Selon ces estimations révisées, d’ici 2030, si ces nouveaux objectifs et engagements étaient mis en œuvre, les émissions seraient toujours trop élevées (entre 9 et 12,5 Gt CO2e en trop pour l’objectif de 2°C, et entre 23,5 et 27 Gt CO2e en trop pour l’objectif de +1,5°C). Ces estimations correspondent à une probabilité de 66% de rester en deçà de la limite de réchauffement fixée.

 

(1) A titre de comparaison, les écarts estimés par le PNUE pour 2019 (rapport 2020 – lire notre article) étaient de 12 à 15 Gt CO2e (2°C) et de 29 à 32 Gt CO2e (1,5°C), pour 2018 (rapport 2019 – lire notre article) étaient de 13 à 15 Gt CO2e (2°C) et de 29 à 31 Gt CO2e (1,5°C), pour 2017 (rapport 2018 –lire notre article) : de 13 à 16 Gt CO2e (2°C) et de 29 à 32 Gt CO2e (1,5°C), et pour 2016 (rapport 2017 –lire notre article) : de 10,8 à 13,2 Gt CO2e (2°C) et de 16 à 19 Gt CO2e (1,5°C)

 

Rapport d’octobre 2021 : Voir pages du site du PNUE consacrées au rapport, communiqué en français et en anglais, synthèse en français et en anglais, messages clés (en français), rapport intégral (en anglais).

Addendum : Voir addendum au rapport

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