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Le point sur les objectifs de sortie du charbon en Europe et l’impact de la guerre en Ukraine

  • Réf. : 2022_04_a01
  • Publié le: 6 avril 2022
  • Date de mise à jour: 4 avril 2022
  • UE

Dans le volet Energie du Green Deal (Pacte Vert) stratégie présentée par la Commission européenne le 11 décembre 2019 (Lire notre Dossier de Fond), afin de parvenir à un « approvisionnement énergétique propre, abordable et sûr », elle insiste sur la nécessité de poursuivre la décarbonation du système énergétique afin d’atteindre les objectifs climat fixés pour 2030 et 2050, principalement la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). La Commission accorde la priorité à l’efficacité énergétique mais souhaite également mettre en place un secteur de l’énergie reposant largement sur une intégration « intelligente » des sources renouvelables, tout en abandonnant rapidement le charbon et en décarbonant le gaz. Le Fonds de Transition Juste (Just Transition Fund – lire notre dossier de fond sur le sujet) prévu dans le cadre du Green Deal européen vise les territoires les plus en difficultés économique et socialement face à la transition énergétique, et notamment ceux dépendant du charbon.

Plusieurs appels ont aussi été lancés pour accélérer la fin du charbon en Europe :

  • Une analyse de Climact et du think tank Ecologic publiée le 28 septembre 2020 indique que l’ambition européenne de renforcer l’objectif climat 2030 (lire notre article sur le sujet) mènerait à faire passer le charbon à 2% du mix énergétique dans l’UE (contre 17% en 2020).
  • Une analyse publiée par Bloomberg le 6 juillet 2020 se penchait sur la transition énergétique en Bulgarie, Tchéquie, Pologne et Roumanie ; et particulièrement sur l’après-charbon.
  • Un document d’Ember et CAN-Europe, publié le 9 septembre 2020, indiquait que sept pays de l’UE, notamment ceux visés par le Fonds pour une transition juste n’avaient alors pas mis en place une sortie de charbon – la Pologne en faisait partie.

 

De nombreux pays européens se sont engagés, entre 2015 et 2021, sur une fin progressive des centrales à charbon

Plusieurs Etats membres européens ont annoncé ces dernières années des objectifs de sortie du charbon. D’après un rapport d’Europe Beyond Coal de décembre 2019, depuis 2015, 15 pays européens (UE et non-UE) avaient annoncé un tel objectif : d’ici 2030 (Royaume-Uni, Irlande, France, Italie, Portugal, Danemark, Suède, Finlande, Grèce, Autriche, Slovaquie, Hongrie) ou après 2030 (Allemagne). En Tchéquie et en Espagne, des discussions étaient alors en cours. Restaient alors notamment la Pologne, Roumanie, Bulgarie, Croatie, Serbie… sans objectif de sortie du charbon à l’époque. A noter que pour plusieurs pays (Norvège, Islande, Belgique, Suisse, Albanie, Estonie, Lettonie, Lituanie et Chypre), le rapport ne faisait état d’aucune centrale à charbon en fonctionnement. Depuis ce rapport, sept autres pays (soit un total de 22) ont fait de nouvelles annonces en ce sens. Ainsi, des annonces récentes ont été faites par certains pays, notamment :

  • la Pologne a annoncé le 8 septembre 2020 une mise à jour de sa stratégie énergétique à horizon 2040, visant le développement de l’énergie nucléaire (vers une capacité de 6 à 9 GW) et de l’éolien (construction de 8 à 11 GW offshore). Ainsi, la part du charbon dans la production d’électricité, actuellement à 75%, atteindrait 37% à 56% en 2030 et 11 à 28% en 2040. A noter que c’est la Pologne qui bénéficiera le plus du Fonds de Transition Juste ;
  • en Tchéquie, le nouveau gouvernement avait annoncé le 7 janvier 2022 qu’il sortirait du charbon en 2033, avec notamment une stratégie de décarbonation du chauffage des bâtiments ;
  • en Allemagne, la chancelière A. Merkel avait indiquélors du Sommet des dirigeants sur le climat des 22-23 avril 2021 que la fin progressive du charbon était prévue pour 2038 au plus tard, comme prévu dans son Plan Climat de 2019 ;
  • en France, le 3 avril 2019, le Ministre de la Transition écologique et solidaire avait présenté une feuille de route pour la fermeture, d’ici 2022, des dernières centrales de production d’électricité qui fonctionnement au charbon, fermeture prévue par le Plan Climat adopté le 6 juillet 2017 (cf. axe 8). Il s’est appuyé sur un rapport établi par RTE (Réseau de Transport d’Electricité, gestionnaire du réseau) présentant des analyses complémentaires sur l’équilibre offre-demande d’électricité en France sur la période 2019-2023. Par ailleurs, l’art. 12 de la loi énergie-climat (loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019) prévoit qu’un décret fixe un plafond d’émissions de gaz à effet de serre, à compter du 1er janvier 2022, aux installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles, émettant plus de 0,55 tonne CO2e par MWh. Le décret pris en ce sens (n°2019-1467 du 26 décembre 2019) avait permis la mise à l’arrêt de deux des quatre dernières centrales thermiques utilisant du charbon en France métropolitaine. En raison d’une vigilance de RTE sur l’hiver 2021-2022 (notamment du fait de la faible disponibilité du parc nucléaire avec l’arrêt des réacteurs de Chooz et de Civaux), un nouveau décret (n°2022-123 du 5 février 2022) a été publié pour prévoit une dérogation exceptionnelle au plafond d’émissions de GES des deux centrales thermiques en fonctionnement, et ensuite une baisse de ce plafond. Ce nouveau décret avait pu être hâtivement interprété dans la presse comme une relance du charbon, alors qu’il ne permet pas d’autoriser la mise en service de nouvelles centrales (voir l’analyse d’A. Gossement, avocat spécialiste en droit de l’environnement).
  • le Royaume-Uni a indiqué, le 30 juin 2021, qu’il prévoyait d’atteindre en octobre 2024, soit avec un an d’avance, son objectif de sortie des centrales à charbon.

 

La hausse du charbon en dehors de l’Europe

Le 17 décembre 2021, l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) a publié un rapport (résumé) sur la situation du charbon dans le monde en 2021, ainsi que des projections sur sa consommation d’ici 2024. Ce rapport montrait un rebond de la consommation de charbon lié à l’après-crise Covid-19, y compris en Europe. Il prévoyait une baisse de la consommation de charbon en Europe et aux Etats-Unis entre 2021 et 2024 (via une hausse des énergies renouvelables et le retour vers le gaz), cependant compensée par une forte hausse en Asie, principalement en Chine et en Inde.

Ce rapport ayant été publié avant le conflit en Ukraine (voir ci-dessous), ces projections sont en partie devenues obsolètes, du moins pour l’Europe, compte tenu des conséquences du conflit sur les prix des énergies fossiles, notamment le gaz, et sur l’évolution des choix d’approvisionnement des Etats-membres de l’UE.

 

Crise géopolitique : au-delà de l’enjeu climat, la souveraineté énergétique de l’UE

L’invasion de l’Ukraine par la Russie entamée le 24 février 2022 entraîne des conséquences sur les prix de l’énergie (notamment le gaz) et sur les politiques énergétiques des Etats-membres de l’UE, dont certains dépendent fortement de l’importation de gaz russe.

Le 8 mars 2022, la Commission européenne a annoncé un plan pour rendre l’UE indépendante des importations de combustibles fossiles russes bien avant 2030. En plus du gaz, le communiqué souligne l’importance des importations de charbon de Russie (qui en représente 45% des importations). Ainsi, la Commission indique que « l’invasion de l’Ukraine rend la nécessité d’une transition rapide vers une énergie propre plus forte et plus évidente que jamais ».

Cependant, face à la très forte hausse des prix des énergies fossiles importées, le charbon reste une alternative de court-terme pour plusieurs Etats membres et autres pays européens. Ainsi, d’après un article d’EENews, la fermeture prévue d’une centrale à charbon en Allemagne et d’une autre au Royaume-Uni aurait d’ores-et-déjà été retardée. Le 24 mars 2022, le gouvernement allemand a ainsi annoncé qu’il se donnait la possibilité de « suspendre » la fermeture prévue de certaines centrales à charbon, prolongation confirmée ensuite le 28 mars. De son côté, dans un communiqué publié à la suite d’un Conseil des ministres le 28 février 2022, l’Italie envisage « si nécessaire », le recours à d’autres sources d’énergie comme le charbon. En France, la centrale thermique Émile-Huchet à Saint-Avold (Moselle), dont la mise à l’arrêt était prévue initialement le 31 mars 2022, conformément à la loi Energie-climat de 2019, pourrait exceptionnellement être encore utilisée lors du prochain hiver (source : AFP).

D’après une analyse de Rystad Energy publiée le 18 février 2022, en cas de continuation et d’aggravation du conflit, la production de charbon en Europe pourrait connaître une hausse de 11% en 2022.

Le 24 mars 2022, des chercheurs de l’Ecole de la gouvernance Transnationale au sein de l’European University Institute ont publié une analyse identifiant cinq éléments clés pour comprendre comment l’invasion de l’Ukraine affectera la transition énergétique en Europe :

  • à court terme, la hausse des prix de l’énergie pourraient favoriser une hausse, temporaire, des émissions de GES liées à la production d’énergie ;
  • la crise devrait renforcer la volonté d’économiser les énergies fossiles, via l’efficacité énergétique et le recours aux renouvelables ;
  • la crise souligne encore plus la nécessité d’une transition juste socialement ;
  • alors que des Etats membres envisagent, dans ce contexte, des modifications majeures des règles du marché européen de l’énergie et notamment du marché régulé de l’électricité, les chercheurs attirent l’attention sur les risques indésirés sur la stabilité de ces marchés et les investissements ; et soulignent l’importance du signal d’un prix du carbone élevé ;
  • même en développant des énergies bas-carbone, l’UE aura toujours besoin d’importer (de l’hydrogène vert, des terres rares et matériaux nécessaires aux batteries et aux énergies renouvelables).

 

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