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Neutralité carbone en 2050 : le CESE formule six recommandations

  • Réf. : 2020_03_a07
  • Publié le: 20 mars 2020
  • Date de mise à jour: 21 mars 2020
  • France

Le 11 mars 2020, le Conseil économique, social et économique ((voir encadré ci-dessous) a adopté une résolution intitulée « Accord de Paris et neutralité carbone en 2050 : comment respecter les engagements de la France ? ».

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE)

Troisième assemblée constitutionnelle de la République après l’Assemblée nationale et le Sénat, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) est inscrit dans la Constitution de la Ve République (titre X, devenu après la révision de 1993 le titre XI). Initialement créé en 1925 en tant que Conseil national économique (CNE), refondu en 1946 en Conseil économique (CE), puis transformé en 1960 en Conseil économique et social (CES) et enfin en 2008 en Conseil économique, social et environnemental , le CESE conseille le gouvernement et le parlement et participe à l’élaboration et à l’évaluation des politiques publiques dans ses champs de compétences. Il favorise le dialogue entre les différentes composantes de la société civile organisée et qualifiée en assurant l’interface avec les décideur.euse.s politiques. La loi organique n° 2010-704 du 28 juin 2010, actuellement en vigueur, a regroupé en trois grands pôles les 233 membres du CESE qui sont désignés pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois : 140 membres au titre de la vie économique et du dialogue social, 60 membres au titre de la cohésion sociale et territoriale et de la vie associative, 33 membres au titre de la protection de la nature et de l’environnement. Voir site, historique et dossier de présentation du CESE.

 

Cette nouvelle résolution du CESE s’appuie sur une analyse de la réponse du gouvernement au premier rapport rendu par le Haut Conseil pour le Climat (voir encadré ci-dessous). Le CESE formule ainsi six recommandations pour améliorer la cohérence entre les politiques mises en œuvre et l’objectif de neutralité carbone en 2050, fixé par la loi énergie-climat du 8 novembre 2019 (loi n°2019-1147 – lire notre article sur le sujet).

 

Contexte

Le Haut Conseil pour le Climat (HCC) est une institution indépendante installée le 27 novembre 2018 par le gouvernement (créé par le décret n°2019-439 du 14 mai 2019) pour renforcer les politiques climatiques de la France et en évaluer la cohérence (lire notre article sur le sujet), avait publié le 25 juin 2019 son premier rapport annuel Agir en cohérence avec les ambitions (lire notre article sur le sujet). Ce premier rapport analysait le respect de la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Conformément au décret de création du HCC, le gouvernement doit apporter une réponse à chaque rapport annuel du HCC dans un délai de six mois à compter de sa remise. Le gouvernement a ainsi apporté une réponse officielle, via un rapport du 10 janvier 2020, au Parlement et au CESE, en indiquant les suites qu’il entend donner au rapport du HCC. C’est sur la base de cette réponse du gouvernement au premier rapport du HCC que se fondent les recommandations du CESE du 11 mars 2020.

 

Dans sa résolution, le CESE se fonde d’abord sur quatre constats préalables :

  • au vu de l’ampleur des mutations à opérer, le risque de non-respect des objectifs fixés est majeur. Avérée dès la première période d’application de la SNBC, de 2016 à 2018, ce risque impose, d’après le CESE, de se doter des moyens de constater rapidement les dérapages éventuels, d’en dresser le diagnostic, et de mettre en œuvre aussitôt les moyens correctifs nécessaires. Pour le CESE, dans une telle situation de non-respect des objectifs, le seul fait de repousser à la période suivante le soin de rattraper le retard pris, sans en avoir recherché et éliminé les causes, met en doute la crédibilité d’ensemble de la politique suivie ;
  • la question du financement des actions à mettre en œuvre pour respecter l’objectif de neutralité carbone en 2050 ne peut être éludée. Le gel de la progression de la taxe carbone décidé en 2018 suite à la crise des « gilets jaunes », ne peut exonérer d’assurer la progression indispensable des financements globaux, par des budgets publics, des financements privés dédiés ou des mesures réglementaires, ni de reporter la charge financière sur les acteurs tenus de les appliquer. Le CESE rappelle que la mise en place de ces financements supplémentaires, évalués à 20 milliards d’euros par an dès la période 2019-2023, est indispensable au respect durable des trajectoires ambitieuses affichées. L’inaction, ou l’insuffisance des moyens alloués pendant cette période, reporterait sur les périodes suivantes un coût plus élevé, en augmentant l’intensité des efforts à faire pour rejoindre une trajectoire compatible avec l’objectif visé pour 2050 ;
  • la gouvernance des politiques d’adaptation, notamment par la conception et le suivi des plans nationaux d’adaptation au changement climatique (PNACC), n’est pas au même niveau de portage que celle des politiques d’atténuation, empêchant ainsi la perception de nécessité de ces deux politiques conjointes et leur mise en cohérence ;
  • la France doit jouer un rôle moteur dans la mise en œuvre du nouveau « Pacte vert pour l’Europe » (European Green Deal) présenté par la Commission le 11 décembre 2019 (lire notre dossier de fond sur le sujet). Pour le CESE, elle ne pourra le faire que si elle est elle-même exemplaire, dans le respect des règles ou des objectifs qu’elle souhaite voir étendre à toute l’UE.

 

Les six recommandations du CESE

1) Renforcer la compatibilité de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC lire notre article sur le sujet), dont la révision est en cours (lire notre article sur le sujet), avec les lois et les grands projets nationaux d’une part, et avec les politiques territoriales d’autre part :

  • les budgets carbone devraient comporter systématiquement les précisions nécessaires concernant les échéanciers, les indicateurs de suivi, les outils statistiques permettant d’analyser et de rectifier les écarts constatés ;
  • les évaluations d’émissions de GES devraient être intégrées dans les prescriptions générales relatives aux études d’impact de tous les projets de loi,
  • il faudrait engager une nouvelle évaluation du dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE – lire notre article sur le sujet),
  • le CESE recommande que le gouvernement demande au HCC de lui proposer les indicateurs territoriaux pour s’assurer de la cohérence entre les objectifs territoriaux et nationaux.

 

2) Le niveau d’ambition et le contenu de la SNBC 2 (2019-2023) doivent être compatibles avec l’objectif de neutralité carbone en 2050, et le gouvernement doit disposer des moyens de constater et rectifier les dérapages constatés :

  • le HCC recommandait dans son rapport du 25 juin 2019 qu’il n’y ait pas de baisse des ambitions de réduction des émissions de GES dans le projet de SNBC 2 (2019-2023), au regard des résultats moins bons que prévus de la SNBC 1 (2016-2018). Une telle baisse d’ambition pour la période actuelle, si elle était actée pour la période 2019-2023, repousserait et accentuerait l’effort nécessaire dans les périodes suivantes pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Le HCC préconisait aussi de rechercher les causes des mauvais résultats de la période 2015-2018. Le gouvernement n’a pas suivi la recommandation de maintenir le niveau d’exigence de la SNBC initialement prévu pour la période actuelle. Le CESE déplore à la fois cette baisse d’ambition prévue dans le projet de SNBC-2 et le fait que le gouvernement ne fournisse pas d’analyse des causes des dérapages constatés;
  • le CESE recommande au gouvernement de faire évoluer, avec l’appui du HCC, le dispositif de suivi annuel des émissions de GES (voir encadré ci-dessous) et de l’empreinte carbone afin de permettre à l’exécutif d’ajuster de façon plus réactive les politiques publiques aux budgets carbone alloués annuellement, en cohérence avec l’analyse des évolutions de l’indicateur « empreinte carbone » effectuée chaque année par le CESE.

 

Pour le volet émissions de GES, ce dispositif de suivi de cet indicateur au regard des politiques publiques et l’objectif de neutralité carbone de la France, viendrait compléter le dispositif existant MRV de production, rapportage et vérification des émissions de GES françaises (voir encadré ci-dessous).

 

L’éclairage du Citepa

Rappel sur le dispositif MRV existant de production, rapportage et vérification des émissions de GES en France

Conformément à l’arrêté du 24 août 2011 modifié sur le Système national d’inventaires d’émissions et de bilans dans l’atmosphère (dit arrêté SNIEBA), le gouvernement dispose d’un système national permettant d’estimer, de rapporter et de vérifier les émissions nationales de GES (et de polluants atmosphériques). Dans ce cadre, le travail opérationnel est confié au Citepa, en tant qu’opérateur d’état pour le compte du Ministère en charge de l’Environnement (MTES) dans le cadre des engagements internationaux et européens de la France.

 

Outre le contrôle qualité assuré par le Citepa (certifié ISO 9001), chaque année, les résultats d’inventaires des émissions font l’objet d’examens de tierces personnes et de discussions au sein du Groupe de concertation et d’information sur les inventaires d’émissions (GCIIE), conformément à l’article 6 de l’arrêté SNIEBA.

 

A noter que l’arrêté SNIEBA et la mission du Citepa dans ce cadre ne concernent pas l’estimation de l’empreinte carbone de la France qui est produite par ailleurs par le CGDD/SDES (lire notre article sur la différence entre approche inventaires nationaux et approche empreinte carbone).

 

Les résultats d’inventaires de GES par secteur, produits dans le cadre de l’arrêté SNIEBA, constituent des indicateurs de suivi de la SNBC. Ces chiffres d’inventaires de GES consolidés, publiés au cours du 2e trimestre de l’année N, concernent les années jusqu’à l’année N-2. Par exemple, l’inventaire qui sera publié au printemps 2020 concernera les années 1990 à 2018. Par ailleurs, un inventaire de GES « proxy », c’est-à-dire approximé de l’année N-1 (dans notre exemple : 2019) est également produit au cours du 2e trimestre de l’année N : ce dernier, même s’il ne correspond pas à un inventaire de GES consolidé, est un outil et indicateur utilisé par les autorités nationales dans le suivi des politiques publiques et le positionnement de la France vis-à-vis de ses objectifs de réduction des GES.

 

Par ailleurs, pour le compte du DLCES (Département de lutte contre l’effet de serre, au sein du MTES), le Citepa avait pu travailler sur les facteurs explicatifs sous-jacents des évolutions des émissions de GES historiques, lors d’une étude statistique ACP (analyse en composantes principales) et régression multivariable effectuée dans le cadre de la première SNBC (lire cette analyse pp.168-184 de la SNBC 1 de décembre 2015). Cela concernait plusieurs secteurs (notamment le secteur transport avec en particulier les effets de la prime à la casse sur les émissions). Cette expérience pourrait être réactivée et mise à profit dans le cadre du suivi des indicateurs émissions de GES au regard des politiques publiques et l’objectif de neutralité carbone de la France. Dans cette optique, il serait envisageable de construire de nouveaux indicateurs proxy (sur la base de facteurs explicatifs sous-jacents) utiles au dispositif de suivi des émissions de GES au regard des politiques publiques et objectif de neutralité carbone.

 

 

3) Les mesures prises pour respecter les trajectoires d’émission doivent être financées, dans le respect de l’équité sociale et territoriale :

  • le CESE rappelle qu’il est indispensable de répondre aux besoins de financements, publics ou privés nécessaires à l’atteinte des objectifs de réduction des émissions de GES. Ces besoins ont été évalués par le HCC dans son premier rapport annuel à au moins 40 milliards d’euros supplémentaires par an (source : HCC, Agir en cohérence avec les ambitions, p.41). Le CESE rappelle également qu’en l’absence d’une fiscalité dédiée, les financements nécessaires ne peuvent être mobilisés que par trois instruments : les budgets publics, les financements privés, ou des mesures réglementaires transférant, de fait, le coût des mesures sur le budget des entreprises, des territoires ou des particuliers tenus d’appliquer ces réglementations.

 

4) Les liens entre politique d’atténuation et d’adaptation doivent être précisés, et le pilotage, ainsi que le portage de la politique d’adaptation doivent être renforcés

  • le CESE recommande une gouvernance renforcée des politiques d’adaptation, avec le même niveau d’ambition que celle des politiques d’atténuation examinées au Conseil de défense écologique (lire notre article sur le sujet) et qui ont vu fixé, par la loi énergie-climat du 8 novembre 2019 (loi n°2019-1147 – lire notre article sur le sujet), un dispositif de lois quinquennales.

 

5) La France doit mettre en œuvre au niveau national les orientations qu’elle soutient au niveau de l’UE :

  • au vu de la hausse, envisagée par la Commission européenne (lire notre article sur le sujet), de l’objectif de réduction des émissions de GES de l’UE à 50%, voire à 55%, au lieu de l’objectif actuel de 40%, d’ici 2030 (base 1990), le CESE recommande au gouvernement d’annoncer les mesures qu’il envisage pour que la France atteigne cet objectif, plus ambitieux que celui initialement retenu pour établir la SNBC.

 

6) Des politiques de formation très volontaristes sont indispensables à l’atteinte des objectifs visés :

  • le CESE déplore l’absence de toute avancée en matière de plan de programmation de l’emploi et des compétences (PPEC), pourtant prévu par l’article 182 de la loi de transition énergétique (loi n°2015-922 du 17 août 2015). Il tient à rappeler ses recommandations antérieures en matière de formation professionnelle.

 

Pour en savoir plus

Lire la résolution du CESE.

Lire le premier rapport du HCC

 

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