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Politiques air : la Cour des Comptes pointe les résultats insuffisants et préconise un renforcement des mesures réglementaires, budgétaires et fiscales

  • Réf. : 2020_10_a02
  • Publié le: 5 octobre 2020
  • Date de mise à jour: 5 octobre 2020
  • France

Le 23 septembre 2020, la Cour des Comptes a publié les résultats de son enquête sur les politiques de lutte contre la pollution de l’air, menée en juillet 2020 et qui avait été demandée, le 21 janvier 2020, par la Commission des finances du Sénat. Le rapport s’appuie très largement sur les données d’émissions de polluants du Citepa (et notamment de l’inventaire Secten). Par ailleurs, le Citepa a fait partie des organismes et administrations interrogés par la Cour des Comptes dans le cadre de cette étude. Selon celle-ci, les résultats des politiques et outils d’amélioration de la qualité de l’air sont encore insuffisants au vu des enjeux sanitaires et environnementaux, et au regard des objectifs (nationaux, européens, internationaux). La Cour des Comptes appelle à un renforcement des mesures réglementaires, budgétaires et fiscales ; et à une meilleure intégration des politiques nationales et locales.

Un précédent rapport de la Cour des Comptes en 2016

En janvier 2016 la Cour des Comptes avait aussi publié un rapport d’évaluation, très critique, des politiques air de la France. Il pointait un manque de politique structurée visant tous les secteurs et préconise une politique intégrée air et climat. Le rapport formulait 12 recommandations en direction de trois Ministères (Environnement, Agriculture et Santé).

Lire notre synthèse de ce rapport publiée le 1er février 2016. 

 

Des résultats insuffisants sur les émissions et la qualité de l’air

La Cour des Comptes reconnaît que les plafonds d’émission pour 2020 (directive NEC,..) vont être largement respectés en France (à l’exception de l’ammoniac (NH3), dont les émissions devraient baisser de 2% entre 2018 et 2020 pour respecter le plafond 2020 (alors que ce rythme n’était que de -1,4% entre 2016 et 2018). Néanmoins, la Cour relève que les plafonds 2030 risquent de ne pas être atteints pour trois des cinq polluants visés (NH3, SO2, PM2,5). Cela rejoint les conclusions du rapport de la Commission européenne sur l’état d’avancement de la mise en œuvre de la directive NEC 2, publié le 26 juin 2020 et sur lequel nous avons publié un dossier de fond, et sur lequel nous pointions quelques limites.

Si les émissions sont en baisse, parfois très importante pour certains polluants, la Cour des Comptes souligne que cela ne se traduit pas de façon proportionnelle par une amélioration de la qualité de l’air. En effet, les valeurs limites de concentration pour trois des polluants (NO2, PM10 et ozone) restent dépassées dans une quinzaine de territoires (grandes villes, mais aussi zones géographiques entières (Martinique, Vallée de l’Arve), et la France a été condamnée devant la Cour de Justice de l’Union européenne et le Conseil d’État pour manquement à ses obligations en matière de qualité de l’air.

 

Des instruments politiques à renforcer

Au niveau politique, la Cour des Comptes pointe un manque d’ambition des plans nationaux d’amélioration de la qualité de l’air, soulignant par exemple que le deuxième plan de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA, lire notre synthèse) a été adopté sans que le premier PREPA, en vigueur de 2003 à 2017, ait fait l’objet d’une évaluation globale (voir encadré ci-dessous).

Le Citepa a co-réalisé deux études techniques en appui au MTE pour la mise au point du décret et arrêté PREPA

Ces deux études techniques ont été réalisées au préalable pour le MTE par le groupement mené par le Citepa avec l’Ineris, AJBD et Energies Demain :

Evaluation ex-ante des émissions, concentrations et impacts sanitaires du projet de PREPA, 27 mars 2017,

Aide à la décision pour l’élaboration du PREPA (suite à la consultation des parties), 30 juin 2016 (rapport principal et synthèse). Réalisée en 2015-2016, cette étude évalue, sur une base multi-critère, les mesures sectorielles à sélectionner. Pour chaque mesure, l’évaluation a porté sur le potentiel de réduction d’émissions au niveau national, le potentiel d’amélioration de la qualité de l’air, la faisabilité juridique, le niveau de controverse, le ratio coût-efficacité, le ratio coût-bénéfices et les co-bénéfices associés. Voir aussi fiches des mesures (en résumé et détaillées).

Le Citepa a aussi estimé les émissions de polluants associées à la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) en 2019, qui prend mieux en compte les bénéfices potentiel de la politique climat.Il étudie deux scénarii. Un scénario AME (avec mesures existantes) ajusté et un scenario AMS(avec mesures supplémentaires) . Le scénario AMS correspond à la SNBC présenté dans le rapport ‘Synthèse du scénario de référence de la stratégie française pour l’énergie et le climat’ de la DGEC publié le 15 mars 2019. Si dans le scénario AME, les réductions de NOx et NH3 sont insuffisantes, la SNBC permet la réduction des émissions des cinq polluants cohérentes avec les exigences de la directive NEC-2 (directive 2016/2284). Le rapport du Citepa est disponible ici.

 

Par ailleurs, selon la Cour des Comptes, la mise en œuvre du PREPA demeure insuffisante : si certaines avancées sont à noter dans le secteur des transports (mise en place de l’identification des véhicules par les vignettes Crit’air) ou du résidentiel-tertiaire (renouvellement des appareils de chauffage), plusieurs mesures ambitieuses du PREPA ont d’ores et déjà été abandonnées ou retardées (notamment la fiscalité sur les carburants et les pratiques agricoles). Le rapport souligne que le renouvellement du PREPA, à compter de 2022, devra être l’occasion de dépasser ces limites actuelles. Une plus grande implication des territoires sera notamment nécessaire dans son élaboration et son pilotage, afin de faire valoir la demande de collectivités territoriales de plus en plus sensibilisées à ces enjeux et disposant désormais de leviers d’action essentiels, dans les transports et l’urbanisme en particulier.

La Cour des Comptes souhaite aussi que le rôle du Conseil national de l’air (CNA – voir encadré ci-dessous) soit réaffirmé.

Le Conseil national de l’air (CNA)

Le CNA, créé en 1997 (par le décret n°97-432 du 29 avril dont les dispositions ont ensuite été intégrées dans le Code de l’Environnement (articles D.221-16 à D.221-21), est un organe de concertation, de consultation et de proposition dans le domaine de la lutte contre la pollution de l’air et de la surveillance de la qualité de l’air. Le CNA est composé de 50 membres : représentants des administrations, établissements publics, élus, personnalités qualifiées (dont le Président du Citepa, Jean-Guy Bartaire), industriels et ONG. Le CNA peut soit être saisi pour avis par le MTE, soit être consulté sur des projets de textes législatifs et réglementaires, soit examiner, à son initiative, toute question pertinente.

 

De même, le rapport pointe un manque d’articulation (pilotage, cohérence, évaluation) entre plans d’actions nationaux et locaux (comme les plans de protection de l’atmosphère (PPA), élaborés par les préfets), surtout dans le contexte d’un rôle renforcé des régions et intercommunalités en la matière depuis la loi NOTRe (loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République).

Selon la Cour des Comptes, les moyens alloués aux politiques air restent modestes (392 M€ en 2018, dont 293 M€ pour le secteur des transports uniquement) surtout comparés aux dépenses fiscales à effet négatif sur la qualité de l’air, estimées, dans le rapport, à plus de 5 Md€ en 2018. En particulier, le dispositif de surveillance de la qualité de l’air bénéficie de financements annuels de près de 70 M€, partagés entre l’État, les collectivités et les industries émettrices, dont les contributions représentent désormais près de la moitié des financements. La Cour des Comptes souligne qu’il sera confronté à des besoins de financements accrus au cours des prochaines années pour faire face aux nouveaux enjeux (pesticides, pollens…), dans un contexte de fragilisation de ses ressources.

Le rapport indique un manque d’outils fiscaux en vigueur (hormis la TGAP dont le rendement reste limité : 65 M€ en 2018). Ainsi, selon la Cour des Comptes, le rééquilibrage de la fiscalité entre le gazole et l’essence a été gelé et aucune initiative n’a été prise, dans le secteur agricole, pour expérimenter des prélèvements sur les engrais azotés. La prise en compte de la pollution atmosphérique reste également limitée dans les dispositifs fiscaux liés à l’achat de véhicules (taxe sur les véhicules de société, malus automobile). Par conséquent, pour la Cour des Comptes, « la mise en œuvre du principe pollueur-payeur, à travers des prélèvements pesant sur les émissions de polluants, est également loin d’être une réalité aujourd’hui ».

 

Recommandations sectorielles

Au-delà de l’amélioration de la gouvernance nationale et locale des politiques de lutte contre la pollution de l’air, il importe désormais de mettre en œuvre des mesures réglementaires ou fiscales visant les principaux émetteurs (transports, résidentiel-tertiaire, industrie et agriculture) et à même d’atténuer les risques désormais bien identifiés. Dans cette perspective, la Cour des comptes formule 12 nouvelles recommandations (voir pp.13-14 du rapport) :

Transports : la Cour des Comptes pointe le retard pris dans la limitation du trafic dans les zones urbaines denses (pour lutter contre les émissions de NOx et de particules fines), ainsi que le fait que « les réglementations relatives aux émissions des véhicules diesel ont été dévoyées par les comportements d’optimisation des constructeurs » (dieselgate) (lire notre dossier de fond sur le sujet). Le rapport rappelle que les émissions en conditions réelles de conduite représentent quatre à six fois les normes fixées, ce qui explique que les concentrations de NO2 en zone urbaines n’aient pas diminué à la mesure du renouvellement du parc automobile ;

Résidentiel : la Cour des Comptes met en avant la nécessité de limiter les émissions de particules fines liées au chauffage individuel au bois, le brûlage illégal de déchets verts et de poursuivre la modernisation du parc d’appareils de chauffage individuel.

Industrie : les pollutions diffuses et accidentelles sont indiquées en priorité par la Cour des Comptes, qui évoque l’enjeu de mieux contrôler les émissions, non seulement en fonctionnement normal, mais aussi « en mode dégradé » (voir encadré ci-dessous). Selon le rapport, les sanctions applicables restent également peu dissuasives et l’information des populations insuffisante.

Agriculture : la Cour des Comptes indique que bien que des solutions existent et soient mises en œuvre depuis de nombreuses années dans plusieurs pays européens, la prise de conscience de l’enjeu lié au NH3 (élevage et fertilisation minérale des cultures) a été trop tardive en France et que et peu de mesures contraignantes sont actuellement mises en œuvre. En outre, souligne le rapport, la question de la mesure dans l’air ambiant des pesticides reste un enjeu important (lire notre article sur le sujet).

 

Directive IED : le mode dégradé

Le mode dégradé est activé en cas de dysfonctionnement et peut entraîner des rejets importants de polluants. La directive 2010/75/UE sur les émissions industrielles (IED) prévoit que les autorisations réglementant les activités industrielles comprennent entre autres « des mesures relatives à des conditions d’exploitation autres que les conditions d’exploitation normales, telles que les opérations de démarrage et d’arrêt, les fuites, les dysfonctionnements, les arrêts momentanés et l’arrêt définitif de l’exploitation » (cf. article 14.1(f)).

Enfin, le rapport précise que, compte tenu des enjeux d’acceptabilité sociale associés à toute mesure supplémentaire, un débat public clair, une prise en compte des coûts induits (urbanisme, environnement, logement, compétitivité des entreprises…) et un accompagnement des ménages sont nécessaires.

 

En savoir plus

Synthèse de la Cour des comptes

Rapport complet

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