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Projet de loi Climat et Résilience : quelle ambition au regard des propositions de la Convention Citoyenne sur le Climat ?

  • Réf. : 2021_02_a03
  • Publié le: 10 février 2021
  • Date de mise à jour: 23 février 2021
  • France

Le 10 février 2021, le projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets » (dit aussi « Climat et Résilience » ou « projet de loi Convention Citoyenne sur le Climat » [CCC]) a été présenté en Conseil des Ministres. Auparavant, le Gouvernement l’avait d’adressé au CESE et CNTE (Conseil national de la transition écologique) et au Conseil d’Etat. Le CESE et le CNTE ont depuis rendu public leur avis (voir ci-après).

 

Etat des lieux de la transposition des propositions de la CCC

Le projet de loi climat et résilience s’inscrit directement dans la suite des propositions de la CCC : comme l’indique l’exposé des motifs, il « traduit les dispositions de nature législative recommandées par la Convention Citoyenne ». D’après le décompte du Gouvernement, sur les 149 propositions initiales (voir notre article) :

  • 3 propositions ont été écartées d’emblée par le Président de la République
  • 40% des propositions seraient traduites :
    • dans le présent projet de loi « Climat et Résilience »
    • dans le projet de loi « Parquet européen » de décembre 2019
    • dans la réforme de l’article 1er de la Constitution qui fait l’objet d’un projet de loi constitutionnelle, présenté au Conseil d’Etat, et en Conseil des Ministres le 20 janvier 2021. Le Conseil d’Etat a rendu un avis négatif sur ce projet de loi.
  • 20% des propositions, de nature fiscale et budgétaire, seraient traduites dans la loi de finances 2021, et notamment à travers le plan de relance France Relance.
  • Moins de 10% des propositions, de nature réglementaire, devraient être traduites sous forme de décrets et d’arrêtés (ex : interdiction des terrasses chauffées ; interdiction de l’installation de chaudières au fioul, mesures anti-gaspillage, etc.).
  • Plus de 5% des propositions relèveraient des négociations européennes et internationales.
  • 25% ne relèveraient pas directement d’une traduction dans la loi, la réglementation ou les accords internationaux, mais relèveraient de plans d’actions nationaux (biodiversité…), ou directement des agences de l’Etat comme l’Ademe (campagnes de sensibilisation…), de l’action des préfets (moratoire sur les nouvelles zones commerciales périurbaines…).

Observateurs et membres de la Convention citoyenne sur le Climat soulignent cependant que les propositions initiales n’ont pas été reprises « sans filtre » dans ces différents cadres, mais ont été traduites, en affaiblissant l’ambition ou l’impact de certaines d’entre elles.

 

Avis du CESE et du CNTE

Le 27 janvier 2021, le CESE a présenté son projet d’avis (voir avis complet et synthèse) sur ce projet de loi, avec notamment des préconisations sur l’adéquation entre mesures et respect de la trajectoire de réduction des émissions de GES (prévues par la SNBC) et les conditions de gouvernance et financements notamment permettant une mise en œuvre de ces mesures. Le CESE souligne l’insuffisance du projet de loi au vu de l’urgence climatique, et conclut entre autres que « les nombreuses mesures du projet de loi, en général pertinentes, restent souvent limitées, différées, ou soumises à des conditions telles que leur mise en œuvre à terme rapproché est incertaine. […] Les trop rares estimations d’impact climatique fournies font apparaître l’insuffisance de ces mesures. Ainsi, dire comme le rapport de présentation que le projet de loi ‘s’inscrit dans la SNBC’ est abusif ».

Le 26 janvier 2021, le CNTE a, à son tour, rendu son avis, en reconnaissant l’intérêt de la loi et ses avancées, mais estimant que l’étude d’impact est insuffisante (impact sur les entreprises, les collectivités ; manque de précision sur la méthodologie de calcul de l’impact carbone des mesures), et soulignant que la baisse des émissions induite par le projet de loi soit insuffisante au regard du nouvel objectif européen de réduction de -55% des émissions à horizon 2030, alors que la mission initiale de la CCC portait sur un objectif de -40%. Il est intéressant de noter que le CNTE fait part de désaccords, en son sein, sur l’équilibre entre mesures contraignantes et obligatoires, les délais et seuils d’application des mesures.

A noter qu’au 10 février 2021, l’avis consultatif du Conseil d’Etat n’a pas été publié.

 

Contenu du projet de loi

Le projet de loi (65 articles) est organisé selon les mêmes grandes thématiques que les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat : consommer, produire et travailler, se déplacer, se loger, se nourrir et renforcer la protection judiciaire de l’environnement.

 

Consommer

  • informer, former et sensibiliser: le projet de loi prévoit la mise en place d’un affichage environnementale, dit « CO2-score », pour informer les consommateurs de l’impact des produits en termes de GES, mais dont les caractéristiques (notamment les types de biens et services pour lesquels l’affichage sera obligatoire) ne seraient définies par décret que dans un délai de cinq ans ;
  • encadrer et réguler la publicité: alors que la CCC proposaient une interdiction de la publicité des produits les plus polluants, seules les énergies fossiles (un décret en Conseil d’Etat devra préciser la liste des énergies fossiles concernées) sont directement visées dans le projet de loi (avec une interdiction qui entrerait en vigueur un an après la promulgation de la loi. La proposition d’interdire les publicités et prospectus dans les boîtes aux lettres devient une expérimentation de trois ans dans des collectivités volontaires où, à l’inverse d’aujourd’hui, seuls les dépôts dans les boîtes aux lettres les autorisant seraient autorisés. Enfin, les communes et communautés de communes (EPCI) voient leurs pouvoirs de réglementation locale de la publicité renforcée ;
  • Réduction des déchets : le projet de loi propose ainsi, pour réduire les déchets, un objectif de 20% de la surface de vente consacrée à la vente en vrac (pour les commerces de plus de 400 m²), d’ici 2030 (là où la CCC proposait un objectif de 25% en 2023 jusqu’à 50% en 2030, concernant également les producteurs et les centrales d’achats ; et la (re)mise en place de la consigne pour le verre d’ici 2025 (plutôt qu’un système de consigne rémunérée obligatoire dès 2021 pour les grandes surfaces, dès 2022 pour les moyennes et à partir de 2023 pour les petites, comme proposé par la CCC).

 

Produire et travailler

  • verdir l’économie : avec la meilleure prise en compte des critères environnementaux dans les clauses d’attribution des marchés publics (sans reprendre la proposition de la CCC de mettre en place une éco-conditionnalité des aides publiques (avantages fiscaux, obtention de prêt) basée sur un bilan carbone des entreprises aidées) ; avec l’obligation de maintenir disponibles les pièces détachées de certains produits, pendant une durée minimale (caractéristiques à définir par décret), pour le 1er janvier 2022 ;
  • adapter l’emploi a la transition écologique, en modifiant le code du travail pour favoriser le dialogue environnemental au sein des entreprises, et intégrant le sujet de la transition écologique parmi les attributions du Comité social et économique (CSE) ;
  • protéger les écosystèmes et la biodiversité : via le renforcement de la protection des écosystèmes aquatiques et zones humides dans le code de l’environnement ; modification du code minier et notamment de la lutte contre l’orpaillage illégal ;
  • favoriser des énergies renouvelables pour et par tous : via la mise en place d’objectifs régionaux de développement des énergies renouvelables, compatibles avec la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

 

Se déplacer

  • promouvoir les alternatives à la voiture individuelle et la transition vers un parc de véhicules plus propres: via l’obligation d’instaurer une ZFE-m (zone à faibles émissions mobilité) avant le 31 décembre 2024 dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants (en métropole, un décret, mis à jour au moins tous les cinq ans, énumérera les communes concernées) ; et la modification des interdictions des catégories de véhicules au sein des ZFE-m lors d’épisodes de pollution ;
  • optimiser le transport routier de marchandises et réduire ses émissions, via la fin progressive, de 2023 à 2030, de l’avantage fiscal sur le diesel pour les poids lourds, et, à partir de 2030 (et non 2025 comme dans la proposition initiale de la CCC), la fin de la vente des voitures particulières neuves émettant plus de 95 g CO2/km NEDC, soit 123 g CO2/km WLTP (sauf exceptions qui ne devront pas représenter plus de (5% du volume total), écartant l’interdiction intermédiaire en 2025 de la vente de celles émettant plus de 110g de CO2/km NEDC proposée par la CCC ; et via l’inclusion, dans les informations de déclaration de performance extra-financière (DPEF) des « émissions directes et indirectes liées aux activités de transports amont et aval de l’activité, ainsi qu’un plan d’action visant à les réduire» ;
  • limiter les émissions du transport aérien et favoriser l’intermodalité train avion, via l’interdiction des vols domestiques (intérieurs à la France) s’il y a une alternative possible en train en moins de deux heures trente (et non quatre heures, comme dans la proposition initiale de la CCC), avec des aménagements toutefois comme pour les vols en correspondance ; via l’encadrement (et non l’interdiction comme dans la proposition initiale de la CCC) de la construction ou l’extension des aéroports ; via la compensation des émissions de GES des vols intérieurs pour les compagnies soumises au SEQE-UE.

Sur ce volet des transports, l’avis du CESE préconise entre autres de plutôt réduire à la source les déplacements contraints ; et de remettre en cause l’exclusion du transport international aérien et maritime de la fiscalité carbone ou environnementale et du marché du carbone européen.

 

Se loger

  • rénover les bâtiments : le projet de loi prévoit d’interdire les « passoires thermiques » (c’est-à-dire inférieur au niveau très peu performant au sens de l’article L.173-1-1 du code de la construction et de l’habitation) à partir de 2028 et, en attendant, d’interdire d’en augmenter les loyers lors du renouvellement d’un bail ou de la remise en location (mesure qui entrerait en vigueur un an après la promulgation de la loi). Le projet de loi reprend ainsi qu’une partie du contenu de la proposition SL 1.1 « Contraindre les propriétaires occupants et bailleurs à rénover de manière globale »
  • lutter contre l’artificialisation des sols en adaptant les règles d’urbanisme : avec un objectif de réduction de -50% au moins, sur les dix années suivant promulgation de la loi par rapport aux dix années précédentes, du rythme d’artificialisation des sols (cette notion étant définie : ‘sol dont l’occupation ou l’usage affectent durablement tout ou partie de ses fonctions » mais les sols de pleine terre sont exclus). Par ailleurs l’objectif de zéro artificialisation nette reste maintenu (sans échéance précisée). Le texte propose aussi une interdiction d’implantation d’extension de zones commerciales, avec des dérogations, sous conditions, pour les surfaces de ventes inférieures à 10 000 m² (soit 1 ha). Enfin, citons l’obligation, pour les bâtiments dont la demande de permis de construire est déposée après le 1er janvier 2023 de réaliser préalablement une étude du potentiel de réversibilité et d’évolution future du bâtiment.
  • lutter contre l’artificialisation des sols pour la protection des écosystèmes: via la mise en place d’une stratégie nationale des aires protégées, actualisée au moins tous les dix ans, et une modification des modalités du droit de préemption dans le code de l’urbanisme.

Sur ce volet du logement et de l’artificialisation des sols, l’avis du CESE préconise entre autres de préciser les niveaux de financement publics assortis, notamment les moyens alloués au développement du service public de la performance énergétique de l’habitat ; d’assurer la cohérence entre les objectifs de lutte contre l’artificialisation aux niveaux national et régionaux.

 

Se nourrir

  • soutenir une alimentation saine et durable peu émettrice de GES : via une expérimentation volontaire (et non une obligation, comme dans la proposition initiale de la CCC) pour proposer un choix végétarien quotidien dans la restauration collective publique. A noter que la mise en place de chèques alimentaires pour les ménages défavorisés, proposition accueillie favorablement par le Président de la République lors sa rencontre avec la CCC en décembre 2020, n’est finalement pas reprise dans le projet de loi, et pourrait se traduire plus tard dans une modification de la loi de finances.
  • développer l’agroécologie: le texte propose, via un décret, la mise en place d’une trajectoire annuelle de réduction des émissions agricoles de N2O (protoxyde d’azote) et de NH3 (ammoniac), deux gaz à effet de serre. Le secteur agricole représentait en 2018 88% des émissions nationales de N2O et 94% des émissions nationales de NH3. Cette trajectoire devra permettre notamment d’atteindre progressivement l’objectif de réduction de 13% des émissions d’ammoniac en 2030 par rapport à 2005 (objectif prévu dans le cadre de la directive NEC-2) La proposition initiale de la CCC d’augmenter la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP), déjà appliquée aux producteurs d’engrais, n’est donc pas reprise.
  • lutter contre la déforestation importée via une meilleure traçabilité des informations avec les douanes ;
  • améliorer la cohérences des plans nationaux, en indiquant que doivent être compatibles les objectifs du plan stratégique national établi en déclinaison de la Politique agricole commune, la SNBC (stratégie nationale bas-carbone), la stratégie nationale pour la biodiversité, le plan national de prévention des risques pour la santé et la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée.

 

Renforcer la protection judiciaire de l’environnement

Enfin, le projet de loi propose dans le droit les sanctions contre les atteintes de à l’environnement, comme annoncé en novembre 2020, via le renforcement des sanctions pour mise en danger de l’environnement grave et durable ; et davantage encore si une obligation légale ou réglementaire de prudence ou de sécurité n’est pas respectée. Le délit existant de pollution des eaux évolue pour devenir un délit général de pollution des eaux et de l’air, puni de cinq ans de prison et d’un million d’euros d’amende. Dans sa forme aggravée, et lorsque les faits sont commis de manière intentionnelle, ce délit général est dit « écocide » puni de dix ans de prison et de 4,5 millions d’euros d’amende (ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction). Le texte prévoit en outre la possibilité d’une condamnation à restaurer le milieu naturel dégradé.

 

Etude d’impact du projet de loi

Dans son avis, le CESE souligne que « l’étude d’impact [du projet de loi], très volumineuse, comporte particulièrement peu d’informations utilisables et ne donne pas, sauf rares exceptions, les renseignements attendus sur les impacts des mesures sur les émissions de gaz à effet de serre ». Dans son avis, le CNTE regrette lui aussi que « l’étude d’impact soit de qualité insuffisante » et « estime insuffisamment précise la méthodologie évaluant l’impact carbone de chaque mesure […]. » Enfin, le 14 janvier 2021, le député Mathieu Orphelin a interpellé le gouvernement via une lettre où il considère trompeuse l’indication, dans l’étude d’impact du projet de loi que « ce projet de loi contribue à sécuriser l’atteinte d’entre la moitié et les deux tiers du chemin à parcourir entre les émissions en 2019 et la cible en 2030 », estimant pour sa part que le texte ne permettrait d’atteindre que 12% de cet objectif. Le Ministère a depuis confié une mission de contre-expertise de son étude d’impact au cabinet de consultants BCG dont le résumé a été publié le 10 février 2021. Ce rapport conclue notamment que le potentiel de réduction des émissions de GES visé à la fois par les mesures en cours et par le projet de loi « est globalement à la hauteur de l’objectif de 2030, sous réserve de leur exécution intégrale et volontariste », suppose « d’engager des moyens inédits », et qu’aller au-delà requerrait un basculement important des équilibres socio-économiques.

 

Prochaines étapes

La CCC doit se réunir mi-février 2021, pour leur huitième et dernière session de travail, afin de tirer un bilan de la mise en œuvre de ses propositions.

Le projet de loi ne devrait être étudié à l’Assemblée qu’à partir de fin mars 2021.

 

 

En savoir plus

Le compte rendu du Conseil des Ministres du 10 février 2021 sera disponible ici

Site de la CCC

Actualité sur le site du MTE

Dossier de presse du MTE

Texte du projet de loi et exposé des motifs sur le site d’Arnaud Gossement, avocat spécialisé en matière d’environnement

Avis du CESE et résumé

Avis du CNTE

 

 

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