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SEQE et aviation international : le conflit entre l’UE et la Chine/les Etats-Unis

  • Réf. : 2012_12_a2
  • Publié le: 1 décembre 2012
  • Date de mise à jour: 16 mai 2019
  • UE
  • International

Les Etats-Unis, le Canada, la Chine, l’Inde, certains pays du Moyen Orient et la Russie contestent fermement et énergiquement l’application du SEQE aux vols à destination et en provenance des pays hors UE. La directive 2003/87/CE, modifiée par la directive 2008/101/CE, est contestée principalement sur deux fondements :

  • le caractère unilatéral et extra-européen du dispositif, et
  • le non-respect du principe énoncé par la Convention Climat de responsabilités communes mais différenciées (common but differentiated responsibilities ou CBDR) (article 3.1).

Ce contentieux s’inscrit dans un contexte de crise économique mondiale qui rend les relations diplomatiques entre les Etats plus complexes. Ces contestations se sont concrétisées par des pressions diplomatiques et commerciales, ainsi que par des actions judiciaires. La Chine et les Etats-Unis sont les deux pays les plus fermement opposés à la mise en application de l’inclusion de leurs compagnies aériennes dans le SEQE. La Chine soumet la Commission européenne à une forte pression politique et commerciale pour qu’elle exempte les com-pagnies chinoises du SEQE au nom du non-respect du principe CBDR.

Quant aux Etats-Unis, le 16 décembre 2009, contestant les mesures de transposition de la directive 2008/101/CE au Royaume-Uni, trois compagnies aériennes américaines (American Airlines, Continental Airlines et United Airlines) et l’Association américaine du transport aérien (ATA) avaient entamé une action judiciaire devant les juridictions britanniques. Elles ont fait valoir que la directive enfreindrait certains principes du droit international (dont le Protocole de Kyoto et la Convention de Chicago sur l’aviation civile internationale [1944]), d’une part, parce qu’elle imposerait une forme de taxe sur la consommation de carburant et, d’autre part, parce qu’elle tendrait à appliquer le SEQE au-delà de la sphère de compétence territoriale de l’UE. Les com-pagnies aériennes américaines considèrent que seule l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) est habilitée à prendre des mesures visant à réduire les émissions de CO2 de l’aviation au niveau mondial.

Le recours judiciaire a ensuite été porté devant la Cours de Justice de l’UE (CJUE), saisie sur la question en juillet 2010 par l’ATA. Le 21 décembre 2011, dans un arrêt (affaire C-366/10), la CJUE a confirmé l’avis de l’Avocat général de celle-ci, rendu le 6 octobre 2011, selon lequel l’intégration des activités aériennes dans le SEQE est compatible avec le droit international. En particulier, la CJUE souligne dans son arrêt que « l’application du[SEQE] aux exploitants d’aéronefs ne méconnaît pas le principe de territorialité ni celui de la souveraineté des Etats tiers dès lors que ce système ne leur est applicable que lorsque leurs aéronefs se trouvent physiquement sur le territoire de l’un des Etats membres de [l’UE] et sont ainsi soumis à la pleine juridiction de  [l’UE] ».

Le 2 novembre 2011, le Conseil de l’OACI, lors de sa 194e session, a adopté un document de travail assorti d’une déclaration qui demande à l’UE et à ses Etats membres de renoncer à leur démarche unilatérale, en n’incluant pas les exploitants aériens des pays tiers dans le SEQE et de travailler de manière collaborative avec le reste de la communauté internationale pour réduire les émissions de GES du secteur de l’aviation internationale. Cette prise de position, qui a recueilli 26 avis favorables (dont la Russie, la Chine, les Etats-Unis et le Brésil) sur les 36 pays membres du Conseil de l’OACI, a été notamment portée par la Chine et les Etats-Unis. Le document de travail affirme entre autres que « l’inclusion de l’aviation internationale dans le [SEQE] viole le principe […] de souveraineté nationale des Etats établi dans l’article 1 de la Convention de Chicago » et « les dispositions pertinentes de la Convention Climat. L’inclusion unilatérale de l’aviation dans le [SEQE] par l’UE ne prend pas en compte les diverses circonstances économiques et sociales des différents pays, notamment les pays en développement« .

A l’issue d’une conférence à Moscou les 21-22 février 2012 réunissant 32 pays membres du Conseil de l’OACI (dont la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil, la Corée du Sud, le Japon et les Etats-Unis) en vue de coordonner leur opposition à la politique de l’UE, 23 d’entre eux ont signé une déclaration conjointe sur l’inclusion de l’aviation internationale dans le SEQE qui, selon eux, conduit à de graves distorsions de marché et à une concurrence déloyale. Cette politique constitue à leurs yeux un obstacle aux progrès des travaux de l’OACI en cours sur la question des émissions de l’aviation internationale. Jugeant cette politique discriminatoire et illégale, les pays signataires de la déclaration conjointe exigent que l’UE cesse l’application de la directive 2008/101/CE aux compagnies et opérateurs des pays tiers et recommandent vivement à l’UE de travailler de manière constructive dans le cadre d’une démarche multilatérale au sein de l’OACI. De nouveau, la Chine et les Etats-Unis étaient les deux pays les plus fermement opposés.

Lors de sa 68e réunion générale annuelle et du Sommet mondial du transport aérien (du 10 au 12 juin 2012à Pékin), l’Association du transport aérien international (IATA), qui représente quelque 240 compagnies aériennes et 84% du trafic aérien mondial, a réitéré son appel à l’OACI pour parvenir à un accord mondial visant à réduire les émissions de GES de l’aviation.

Malgré la décision de la CJUE légitimant la directive 2008/101/CE, l’inclusion de l’aviation internationale dans le SEQE a continué de susciter, au cours de l’année 2012, de fortes réactions d’hostilité de la part des grands pays hors UE. Cette vive polémique risquait de dégénérer en différend commercial et aurait pu conduire à une saisine de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). La recommandation de la Commissaire européenne à l’action climat, le 12 décembre 2012 (voir p.1), de faire une pause dans l’application du SEQE à l’aviation internationale, intervenant à deux semaines de l’ouverture de la Conférence des Nations Unies sur le Climat à Doha (Qatar), devrait sans doute contribuer, d’une part, à désamorcer le conflit et, d’autre part, à faciliter une issue favorable des négociations au sein de l’OACI en vue de parvenir à un accord multilatéral sur la réduction des émissions de GES de l’aviation internationale.


Cette synthèse s’appuie en grande partie sur l’étude de CDC Climat Recherche : « L’inclusion de l’aviation internationale dans le système européen d’échanges de quotas de CO2 : un premier pas vers un système mondial? » parue dans Etude Climat n° 34, août 2012 (voir lien ci-après).

  • cdcclimat.com/-Etudes-Climat-.html (l’étude de CDC Climat Recherche)
  • europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2011-12/cp110139fr.pdf (communiqué de la CJUE sur l’arrêt du 21/12/2011)
  • greenaironline.com/photos/ICAO_C.194.WP.13790.EN.pdf
    (document de travail et déclaration de l’OACI du 02/11/2011)
  • ruaviation.com/docs/1/2012/2/22/50/ (déclaration au terme de la Conférence de Moscou des 21-22/02/2012)
  • iata.org/pressroom/pr/Documents/French-PR-2012-06-11-04.pdf (prise de position de l’IATA du 12/06/2012)

 

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