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Emissions mondiales de CH4 : l’AIE publie une mise à jour de son outil de suivi

  • Réf. : 2024_03_a04
  • Publié le: 19 mars 2024
  • Date de mise à jour: 28 mars 2024
  • International

Le 13 mars 2024, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié une mise à jour de ses estimations d’émissions mondiales de méthane (CH4, puissant gaz à effet de serre – voir encadré en fin d’article) provenant de l’extraction, de la production et du transport de pétrole, de gaz et de charbon. Ces estimations, basées sur les dernières études scientifiques et des observations satellitaires, ont été élaborées à l’aide de l’outil de suivi de l’AIE (Global Methane Tracker).

La mise à jour 2024 fournit les dernières estimations des émissions mondiales de CH4 de l’ensemble du secteur de l’énergie, en s’appuyant sur les données et les relevés les plus récents des satellites et des mesures au sol – ainsi que les coûts et les possibilités de réduction de ces émissions. Elle présente également les engagements et les politiques actuels visant à réduire les émissions de CH4, ainsi que les progrès accomplis dans la réalisation de ces objectifs. Pour la première fois, le tableau de bord inclut les investissements nécessaires pour réduire les émissions de CH4 et les revenus potentiels de ces mesures.

 

Etat des lieux des émissions en 2023

Selon ces nouvelles estimations de l’AIE, le secteur de l’énergie (pétrole, gaz naturel, charbon et bioénergie) est responsable de plus d’un tiers des émissions de CH4 dues à l’activité humaine. Comme pour les années précédentes, c’est le secteur énergétique mondial (production et consommation de combustibles fossiles) qui est le deuxième responsable des émissions mondiales de CH4, avec 118 millions de tonnes (Mt) de CH4 émis dans l’atmosphère en 2023, soit 36% du total des émissions d’origine anthropique (331 Mt en 2023). Cela représente une légère hausse par rapport à 2022 (115 Mt). Le premier secteur est toujours l’agriculture avec 142 Mt de CH4 émis en 2023.

Selon l’AIE, en 2023, les 118 Mt d’émissions de CH4 liées à l’énergie proviennent du pétrole (49 Mt), du charbon (40 Mt) et du gaz naturel (29 Mt), ces émissions étant en hausse pour le pétrole et le charbon, mais en baisse pour le gaz naturel (par rapport à 2022 où elles étaient respectivement 48 Mt, 39 Mt et 28 Mt). Par ailleurs, la combustion incomplète de la bioénergie (principalement lorsque le bois et d’autres biomasses solides sont utilisés comme combustible de cuisson traditionnel) est responsable de 10 Mt d’émissions supplémentaires de CH4.

Les émissions de CH4 liées au secteur de l’énergie sont restées plutôt stables depuis 2019 où elles ont atteint un niveau inédit (119 Mt). Étant donné que l’offre de combustibles fossiles a continué à augmenter depuis lors, cela impliquerait que l’intensité moyenne en CH4 de la production mondiale ait légèrement diminué au cours de cette période 2019-2023.

 

Répartition sectorielle des émissions mondiales de CH4 d’origine anthropique en 2023 (en Mt)

Source : AIE, 13 mars 2024.

 

Emissions mondiales de CH4 du secteur de l’énergie, par source d’énergie 2000-2023 (en Mt)

Source : AIE, 13 mars 2024.

 

Les principaux pays émetteurs

Selon l’AIE, sur les 118 Mt d’émissions de CH4 liées aux combustibles fossiles en 2023, environ 80 Mt (soit 68%) proviennent de pays qui figurent parmi les 10 premiers émetteurs de CH4 au monde. Les États-Unis sont le premier émetteur de CH4 provenant des activités pétrolières et gazières, suivis de près par la Russie. La Chine est de loin le premier émetteur dans le secteur du charbon. La quantité de CH4 perdue lors de l’exploitation des combustibles fossiles (fuites, torchage,…) dans le monde en 2023 était de 170 milliards de mètres cubes, soit plus que la production de gaz naturel du Qatar.

 

Intensité en CH4 de la production de pétrole et de gaz

L’intensité des émissions de CH4 de la production de pétrole et de gaz varie considérablement selon les pays. Les pays les plus performants obtiennent des résultats plus de 100 fois supérieurs à ceux des pays les moins performants. La Norvège et les Pays-Bas ont ainsi les intensités d’émission les plus faibles. Les pays du Moyen-Orient, tels que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, ont également des intensités d’émission relativement faibles. En revanche, le Turkménistan et le Venezuela ont les intensités d’émission les plus élevées. L’AIE souligne qu’il est possible de diminuer les intensités d’émission élevées avec un bon rapport coût-efficacité, en associant la mise en œuvre de mesures politiques et de normes d’exploitation de haute qualité au déploiement de technologies. Sur tous ces fronts, les meilleures pratiques sont bien établies.

 

Les émissions de CH4 de la production de pétrole et de gaz (en Mt) et l’intensité en CH4 des principaux pays producteurs (en kg CH4/GJ)

Source : AIE, 13 mars 2024.

 

Potentiel de réduction des émissions de CH4 du secteur de l’énergie

Le secteur de l’énergie représente plus d’un tiers des émissions totales de CH4 imputables à l’activité humaine, et c’est en réduisant les émissions provenant de l’exploitation des combustibles fossiles que l’on a le plus de chances d’obtenir des réductions importantes à court terme. L’AIE estime qu’environ 80 Mt des émissions annuelles de CH4 provenant des combustibles fossiles peuvent être évitées grâce au déploiement de technologies connues et existantes, souvent à un coût faible, voire négatif.

Dans le scénario de zéro émission nette d’ici 2050 (Net Zero Emissions ou NZE) de l’AIE (mise à jour du 26 septembre 2023), selon lequel le secteur mondial de l’énergie atteindrait zéro émission nette d’ici le milieu du siècle et limiterait l’augmentation de la température à +1,5°C, les émissions de CH4 provenant de l’exploitation des combustibles fossiles diminueraient d’environ 75% d’ici 2030. Cette année-là, tous les producteurs de combustibles fossiles auraient une intensité d’émissions similaire à celle des meilleurs exploitants du monde aujourd’hui. Des mesures ciblées visant à réduire les émissions de CH4 sont nécessaires même si la consommation des combustibles fossiles commence à diminuer, car la réduction de la demande de combustibles fossiles ne suffit pas à elle seule à obtenir les réductions profondes et durables qui s’imposent.

 

Potentiel de réduction des émissions de CH4 jusqu’en 2030, par secteur émetteur (en Mt)

Source : AIE, 13 mars 2024.

 

 

Impact des nouveaux engagements et objectifs des Etats

La Conférence de l’ONU sur le climat à Dubaï (dont la COP-28) de Dubaï (30 nov. – 13 déc. 2023) a débouché sur une série de nouveaux engagements visant à accélérer la lutte contre les émissions de CH4 (lire notre article sur les résultats de la Conférence). Les résultats du premier bilan mondial (Global Stocktake) appellent les pays à réduire considérablement les émissions de CH4 d’ici à 2030 (cf. paragraphe 28(f) de la décision 1/CMA.5). En outre, plus de 50 compagnies pétrolières et gazières ont lancé la Charte de décarbonation du pétrole et du gaz (Oil and Gas Decarbonisation Charter ou OGDC) afin d’accélérer les réductions d’émissions de CH4 au sein de ce secteur, de nouveaux pays ont rejoint l’engagement mondial en matière de méthane (Global Methane Pledge – lire le dernier encadré de notre article) et de nouveaux financements ont été mobilisés pour soutenir la réduction du méthane. Enfin, à noter, un Sommet sur le méthane et les autres GES hors CO2 s’est tenu à Dubaï le 3e jour de la COP-28 (2 déc. 2023). A l’initiative des Etats-Unis, de la Chine et des Emirats arabes unis, ce Sommet était destiné à envoyer un signal politique fort de la coopération Etats-Unis-Chine et à montrer l’importance que les deux premiers émetteurs de GES accordent à la réduction des émissions du 2e GES en termes de forçage radiatif.

D’importantes nouvelles politiques et réglementations ciblant le CH4 ont également été mises en place ou annoncées en 2023, notamment par les États-Unis, le Canada et l’Union européenne. Quant à la Chine, elle a publié un plan d’actions consacré à la lutte contre les émissions de CH4 (toutefois sans fixer d’objectifs de réduction). De nombreuses initiatives de soutien ont été lancées pour accompagner ces efforts, comme le système d’alerte et de réponse sur le CH4 (Methane Alert and Response System ou MARS géré par le Programme des Nations Unis pour l’Environnement – voir la fin de notre article) et la campagne de surveillance par satellite de l’Oil and Gas Climate Initiative (OGCI).

L’AIE estime que si toutes les politiques et tous les engagements en matière de CH4 pris par les pays et les entreprises à ce jour étaient intégralement mis en œuvre et respectés conformément aux échéances fixées, les émissions de CH4 provenant des combustibles fossiles diminueraient d’environ 50% d’ici à 2030. Toutefois, dans la plupart des cas, ces engagements ne sont pas encore étayés par des plans, des politiques et des réglementations concrets. Les politiques et réglementations concrètes existantes ciblant le CH4 permettraient de réduire d’environ 20% les émissions de CH4 liées à la production et de consommation de combustibles fossiles d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2023. La prochaine série de contributions déterminées au niveau national (NDC) mises à jour dans le cadre de l’Accord de Paris (article 4), que doivent soumettre les Parties en 2025, devra fixer des objectifs climat-énergie jusqu’en 2035, ce qui constitue une occasion majeure pour les gouvernements de fixer des objectifs plus ambitieux ciblant le CH4 et d’élaborer des plans d’actions pour les atteindre.

 

Réductions des émissions de CH4 liées à la production/consommation de combustibles fossiles : projections sur la base des engagements et politiques existants (2020-2030)

Source : AIE, 13 mars 2024.

 

Coûts/bénéfices de la réduction des émissions

Selon l’AIE, la réduction des émissions de CH4 dans l’industrie pétrolière et gazière a un très bon rapport coût-efficacité. Elle est l’une des options les plus pragmatiques et les moins coûteuses pour réduire ces émissions. Les technologies et les mesures permettant de prévenir les émissions sont bien connues et ont déjà été déployées avec succès dans le monde entier. Environ 40% des 118 Mt d’émissions de CH4 provenant des combustibles fossiles pourraient être évitées à un coût net nul, sur la base des prix moyens de l’énergie en 2023. En effet, les dépenses nécessaires pour les mesures de réduction sont inférieures à la valeur marchande du CH4 supplémentaire capté et vendu ou utilisé. La part est plus élevée pour le pétrole et le gaz naturel (50%) que pour le charbon (15%).

L’AIE chiffre le coût de mise en œuvre des mesures de réduction du CH4 par le secteur des combustibles fossiles dans le scénario NZE à environ 170 milliards de $ US (Md$). Ce montant comprendrait environ 100 Md$ de dépenses dans le secteur du pétrole et du gaz et 70 Md$ dans le secteur du charbon. Jusqu’en 2030, environ 135 Md$ seraient consacrés aux dépenses d’investissement, tandis que 35 Md$ seraient consacrés aux dépenses opérationnelles.

L’AIE souligne que les entreprises de production et de distribution des combustibles fossiles devraient être les premières à assumer le financement de ces mesures de réduction, étant donné que le montant des dépenses nécessaires représente moins de 5% des revenus générés par le secteur en 2023.

 

Fuites et torchage

Selon l’AIE, les épisodes importants d’émissions de CH4 détectées par les satellites ont également augmenté de plus de 50 % en 2023 par rapport à 2022, avec plus de 5 Mt d’émissions de CH4 détectées à la suite d’importantes fuites de combustibles fossiles dans le monde entier, notamment une éruption de puits au Kazakhstan qui a duré plus de 200 jours.

 

Les nouveaux outils de suivi des émissions

Des données de meilleure qualité et plus transparentes, basées sur des mesures des émissions de CH4, deviennent de plus en plus accessibles et permettront de réduire les émissions de façon plus efficace. En 2023, Kayrros, une société d’analyse, a publié un outil (MethaneWatch) basé sur l’imagerie satellitaire qui quantifie les épisodes importants d’émissions de CH4 sur une base quotidienne et fournit des intensités de CH4 pour le pétrole et le gaz au niveau national. GHGSat, une autre entreprise spécialisée dans les nouvelles technologies, dispose désormais de 12 satellites en orbite et a commencé à proposer une surveillance ciblée des émissions de CH4 en mer, tandis que le système d’alerte et d’intervention sur le méthane (MARS) du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a intensifié l’utilisation des satellites pour détecter les émissions majeures de CH4 et alerter les autorités gouvernementales et les exploitants concernés.

 

Un grand écart entre les émissions calculées et les émissions mesurées

Selon l’AIE, malgré ces progrès, peu de données basées sur des mesures sont utilisées pour déclarer les émissions de CH4 dans la plupart des régions du monde, ce qui pose un problème car les émissions mesurées ont tendance à être plus élevées que les émissions déclarées. Par exemple, les niveaux d’émissions totales de CH4 liées au secteur pétrolier et gazier déclarés par les Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) sont proches de 40 Mt (38 Mt), soit environ 50% de moins que l’estimation de l’AIE pour 2023 (78 Mt). Ces écarts importants peuvent s’expliquer par de nombreuses raisons, mais ils ne seront résolus que par une utilisation plus systématique et plus transparente des données mesurées.

 

Les émissions de CH4 provenant du secteur pétrolier et gazier mondial : écart entre les données de l’AIE et de la CCNUCC (en Mt)

Source : AIE, 13 mars 2024.

 

 

En savoir plus

Communiqué de l’AIE

Synthèse

Messages clés

Rapport

Données d’émissions de CH4 du Global Methane Tracker

Comprendre les émissions mondiales de CH4 (page dédiée du site de l’AIE)

Suivi des engagements pris, des objectifs fixés et des actions mises en oeuvre

 

Contexte scientifique : le méthane et l’effet de serre

Le méthane est un puissant gaz à effet de serre, un forceur climatique à courte durée de vie (SLCF – lire notre article sur le sujet) (comme le carbone suie, l’ozone troposphérique et certaines espèces d’HFC), ainsi qu’un précurseur d’ozone troposphérique (comme les NOx, les COVNM et le CO). Il est ainsi concerné à la fois par les problématiques de changement climatique et de pollution atmosphérique.

Selon l’édition 2022 du Bulletin annuel sur les GES publié le 26 octobre 2022 par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM), le CH4 est le deuxième contributeur au forçage radiatif total des GES, à hauteur de 16% en 2021, après le CO2 (66%) et avant le N2O (7%). En 2021, les concentrations moyennes mondiales de CH4 dans l’atmosphère ont atteint les niveaux les plus élevés jamais enregistrés depuis l’époque préindustrielle (1750) : 1 908 parties par milliard (ppb), soit +162% depuis 1750 (729 ppb).

Par rapport aux principaux gaz à effet de serre (CO2, N2O, HFC, PFC, SF6, NF3), le CH4 a une durée de vie dans l’atmosphère courte. Ainsi, dans son 6e rapport d’évaluation (2021), le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) l’estime à 11,8 ans (voir tableau 7 SM7 p.1842 [page à l’écran]), soit une légère réévaluation à la baisse de son estimation de 12,4 ans indiquée dans son 5e rapport d’évaluation (2013) (voir chapitre 8, appendice 8.A, tableau 8.A.1 pp.732). C’est pour cette raison que le CH4 fait partie de la catégorie des forceurs climatiques à courte durée de vie.

Quant à la valeur PRG (pouvoir de réchauffement global lire l’encadré dans notre article) du CH4, elle diffère sensiblement selon que le PRG soit considéré sur 20 ans ou sur 100 ans. Sur 100 ans, le 6e rapport d’évaluation l’estime à 27,9 ans (contre 28 ans dans le 5e rapport). Cependant, sur 20 ans, le PRG du CH4 est beaucoup plus important : 81,2 dans le 6e rapport (contre 84 dans le 5e rapport) (sources : AR6, voir tableau 7 SM7 p.1842 [page à l’écran] ; AR5, voir chapitre 8, appendice 8.A, tableau 8.A.1 pp.732). Autrement dit, le CH4 a un effet sur le climat beaucoup plus fort à court terme (20 ans) qu’à long terme (100 ans).

Dans son résumé à l’intention des décideurs du premier volume de 6e rapport d’évaluation (AR6), consacré aux sciences du climat et publié le 9 août 2021, le Giec souligne que les concentrations atmosphériques de CH4 en 2019 étaient les plus hautes depuis au moins 800 000 ans et que des réductions rapides, fortes et soutenues de CH4 limiteraient le réchauffement résultant de la baisse des émissions d’aérosols et amélioreraient la qualité de l’air (lire notre dossier de fond).

Dans son résumé à l’intention des décideurs du 3e volume de l’AR6, consacré à l’atténuation et publié le 4 avril 2022, le Giec souligne que pour respecter l’objectif de +1,5°C, les émissions mondiales de CH4 doivent être réduites de 34% d’ici 2030 et de 45% d’ici 2050. Pour respecter l’objectif de +2°C, elles doivent baisser de 24% d’ici 2030 et de 37% d’ici 2050 (lire notre dossier de fond).

 

 

 

 

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