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Emissions mondiales de CH4 : l’AIE publie une mise à jour de son outil de suivi et pointe le torchage et les fuites

  • Réf. : 2023_03_a04
  • Publié le: 29 mars 2023
  • Date de mise à jour: 30 mars 2023
  • International

Le 21 février 2023, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié une mise à jour de ses estimations d’émissions mondiales de méthane (CH4, puissant gaz à effet de serre – voir encadré en fin d’article) provenant de l’extraction, de la production et du transport de pétrole, de gaz et du charbon. Ces estimations, basées sur les dernières études scientifiques et des observations satellitaires, ont été élaborées à l’aide de l’outil de suivi de l’AIE (Global Methane Tracker).

 

Etat des lieux des émissions en 2022

Selon les estimations 2022 de l’AIE, comme pour l’année 2021 (lire notre article), c’est le secteur énergétique mondial qui est le deuxième responsable des émissions mondiales de CH4, avec environ 133 millions de tonnes (Mt) de CH4 émis dans l’atmosphère en 2022 (soit environ 40% des émissions anthropiques totales de CH4). Le premier secteur est toujours l’agriculture avec 142 Mt de CH4 émis en 2022.

Selon l’AIE, les 133 millions de tonnes d’émissions de CH4 liées à l’énergie proviennent à part quasiment égales du charbon (41,8 Mt), du pétrole (45,6 Mt) et du gaz naturel (36,7 Mt) et environ 10 Mt de la bioénergie.

 

Répartition sectorielle des émissions mondiales de CH4 d’origine anthropique en 2022

* principalement lorsque le bois et d’autres biomasses solides sont utilisés comme combustible de cuisson traditionnel

Source : Citepa, d’après AIE, 21 février 2023.

 

Emissions mondiales de CH4 du secteur de l’énergie, 2000-2022 (en Mt)

Source : AIE, 21 février 2023.

 

Potentiel de réduction des émissions de CH4 du secteur de l’énergie

L’AIE estime qu’environ 70% des émissions de CH4 liées aux activités du secteur de l’énergie pourraient être réduites à l’aide des technologies existantes :

  • pour l’industrie pétrolière et gazière, le potentiel de réduction est estimé à 75% des émissions via la mise en œuvre de programmes de détection et de réparation des fuites, ou de remplacement des installations défectueuses (qui fuient) ;
  • quant au sous-secteur du charbon, le potentiel de réduction est estimé à 50% des émissions via la valorisation énergétique du CH4 émis par les mines de charbon ou via des technologies de torchage ou d’oxydation lorsque la valorisation énergétique n’est pas possible.

 

Coûts/bénéfices de la réduction des émissions

Selon l’AIE, la réduction des émissions de CH4 dans l’industrie pétrolière et gazière a un très bon rapport coût-efficacité. Sur la base du prix moyen du gaz naturel sur la période 2017-2021, environ 40% des émissions de CH4 de ce secteur pourraient être évitées à un coût net nul car le coût de la mise en œuvre des mesures de réduction est plus faible que la valeur marchande du gaz supplémentaire récupéré des fuites. Sur la base des prix records du gaz naturel observé à travers le monde en 2022, l’AIE estime qu’environ 80% des options de réduction des émissions liées aux activités de l’industrie pétrolière et gazière dans le monde pourraient être mises en œuvre à un coût net nul.

L’AIE souligne par ailleurs qu’il faut réaliser des investissements à hauteur d’environ 100 Md$ jusqu’en 2030 pour mettre en œuvre l’ensemble des mesures de réduction dans l’industrie pétrolière et gazière, ce qui équivaudrait à moins de 3% des recettes nettes de ce secteur en 2022.

 

Torchage

Selon l’AIE, la mesure de réduction qui aurait l’impact le plus fort sur les émissions de CH4 liées aux activités pétrolières et gazières consisterait à mettre fin au torchage et aux rejets réalisés en urgence. Elle estime que le torchage conduit à l’émission de plus de 500 Mt de CO 2e (CO2 + CH4) par an, soit environ 1% des émissions mondiales totales de GES en 2021 (52,8 Gt CO2e hors UTCATF [source : PNUE, Emissions Gap Report 2022]. A titre de comparaison, en France, les émissions de GES en 2021 étaient de 418 MtCO2e [source : Citepa, rapport d’inventaire Secten, éd. 2022).

Aujourd’hui, au niveau mondial, plus de 260 milliards de m3 (Mdm3) de gaz naturel sont perdus en raison du torchage, soit 6,5% de la production mondiale de gaz naturel en 2020 (4 014 Mdm3, source : AIE). Selon l’AIE, il est peu probable que la totalité de ces émissions puisse être évitée mais si les politiques de réduction adéquates ciblant à la fois le torchage et les émissions de CH4 sont adoptées et mises en œuvre sur le terrain, près de 80% du CH4 perdu au torchage pourrait être récupéré et valorisé (remis sur les marchés), soit un volume de 200 Mdm3 sur les 260 Mdm3 perdu. Ce volume de 200 Mdm3 est supérieur aux importations de gaz naturel de l’UE en provenance de Russie avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. A noter toutefois que les estimations provisoires montrent une baisse des activités de torchage du gaz naturel en 2022 au niveau mondial.

Enfin, si on mettait fin à ce gaspillage de gaz naturel, cela conduirait à réduire le réchauffement de près de +0,1°C d’ici 2050.

Activités de torchage janvier-septembre 2022

Source : AIE, 21 février 2023.

 

Fuites

En 2022, les satellites ont détecté plus de 500 très grandes fuites provenant d’activités pétrolières et gazières totalisant environ 3 Mt de CH4 qui se sont produites dans 20 pays. En 2022, pour la première fois, les satellites ont pu identifier et quantifier des fuites provenant des activités offshore. L’AIE observe que les émissions de CH4 provenant de très grandes fuites ont baissé de près de 10% en 2022 par rapport aux niveaux détectés en 2021.

L’AIE souligne que, tout en étant une source importante des émissions de CH4, il faut mettre les grandes fuites en perspective : elles ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Dans le cas de l’épisode précis du Nordstream, selon une analyse du PNUE, dont les résultats ont été publiés le 20 février 2023 (voir premier encadré ci-dessous), la quantité de CH4 qui s’est échappée via les fuites représente moins de 0,1% du total des émissions annuelles de CH4 d’origine humaine (355,8 Mt en 2022, source : AIE). En revanche, les activités pétrolières et gazières normales émettent chaque jour en moyenne l’équivalent d’un épisode du type Nord Stream (voir graphique ci-dessous).

Lors de la COP-27, l’Observatoire international des émissions de méthane (International Methane Emissions Observatory ou IMEO – lire notre article), géré par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), a lancé un dispositif d’alerte mondial, le Methane Alert and Response System (MARS), qui s’appuie sur des satellites pour détecter les très grandes fuites et mobilise ses partenaires afin d’alerter les exploitants et les autorités concernés pour qu’ils mettent en œuvre des mesures de réduction sur le terrain.

 

Les grandes fuites provenant des activités pétrolières et gazières en 2022 (en Mt)

Source : AIE, 21 février 2023.

Remarques

La fuite de gaz naturel des gazoducs Nordstream (estimée entre 75 et 230 kt CH4) a eu lieu en septembre 2022 en mer Baltique (source : PNUE/IMEO, 20 février 2023).

La fuite d’environ 30 millions de m3 de gaz naturel de la compagnie gazière américaine Equitans Midstream Corporation a eu lieu en novembre 2022 à Jackson, Pennsylvanie (source : Natural Gas Intelligence, 29 novembre 2022).

 

Fuites de CH4 : trois autres analyses

Deux enquêtes du quotidien britannique The Guardian

Le quotidien britannique The Guardian a publié le 6 mars 2023 les résultats de deux enquêtes sur le sujet des fuites de CH4 dans le monde :

La première enquête, basée sur les données de satellite analysées par la société Kayrros, fait état de 1 005 sites « super-émetteurs » en 2022, dont 559 concernent des activités pétrolières et gazières.

Les plus grands épisodes « super-émetteurs » de CH4 à travers le monde en 2022
Taux d’émission de CH4 (en tonnes par heure) par site et par type d’énergie fossile

 

Les résultats de cette enquête montrent les 15 premiers pays en nombre d’épisodes de fuites de CH4 liés aux combustibles fossiles en 2022. Le premier pays est le Turkménistan, suivi de l’Inde et des Etats-Unis. Pour le Turkménistan et les Etats-Unis, les fuites sont majoritairement liées au gaz et au pétrole, alors que pour l’Inde, elles sont liées au traitement des déchets.

Les 15 premiers pays en nombre d’épisodes de fuites de CH4 liés aux combustibles fossiles en 2022

Dans le cadre de la deuxième enquête, 55 « bombes à méthane » ont été identifiées grâce à d’autres données (un traitement scientifique de Kjell Kühne du centre de réflexion Leave it in the ground, LINGO). Cette enquête s’appuie sur une analyse précédente des « bombes climatiques », dont les résultats ont été publiés le 11 mai 2022 (lire notre article).

 

Une analyse de l’Observatoire international des émissions de méthane (IMEO) du PNUE

L’IMEO du PNUE (voir plus haut) a publié le 20 février 2023 les résultats de son analyse de l’ampleur des fuites de CH4 suite à l’incident intervenu sur les gazoducs Nord Stream en mer Baltique, en septembre 2022. Selon les estimations de l’IMEO, entre 75 et 230 kt de CH4 se sont échappées au total. A titre de comparaison, 230 kt est l’équivalent de 0,4% des émissions nationales de CH4 de la France en 2021 (54,6 Mt CO2e, source : Citepa, inventaire Secten, éd. 2022).

 

 

En savoir plus

Communiqué de l’AIE

Synthèse

Rapport

Données d’émissions de CH4 du Global Methane Tracker

Comprendre les émissions mondiales de CH4 (page dédiée du site de l’AIE)

Stratégies pour réduire les émissions de CH4 de l’industrie pétrolière et gazière

Stratégies pour réduire les émissions de CH4 du sous-secteur du charbon

Agence européenne pour l’environnement (AEE) (2022). Methane emissions in the EU: the key to immediate action on climate change, note d’analyse (Briefing), 30 nov. 2022. Consulter

 

Contexte scientifique : le méthane et l’effet de serre

Le méthane est un puissant gaz à effet de serre, un forceur climatique à courte durée de vie (SLCF – lire notre article sur le sujet) (comme le carbone suie, l’ozone troposphérique et certaines espèces d’HFC), ainsi qu’un précurseur d’ozone troposphérique (comme les NOx, les COVNM et le CO). Il est ainsi concerné à la fois par les problématiques de changement climatique et de pollution atmosphérique.

Selon l’édition 2022 du Bulletin annuel sur les GES publié le 26 octobre 2022 par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM), le CH4 est le deuxième contributeur au forçage radiatif total des GES, à hauteur de 16% en 2021, après le CO2 (66%) et avant le N2O (7%). En 2021, les concentrations moyennes mondiales de CH4 dans l’atmosphère ont atteint les niveaux les plus élevés jamais enregistrés depuis l’époque préindustrielle (1750) : 1 908 parties par milliard (ppb), soit +162% depuis 1750 (729 ppb).

Par rapport aux principaux gaz à effet de serre (CO2, N2O, HFC, PFC, SF6, NF3), le CH4 a une durée de vie dans l’atmosphère courte. Ainsi, dans son 6e rapport d’évaluation (2021), le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) l’estime à 11,8 ans (voir tableau 7 SM7 p.1842 [page à l’écran]), soit une légère réévaluation à la baisse de son estimation de 12,4 ans indiquée dans son 5e rapport d’évaluation (2013) (voir chapitre 8, appendice 8.A, tableau 8.A.1 pp.732). C’est pour cette raison que le CH4 fait partie de la catégorie des forceurs climatiques à courte durée de vie.

Quant à la valeur PRG (pouvoir de réchauffement global lire l’encadré dans notre article) du CH4, elle diffère sensiblement selon que le PRG soit considéré sur 20 ans ou sur 100 ans. Sur 100 ans, le 6e rapport d’évaluation l’estime à 27,9 ans (contre 28 ans dans le 5e rapport). Cependant, sur 20 ans, le PRG du CH4 est beaucoup plus important : 81,2 dans le 6e rapport (contre 84 dans le 5e rapport) (sources : AR6, voir tableau 7 SM7 p.1842 [page à l’écran] ; AR5, voir chapitre 8, appendice 8.A, tableau 8.A.1 pp.732). Autrement dit, le CH4 a un effet sur le climat beaucoup plus fort à court terme (20 ans) qu’à long terme (100 ans).

Dans son résumé à l’intention des décideurs du premier volume de 6e rapport d’évaluation (AR6), consacré aux sciences du climat et publié le 9 août 2021, le Giec souligne que les concentrations atmosphériques de CH4 en 2019 étaient les plus hautes depuis au moins 800 000 ans et que des réductions rapides, fortes et soutenues de CH4 limiteraient le réchauffement résultant de la baisse des émissions d’aérosols et amélioreraient la qualité de l’air (lire notre dossier de fond).

Dans son résumé à l’intention des décideurs du 3e volume de l’AR6, consacré à l’atténuation et publié le 4 avril 2022, le Giec souligne que pour respecter l’objectif de +1,5°C, les émissions mondiales de CH4 doivent être réduites de 34% d’ici 2030 et de 45% d’ici 2050. Pour respecter l’objectif de +2°C, elles doivent baisser de 24% d’ici 2030 et de 37% d’ici 2050 (lire notre dossier de fond).

 

 

 

 

 

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