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Investiture de Joe Biden : au-delà du retour dans l’Accord de Paris, quelle nouvelle ambition climat aux Etats-Unis ?

  • Réf. : 2021_01_a10
  • Publié le: 22 janvier 2021
  • Date de mise à jour: 25 janvier 2021
  • International

Après l’investiture officielle du 46e Président des Etats-Unis, le 20 janvier 2021, Joe Biden a signé un décret présidentiel (executive order) formalisant l’adhésion de son pays à l’Accord de Paris en vertu de son article 21 (voir encadré ci-dessous).

Contexte

Les Etats-Unis (17,9% des émissions mondiales de GES) avaient ratifié l’Accord de Paris le 3 septembre 2016 sous l’ancien Président Barack Obama mais l’administration Trump avait ensuite formellement notifié le retrait de ce pays le 4 novembre 2019 (conformément à l’article 28 de l’Accord de Paris), retrait qui était devenu officiel le 4 novembre 2020 (conformément à ce même article).

Le nouveau Président, Joe Biden, qui a remporté l’élection présidentielle du 3 novembre 2020, s’est engagé à ramener les Etats-Unis dans l’Accord de Paris le premier jour de son mandat, le 20 janvier 2021 (selon son programme électoral pour le climat intitulé « Plan climat et justice environnementale« ). C’est désormais chose faite avec le décret présidentiel du 20 janvier 2021.

Lire notre dossier de fond « Accord de Paris : enjeux et conséquences de l’annonce du Président Donald Trump du retrait des Etats-Unis Annonce présidentielle, Washington, 1er juin 2017″, publié en juin 2017.

 

Quelle démarche pour les Etats-Unis de rejoindre l’Accord de Paris ?

La prochaine étape pour le Président Biden était de déposer ce décret officiellement auprès du Secrétaire-général de l’ONU (le dépositaire des Traités). La réintégration des Etats-Unis, en termes juridiques une adhésion (accession), prendra effet dans un délai de 30 jours après ce dépôt (conformément à l’article 21 § 3 de l’Accord de Paris), soit le 20 février 2021. Le décret a dûment été déposé le 20 janvier 2021 et l’adhésion des Etats-Unis à l’Accord de Paris est datée du même jour dans le tableau sur le site de l’ONU présentant l’état de sa ratification. Ainsi, le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris aura officiellement duré 77 jours.

 

Une équipe d’experts « climat »

Joe Biden s’est entouré d’une équipe d’experts en matière de climat et d’environnement pour mener sa politique en la matière et concrétiser ainsi son programme électoral sur ces deux sujets. Selon Paul Bledsoe, ancien directeur de la communication du groupe d’experts sur le climat (1998-2001) auprès de l’ancien Président Bill Clinton, il s’agit « de loin de l’équipe climat la plus expérimentée et du plus haut niveau dans l’histoire des Etats-Unis » (rapporté par le quotidien britannique The Guardian du 19/01/2021).

Comme le souligne l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales), « cette équipe montre d’emblée la voie choisie » par le nouveau Président. « Cela s’observe, en premier lieu, pour les postes dont la principale responsabilité relève du climat. A la différence de l’ensemble de ses prédécesseurs, Joe Biden s’entoure de conseillers dédiés, aux plus hauts niveaux de la Maison Blanche, avec des équipes fournies et solides et des portefeuilles étendus« .

Comme il l’a annoncé le 23 novembre 2020, Joe Biden a nommé l’ancien Secrétaire d’Etat, John Kerry, envoyé spécial international pour le climat. C’est John Kerry qui a été Secrétaire d’Etat (l’équivalent du Ministre des Affaires étrangères) dans l’administration de l’ancien Président Barack Obama lors de son deuxième mandat (2012-2016). En cette qualité de chef de la diplomatie américaine et fin praticien du multilatéralisme, comme le rappelle l’Iddri, c’est John Kerry qui avait activement négocié l’Accord de Paris lors de la COP-21 et l’avait signé à New York le 22 avril 2016.

Les autres nominations clés :

  • Michael Regan (Secrétaire [directeur] du Ministère de la qualité de l’environnement de la Caroline du Nord depuis 2017) : directeur de l’EPA,
  • Gina McCarthy (administratrice de l’Agence pour la protection de l’environnement [EPA] de 2013 à 2016) : conseiller climat national (national climate advisor) dont la mission sera de coordonner les politiques nationales,
  • Ali Zaidi (ancien conseiller climat en chef du Gouverneur de l’Etat de New York) : conseiller climat national adjoint (deputy national climate advisor),
  • David Hayes (ancien Secrétaire adjoint du Ministère de l’Intérieur dans les administrations Obama et Clinton et ancien directeur exécutif du Centre d’impacts environnementaux et énergétiques au sein de la faculté de droit de l’Université de New York) : assistant spécial du Président pour la politique climat,
  • Sonia Aggarwal : conseiller en chef (senior advisor) pour la politique climat et l’innovation,
  • Jahi Wise : conseiller en chef (senior advisor) pour la politique climat et la finance,
  • Maggie Thomas : cheffe (chief of staff) du Bureau de la politique climat national (Office of Domestic Climate Policy),
  • Brenda Mallory (ancienne avocate spécialisée dans les sujets environnement) : Présidente du Conseil de la qualité de l’environnement [Council on Environmental Quality]),
  • Cecilia Martinez : directrice en chef (senior director) de la justice environnementale au sein du Conseil de la qualité de l’environnement,
  • Jennifer Granholm (Gouverneure du Michigan 2003-2011) : Ministre de l’Energie (Energy Secretary).

 

L’Iddri souligne en outre que, quant aux nominations « hors sujets climat », elles sont également révélatrices : Joe Biden a choisi de confier un ensemble de postes clés à des politiques, des hauts fonctionnaires et des conseillers imprégnés de la question climatique, et susceptibles de la mettre en avant au sein de leur portefeuille. Une telle configuration, à tous les niveaux de la future administration, démontre une volonté de cohérence des politiques publiques.

Voir l’ensemble du cabinet du Président Biden. Voir aussi l’équipe du Bureau exécutif du Président (Executive Office of the President ou EOP) chargé de soutenir et conseiller le Président sur les différents sujets. Le Conseil de la qualité environnementale se situe au sein de l’EOP.

 

Priorités

Le climat est la deuxième des sept priorités définies par le nouveau Président (après celle de la pandémie de Covid-19). Biden souligne que son administration s’efforcera de « répondre aux exigences de la science »,, contrairement à son prédécesseur. Parmi ses promesses électorales, Biden s’est engagé à renouveler la contribution des Etats-Unis au Fonds vert pour le climat (GCF) et à engager une dynamique internationale pour inciter tous les pays à rehausser l’ambition de leurs objectifs climat nationaux et ce, notamment en convoquant, dans les 100 premiers jours de son mandat (soit avant le 30 avril 2021), un sommet climat mondial pour rallier les dirigeants des grands pays émetteurs.

Au niveau de la politique climat nationale, il s’est engagé :

  • à atteindre une économie 100% énergies propres et un objectif de zéro émission nette en 2050,
  • à exiger du Congrès [le Parlement américain] qu’il adopte une législation la 1ère année de sa Présidence qui :
  • mette en place un mécanisme pour faire respecter l’objectif zéro émissions nettes 2050,
  • fixe un objectif intermédiaire de réduction à atteindre en 2025,
  • prévoie d’importants investissements dans la R&D sur le climat et l’énergie

(Pour voir le détail de ses promesses électorales en matière de politique climat internationale et nationale, lire notre article sur le sujet).

 

Sommet climat pour les dirigeants

Le Président Biden a choisi la Journée internationale de la Terre (Earth Day), le 22 avril 2021, pour convoquer le sommet climat pour les dirigeants (Climate Leaders’ Summit) qu’il avait promis dans son programme électoral (source : NYT, 21 janvier 2021). Etant donné la crise sanitaire mondiale, le sommet devrait se dérouler essentiellement en visio-conférence.

 

Vers une NDC-2 ?

Le premier grand défi pour la nouvelle administration américaine est de proposer une nouvelle NDC fixant de nouveaux objectifs de réduction de gaz à effet de serre (au-delà de l’objectif inscrit dans la 1ère NDC de 2016 : -26 à -28% d’ici 2025, base 2005). Si Biden réussit à relever ce défi et ce, en amont de la COP-26 (1-12 novembre 2021 à Glasgow, Ecosse), cela pourrait engendrer une dynamique politique et diplomatique forte pour inciter les autres pays, et notamment les grands émetteurs, à emboîter le pas des Etats-Unis.

Selon le World Resources Institute (WRI), sur la base d’une analyse du deuxième rapport d’évaluation de l’action climat non-étatique aux Etats-Unis publié le 10 décembre 2019 par la coalition américaine America’s Pledge (Engagement des Etats-Unis), Biden devrait fixer un objectif 2030 de -40 à -45% par rapport à 2005 (source : WRI, 7 nov. 2020). Le WRI souligne qu’un tel objectif obligerait l’administration Biden à mettre en place des politiques fédérales robustes qui s’appuient sur, complètent et renforcent les mesures mises en œuvre par les Etats fédérés, les villes et le secteur privé aux Etats-Unis ces dernières années. La valeur inférieure de la fourchette de réduction (-40%) correspondrait à l’objectif de réduction a minima des Etats-Unis qui soit compatible avec l’objectif de 1,5°C de l’Accord de Paris alors que la valeur supérieure (-45%) permettrait aux Etats-Unis de rétablir son ancien rôle moteur dans les négociations climat internationales mais nécessiterait toutefois l’intervention du Congrès pour adopter de nouveaux actes législatifs visant à réduire les émissions de GES.

 

Emissions nationales de GES aux Etats-Unis 2005-2018 au regard de l’objectif inscrit dans leur NDC-1 et de l’objectif de réduction 2030 préconisé par le WRI

Quoi qu’il en soit, Joe Biden devra mettre en place des mesures robustes pour réduire les émissions nationales de GES afin de concrétiser les promesses de son programme électoral. Comme le souligne l’Iddri, reste à savoir si la future feuille de route sera cohérente avec ses intentions.

 

Premières mesures prises par la nouvelle administration

Le premier jour de son mandat, le 20 janvier 2021, le nouveau Président a commencé à mettre fin à la centaine de mesures adoptée par l’administration Trump pour supprimer, détricoter ou affaiblir les décrets présidentiels et réglementations en matière d’environnement (environmental rollbacks) adoptés par l’administration Obama. En, plus du retour au sein de l’OMS, le nouveau Président a signé, le 20 janvier 2021, un décret présidentiel sur la protection de la santé publique et l’environnement, et sur la réhabilitation de la science pour guider l’action climat. Ce décret pose le principe que le Gouvernement fédéral américain doit protéger la santé publique et l’environnement (y compris la réduction des émissions de GES). A cette fin, le décret ordonne à tous les Ministères du Gouvernement et à toutes les agences fédérales de réexaminer immédiatement toutes les réglementations fédérales, tous les décrets présidentiels, toutes les décisions, politiques ou actions fédérales adoptés entre le 17 janvier 2017 et le 20 janvier 2021 qui soient incompatibles, incohérents ou en conflit avec le principe précité. Les directeurs des agences fédérales sont ainsi habilités à envisager de suspendre, réviser ou annuler ces réglementations ou actions.

Au premier rang des réglementations qui doivent faire l’objet de ce réexamen, assorties d’une échéance, figurent :

  • l’annulation, par l’administration Trump, du plan d’actions mis en place le 14 janvier 2015 par l’ancien Président Obama et des règles mises en œuvre en 2012 et en 2016 par l’EPA pour réduire les fuites de CH4 provenant du secteur pétrolier et gazier (production, transport et distribution). Réglementations adoptées par l’administration Trump le 15 septembre 2020. Echéance pour le réexamen : septembre 2021,
  • l’affaiblissement des normes d’émissions de polluants pour les véhicules motorisés. Réglementations adoptées par l’administration Trump le 27 septembre 2020. Echéance : avril 2021,
  • l’affaiblissement des normes d’émission de polluants pour les installations de production d’électricité à base de charbon ou de pétrole. Réglementations adoptées par l’administration Trump le 22 mai 2020. Echéance : août 2021,
  • la dissolution du groupe de travail inter-agence sur le coût social des GES (Interagency Working Group on the Social Cost of Greenhouse Gases).

(sources : décret présidentiel du 20 janvier 2021 et communiqué de la Maison Blanche).

 

Le Sénat est désormais à majorité démocrate

Le Sénat américain est composé de 100 sièges, avec deux représentants par Etat. Lors des dernières élections pour le Sénat,  le même jour que l’élection présidentielle (3 novembre 2020), l’Etat de la Géorgie n’avait pas réussi à élire les deux sénateurs qui la représenteront à Washington.

Les résultats des élections sénatoriales du 3 novembre 2020

Source : New York Times du 3 nov. 2020.

Il a donc fallu organiser un second tour, ce qui a eu lieu le 5 janvier 2021. Ce second tour avait une portée nationale : il allait déterminer la majorité au Sénat, et donc l’équilibre du pouvoir à Washington. L’issue de cette élection allait donner, ou non, la capacité à Joe Biden à mener facilement à bien son programme électoral. Les deux candidats démocrates ont effectivement remporté la double élection de la Géorgie le 5 janvier 2021, ce qui a eu pour conséquence que les démocrates étaient alors à égalité avec les républicains, avec 50 sièges de sénateurs chaque camp, et la vice-présidente Kamala Harris a pu utiliser sa voix prépondérante en tant que Présidente du Sénat, conformément à la Constitution, pour départager les deux camps. Ceci a permis de faire basculer le Sénat vers une majorité démocrate, situation inédite depuis le 113e Congrès (2013-2015) (source : US Senate). Cette nouvelle donne va faciliter l’adoption et la mise en œuvre de la politique climat proposée par Biden dans son programme électoral. Par ailleurs, le Sénat doit approuver les nominations aux postes clés de l’administration, comme par exemple le directeur de l’EPA, et les budgets des agences fédérales, comme l’EPA. Cependant, force est de constater que cette nouvelle majorité au Sénat est très faible, ce qui ne permettra pas à l’administration Biden de faire passer des lois climat ou environnementales à forte ambition. Or, justement, selon l’Iddri, un des principaux enseignements de la mandature de Donald Trump est qu’il convient d’ancrer les avancées environnementales dans la loi, afin d’éviter d’éventuels futurs détricotages par l’alternance politique.

 

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