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Emissions de GES : la Commission européenne recommande un objectif de réduction pour 2040 de -90%

  • Réf. : 2024_02_a02
  • Publié le: 16 février 2024
  • Date de mise à jour: 20 février 2024
  • UE

Le 6 février 2024, la Commission européenne a recommandé un nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour l’UE, à mi-chemin entre l’objectif de -55% d’ici 2030 (base 1990) et celui de la neutralité climatique d’ici 2050, objectifs déjà fixés (voir encadré ci-dessous). La Commission recommande donc un nouvel objectif de réduction des émissions nettes* de gaz à effet de serre (GES) de -90% d’ici 2040 par rapport aux niveaux de 1990. Ainsi, elle suit les recommandations du Conseil scientifique consultatif européen sur le climat, en proposant la valeur inférieure de la fourchette de réduction préconisée par ce Conseil (voir encadré ci-dessous).

A ce stade, il ne s’agit pas d’une proposition législative mais une simple recommandation formulée dans un document politique sous forme de communication (réf. COM(2024) 63 final) de la Commission au Parlement européen et le Conseil de l’UE sur la base d’une étude d’impact approfondie sur les trajectoires pour atteindre l’objectif de neutralité climatique en 2050. La communication et l’étude d’impact ont été publiées par la Commission le 6 février 2024, lançant ainsi un débat politique et un dialogue ouvert avec toutes les parties prenantes. La Commission souligne qu’une proposition législative sera présentée par la Commission, dont les membres seront renouvelés après les élections européennes (6-9 juin 2024). La future proposition sera ensuite soumise aux deux co-législateurs (Parlement européen et Conseil de l’UE) dans le cadre de la procédure législative ordinaire (articles 289 et 294 du Traité sur le fonctionnement de l’UE), anciennement la procédure de co-décision.

 

Contexte

La « loi européenne sur le climat » et les objectifs de réduction 2030, 2040 et 2050

Le règlement dit « loi européenne sur le climat » (règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021, JOUE L 243 9 juillet 2021 – lire notre article), l’un des éléments essentiels du pacte vert pour l’Europe (Green Deallire notre dossier de fond), a établi le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique à l’horizon 2050. Ce règlement inscrit formellement dans la législation de l’UE le nouvel objectif de réduction collectif contraignant des émissions nettes de GES de l’UE, d’au moins ‑55% entre 1990 et 2030 (contre au moins -40% auparavant), et l’objectif collectif contraignant de neutralité carbone (ou zéro émission nette) dans l’UE à l’horizon 2050. Ce règlement, qui constitue l’un des éléments essentiels du pacte vert pour l’Europe et une contribution majeure de l’UE aux objectifs de l’Accord de Paris, donne ainsi une indication claire de l’orientation à suivre d’ici 2050 pour l’UE dans son ensemble.

 

Afin de mettre en œuvre concrètement ce nouvel objectif 2030 de -55%, la Commission avait présenté le « paquet » climat dit « adapté aux 55% » (« fit for 55 ») le 14 juillet 2021 (lire notre brève). Ce paquet politique et législatif vise à adapter les différents textes législatifs européens au nouvel objectif plus ambitieux de -55%. La quasi-totalité de ce paquet est désormais adoptée par les deux co-législateurs (Parlement européen et Conseil de l’UE) (lire notre brève).

 

Par ailleurs, s’appuyant sur les préconisations du Parlement européen dans son vote du 11 septembre 2020 (lire notre article) sur la proposition initiale présentée par la Commission le 4 mars 2020 (lire notre article), le règlement (UE) 2021/1119 acte le principe d’un objectif de réduction intermédiaire pour 2040 (cf. article 4.3 dudit règlement). La Commission doit présenter une proposition législative en ce sens au plus tard six mois après la réalisation du premier bilan mondial (Global stocktake ou GST) prévu en 2023 par l’Accord de Paris (article 14). Les résultats du GST ont été présentés lors de la COP-28 (du 30 nov. au 13 déc. 2023 (cf. décision 19/CMA-1 adoptée à Katowice, lors de la COP-24), donc la proposition précitée de la Commission doit intervenir avant juin 2024. Cette proposition législative doit être fondée sur une étude d’impact détaillée, afin de modifier le règlement (UE) 2021/1119 pour y intégrer un objectif chiffré de réduction pour l’UE à l’horizon 2040, en tenant compte notamment des résultats de ce bilan mondial. C’est cette étude d’impact qui fait l’objet du présent article.

 

Le règlement (UE) 2021/1119 2050 a également invité la Commission à publier un rapport sur le budget indicatif prévisionnel en matière de GES pour la période 2030-2050 (le budget GES de l’UE est défini comme le volume total des émissions nettes de GES au cours de cette période (exprimées en CO2e et contenant des informations distinctes sur les émissions et les absorptions) (cf. article 4.4). Dans sa proposition d’objectif climat 2040, la Commission doit également tenir compte des impacts sociaux, économiques et environnementaux, y compris les coûts liés à l’inaction (cf. article 4.5b).

 

Consultation publique sur le sujet

Le 31 mars 2023, la Commission européenne a lancé une consultation publique sur l’option de fixer un objectif de réduction des émissions de GES pour 2040 (lire notre article).

 

Recommandations sur le sujet émises par le Conseil scientifique consultatif européen sur le climat

Le 15 juin 2023, le Conseil scientifique consultatif européen sur le climat (European Scientific Advisory Board on Climate Change), établi en application de la loi européenne sur le climat (voir plus haut), a rendu son premier rapport aux institutions de l’UE (Conseil, Commission et Parlement européen). Il formulait des conseils scientifiques pour la fixation d’un objectif de réduction des émissions de GES de l’UE à l’horizon 2040 (lire notre brève).

 

Dans son rapport, le Conseil a formulé sept recommandations, parmi lesquelles :

  • maintenir le budget d’émissions de GES de l’UE dans une limite de 11 à 14 Gt CO2e entre 2030 et 2050 via une réduction des émissions de 90 à 95% d’ici à 2040 par rapport à 1990;
  • mettre en œuvre la fourchette haute, la plus ambitieuse donc (-95%), de l’objectif 2040 pour rendre plus équitable la contribution de l’UE, et compléter ces réductions ambitieuses des émissions nationales de GES par des mesures en dehors de l’UE.

 

 

Les options, l’option recommandée et la justification de l’option recommandée

Pour mettre l’UE sur la voie de la neutralité climatique, la Commission recommande dans sa communication une réduction des émissions nettes de GES de 90% par rapport aux niveaux de 1990 comme objectif à atteindre d’ici à 2040. Pour y parvenir, l’étude d’impact approfondie montre que le niveau des émissions de GES restantes de l’UE en 2040 devrait être inférieur à 850 Mt CO2e (hors émissions du secteur UTCATF donc) et que les absorptions du CO2 dans l’atmosphère (via les processus naturels et technologiques) devraient atteindre jusqu’à 400 Mt CO2.

L’objectif recommandé se fonde donc sur l’étude d’impact approfondie qui a examiné en détail les conséquences de trois options d’objectifs pour 2040 :

  • option 1: une réduction allant jusqu’à 80% par rapport à 1990, compatible avec une trajectoire linéaire entre 2030 et 2050 ,
  • option 2: une réduction de 85 à 90%, compatible avec le niveau de réduction nette des émissions de GES qui serait atteint si le cadre politique actuel était prolongé jusqu’en 2040, et
  • option 3: une réduction de 90 à 95% par rapport à 1990 (l’option finalement recommandée par la Commission).

 

L’option 3 conduit au budget GES le plus réduit pour l’UE, avec des émissions cumulées nettes de GES (le budget GES indicatif) de 16 Gt CO2e pour 2030-2050. C’est la seule option :

  • qui corresponde à l’avis du Conseil scientifique consultatif européen sur le climat (voir encadré plus haut),
  • qui réduirait au minimum les émissions totales de GES,
  • qui est conforme aux dispositions de la loi européenne sur le climat laquelle prévoit que la Commission présente un budget de GES qui ne compromette pas les engagements de l’UE au titre de l’Accord de Paris.

Puisque le budget carbone mondial restant se réduit rapidement, il est essentiel que tous les secteurs réduisent au minimum leurs propres émissions cumulées de GES. Engager l’UE sur cette voie le plus tôt possible rendra la transition énergétique moins coûteuse et plus prévisible. Plus l’action en faveur du climat sera retardée, plus les coûts humains et économiques seront élevés et plus il sera nécessaire de financer la restauration et l’adaptation, en puisant dans les ressources de l’économie de l’UE.

L’annexe de la communication (pp.28-30) énumère huit composantes (« building blocks ») pour atteindre l’objectif de -90% d’ici 2040. Il s’agit d’une liste d’orientations stratégiques et politiques par grand thème :

  • un système énergétique résilient et décarboné pour nos bâtiments, nos transports et notre industrie,
  • une révolution industrielle dont la compétitivité repose sur la recherche et l’innovation, la circularité, l’efficacité des ressources, la décarbonisation de l’industrie et la fabrication de technologies propres,
  • des infrastructures pour la livraison, le transport et le stockage de l’hydrogène et du CO2,
  • de plus fortes réductions d’émissions dans l’agriculture,
  • la politique climat en tant que politique d’investissement,
  • l’équité, la solidarité et les politiques sociales au cœur de la transition,
  • la diplomatie climatique de l’UE et les partenariats pour encourager la décarbonisation à l’échelle mondiale,
  • la gestion des risques et résilience.

 

Les conditions politiques nécessaires pour atteindre l’objectif recommandé

La communication de la Commission définit également un certain nombre de conditions politiques qui sont nécessaires pour atteindre l’objectif de -90%. Le point de départ est la mise en œuvre intégrale du cadre politique et législatif « Fit for 55 » adopté pour 2030 (lire notre brève). Il s’agit également de de la garantie de la compétitivité de l’industrie européenne, d’une plus grande attention portée à une transition juste, de conditions de concurrence équitables avec les partenaires internationaux et d’un dialogue stratégique sur le cadre post-2030, y compris avec les secteurs industriel et agricole.

 

Objectif GES 2040 de l’UE : coalition de 11 Ministres de l’Environnement et déclaration de 14 ONG et fédérations industrielles 

Le 25 janvier 2024, les Ministres de l’Environnement et/ou de l’Energie de 11 Etats membres de l’UE (Allemagne, Autriche, Bulgarie, Danemark, Espagne, France, Finlande, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas et Portugal) ont adressé une lettre conjointe à la Commission européenne. Dans la lettre, ces 11 Ministres ont appelé la Commission à faire preuve d’ambition dans sa communication sur le futur objectif GES pour 2040 : « Nous encourageons vivement la Commission européenne à recommander, dans sa prochaine communication, un objectif climatique européen ambitieux pour 2040. Dans le même temps, nous devons veiller à la bonne mise en œuvre du paquet législatif ‘Fit for 55’. Ceci est important pour la crédibilité de l’UE au niveau international et pour l’acceptabilité du renforcement de l’effort [de réduction des émissions de GES] ».

 

Parallèlement, le 26 janvier 2024, une coalition de 14 ONG environnement, fédérations professionnelles et organisations de collectivités territoriales, regroupées au sein de la « Coalition pour une ambition renforcée sur l’objectif GES 2040 de l’UE » ont adressé une déclaration conjointe aux instances européennes, dont la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le Commissaire à l’action climat, Wopke Hoestra. Dans cette déclaration, ces 14 organisations les exhortent à proposer et à approuver un objectif climat pour l’UE à l’horizon 2040 qui soit fondé sur des données scientifiques et conforme aux recommandations du Conseil scientifique consultatif européen sur le climat d’au moins -90% de réduction nette des émissions d’ici 2040 (par rapport aux niveaux de 1990) ».

 

 

Quid de l’objectif de 30% pour les émissions de GES hors CO2 ?

Comme indiqué plus haut, dans l’annexe de la communication de la Commission, l’agriculture constitue l’une des huit composantes pour atteindre l’objectif 2040 recommandé par la Commission. Ainsi, il y est précisé que « l’agriculture a également un rôle à jouer dans la transition écologique et énergétique. Avec des politiques efficaces qui récompensent les bonnes pratiques. Il est possible de réduire plus rapidement les émissions [de GES] du secteur tout en augmentant les absorptions du carbone dans le secteur des terres, dans les sols et les forêts. La chaîne de valeur agroalimentaire devrait être impliquée afin de créer des synergies et exploiter au maximum le potentiel d’atténuation ».

Dans la version précédente du projet de communication, qui a fait l’objet d’une fuite dans la presse, initialement rapportée le 25 janvier 2024 par le site Carbon Pulse, puis reprise le lendemain par Euractiv, l’approche préconisée pour le secteur de l’agriculture était plus ambitieuse. Ainsi, la Commission avait inclus une référence à un éventuel objectif chiffré, en évoquant la possibilité pour ce secteur de réduire ses émissions de GES hors CO2 (essentiellement le CH4, mais aussi le N2O) d’au moins 30% en 25 ans. Selon cette version précédente, «avec de bonnes mesures politiques et un soutien approprié», il «devrait être possible de réduire les émissions de gaz à effet de serre autres que le CO2 dans le secteur agricole dau moins 30% en 2040 par rapport à 2015» et de «renforcer la capacité des sols et des forêts à stocker davantage de carbone» (source : Euractiv, 30 janvier 2024).

La référence à cet objectif chiffré a été supprimée dans la version définitive de la communication présentée le 6 février 2024, vraisemblablement en réaction au mouvement de protestation mené par les agriculteurs dans plusieurs Etats membres de l’UE, et notamment en France et en Allemagne, mobilisés contre la « sur-réglementation » du secteur et les normes environnementales jugées « trop contraignantes ». Selon Euractiv, cette suppression est un signal qu’a voulu envoyer la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en direction des agriculteurs pour apaiser leurs protestations et les rassurer qu’ils ont été entendus.

 

* avec puits de carbone.

 

En savoir plus

Communiqué de la Commission

Communication de la Commission

Etude d’impact de la Commission (document de travail)

Questions/réponses

Fiche d’information (fact sheet)

Centre commun de recherche (CCR) /Joint Research Centre (JRC) de la Commission européenne : The Commission presented a recommendation for an EU climate target for 2040: what does science say about getting there? note d’analyse, 9 février 2024

 

 

 

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