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Dépassement des valeurs limites pour le NO2 : le Conseil d’État condamne l’État une nouvelle fois à verser deux astreintes (5 M€ chacune), réduites de moitié cette fois

  • Réf. : 2024_02_a07
  • Publié le: 23 février 2024
  • Date de mise à jour: 23 février 2024
  • France
  • UE

Dans une décision rendue le 24 novembre 2023, le Conseil d’Etat a condamné l’Etat à payer deux astreintes (amendes) de 5 M€ chacune pour la période du juillet 2022 à juillet 2023 (soit plus de 54 000 € par jour) au motif que les valeurs limites de concentration (VLC), fixées pour le NO2 par la directive 2008/50/CE (annexe XI) et transposées en droit français à l’article R. 221-1 du Code de l’Environnement, restent dépassées de manière significative dans les zones urbaines de Paris et de Lyon et que les mesures de réduction des émissions de NOx déjà prises ou prévues dans ces deux zones ne permettront pas de ramener les concentrations de NO2 en dessous des VLC dans les délais les plus courts possibles. Ainsi, le Conseil d’Etat juge qu’au regard de la situation à Paris et à Lyon, les mesures prises par le Gouvernement à ce jour pour améliorer la qualité de l’air dans ces deux zones n’ont pas été suffisantes pour considérer que les décisions du Conseil d’Etat du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020 (voir encadré « contexte » ci-dessous) sont intégralement exécutées.

Par un courrier du 18 avril 2023, le Conseil d’Etat avait demandé au Ministre de la Transition écologique de porter à sa connaissance les mesures prises par les services de l’Etat pour assurer l’exécution intégrale de ses deux premières décisions, du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020. Ces éléments ont été fournis le 5 mai 2023. Le 9 octobre 2023, le rapporteur public du Conseil d’Etat, Stéphane Hoynck, a présenté ses conclusions lors d’une séance publique.

Après analyse des nouveaux éléments fournis par le Ministère de la Transition écologique, et suivant les conclusions du rapporteur public, le Conseil d’État a condamné l’Etat, le 24 novembre 2023, à payer deux astreintes, minorées cette fois par rapport à celles fixées par la décision du 10 juillet 2020 (10 M€ par semestre jusqu’à la date de l’exécution de cette décision), soit de 5 M€ pour le second semestre 2022 et de 5 M€ pour le premier semestre 2023 (la période du 12 juillet 2022 au 12 juillet 2023), soit un montant total de 10 M€.

Cette nouvelle décision intervient après plus de 10 ans d’avertissements de la Commission européenne sur les dépassements des VLC applicables au NO2 et la condamnation de la France, en 2019, par la Cour de Justice de l’UE (voir encadré en fin d’article).

 

Contexte :  : le Conseil d’État et sa quatre décisions précédentes : étapes clés du contentieux

Le Conseil d’État est la plus haute juridiction administrative publique française. Il est notamment le juge administratif suprême qui tranche les litiges relatifs aux actes des administrations.

 

Première décision du Conseil d’Etat : 2017

Saisi en 2015 initialement par l’association Les Amis de la Terre-France (rejointe par plus de cinquante autres requérants, dont France Nature Environnement, Greenpeace et Notre Affaire à tous), le Conseil d’État avait enjoint le Premier Ministre et le Ministre de la Transition Ecologique de l’époque, par décision du 12 juillet 2017, de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soient élaborés et mis en œuvre, pour chacune des 12 zones dans lesquelles les valeurs limites de concentration (VLC) étaient encore dépassées en 2015, des plans « qualité de l’air » permettant de ramener, dans le délai le plus court possible, les concentrations de NO2 et de PM10 en dessous des VLC fixées par la directive européenne de 2008 sur la qualité de l’air [2008/50/CE] (annexe XI) et ce, avant le 31 mars 2018 (lire notre article sur cette première décision).

 

Deuxième décision du Conseil d’Etat : 2020

Après avoir constaté que le Gouvernement n’avait toujours pas pris les mesures permettant de respecter les VLC applicables au NO2 et aux PM10, le Conseil d’État lui avait enjoint, par une nouvelle décision du 10 juillet 2020, d’agir dans un délai de six mois, sous peine d’une astreinte (amende) de 10 M€ par semestre de retard (lire notre article sur cette deuxième décision). Le Conseil d’État avait en effet constaté que les VLC restaient toujours dépassées dans neuf zones administratives de surveillance en 2019 : Vallée de l’Arve, Grenoble, Lyon, Marseille-Aix, Reims, Strasbourg et Toulouse pour le NO2, Fort-de-France pour les PM10, et Paris pour le NO2 et les PM10. Le Conseil d’État pointait par ailleurs le fait que les feuilles de route élaborées par le Gouvernement pour ces zones (lire notre article) ne comportent ni estimation de l’amélioration de la qualité de l’air attendue, ni précision sur les délais de réalisation de ces objectifs (sauf pour la Vallée de l’Arve).

Le Conseil d’État avait conclu que, hormis pour la vallée de l’Arve, l’État n’avait pas pris des mesures suffisantes dans les zones encore en dépassement (huit en tout donc) pour que sa décision du 12 juillet 2017 puisse être jugée comme ayant été pleinement exécutée. En conséquence, le Conseil d’État avait décidé d’infliger à l’État une astreinte (amende) de 10 M€ par semestre (soit plus de 54 000 € par jour) tant qu’il n’aura pas pris, avant le 10 janvier 2021, les mesures qui lui ont été ordonnées. Enfin, le Conseil d’État avait ordonné au Premier Ministre de lui communiquer, avant le 10 janvier 2021, copie des actes justifiant des mesures mises en œuvre pour exécuter sa première décision du 12 juillet 2017.

 

Demandes quant à l’exécution de cette deuxième décision : 2021

Le 11 janvier 2021, soit le lendemain de l’échéance imposée par sa décision du 10 juillet 2020 au Gouvernement, le Conseil d’Etat avait demandé à la Ministre de la Transition écologique de porter à sa connaissance les mesures prise par les services de l’Etat pour assurer l’exécution de cette décision.

Après avoir reçu, le 26 janvier 2021, du Ministère de la Transition écologique (MTE) un mémoire précisant les mesures prises depuis juillet 2020 pour améliorer la qualité de l’air dans les zones visées et sur le territoire national en général (mémoire suivi d’observations supplémentaires du MTE le 19 février 2021), le Conseil d’État avait indiqué dans un communiqué, publié le 22 février 2021, les suites qu’il comptait donner à ce contentieux et a précisé le calendrier en ce sens (lire notre article). Le lendemain, le Conseil d’Etat avait également transmis le mémoire et les observations du MTE aux associations requérantes (les Amis de la Terre-France et d’autres ONG), afin qu’elles puissent formuler leurs commentaires.

Par mémoire remis le 25 mars 2021, l’association Les amis de la terre France et les autres ONG requérantes avaient notamment demandé au Conseil d’Etat de constater que les décisions du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020 du Conseil d’Etat n’avaient pas été pleinement exécutées au terme du délai fixé par la décision du 10 juillet 2020.

 

Troisième décision : 2021 (lire notre article)

Dans une décision rendue le 4 août 2021, le Conseil d’Etat avait condamné l’Etat à payer une astreinte (amende) de 10 M€ pour le premier semestre 2021 au motif que les mesures prises par le Gouvernement pour améliorer la qualité de l’air dans les zones en dépassement des valeurs limites de concentration du NO2 et des PM10 n’étaient pas suffisantes pour considérer que la décision du Conseil d’Etat du 12 juillet 2017 a été intégralement exécutée.

Comme le soulignait le Conseil d’Etat lui-même, le montant de 10 M€ est « le montant le plus élevé qui ait jamais été imposé pour contraindre l’Etat à exécuter une décision prise par le juge administratif ». Par ailleurs, le Conseil d’Etat justifiait cette astreinte, « compte tenu du délai écoulé depuis sa première décision, de l’importance du respect du droit de l’UE, de la gravité des conséquences en matière de santé publique et de l’urgence particulière qui en résulte » (source : Conseil d’Etat, communiqué du 10 juillet 2020).

 

Quatrième décision : 2022 (lire notre article)

Dans une décision rendue le 17 octobre 2022, le Conseil d’Etat avait condamné l’Etat à payer deux astreintes (amendes) de 10 M€ chacune pour la période du juillet 2021 à juillet 2022 (soit plus de 54 000 € par jour) au motif que les mesures prises par le Gouvernement à ce jour pour améliorer la qualité de l’air dans les zones en dépassement des valeurs limites de concentration du NO2 n’étaient pas suffisantes pour considérer que les décisions du Conseil d’Etat du 12 juillet 2017 et du 20 juillet 2020 ont été intégralement exécutées.

Selon le Conseil d’Etat, les données de concentrations de NO2 et des PM10 montraient que la situation s’était globalement améliorée mais qu’elle restait fragile ou mauvaise dans quatre zones (Toulouse, Paris, Lyon, Aix-Marseille). A noter que la zone de Grenoble ne présentait plus de dépassement des valeurs limites de concentration pour le NO2 et que la zone de Paris ne présentait plus de dépassement des valeurs limites de concentration pour le PM10.

 

 

Que retenir de la nouvelle décision ?

 

Evolution des concentrations en PM10

Par sa décision du 17 octobre 2022, le Conseil d’Etat avait retenu que la zone de Paris était la seule zone où des dépassements des valeurs limites de concentration (VLC) en PM10 (voir encadré ci-dessous) continuaient d’être relevées et où les décisions du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020 ne pouvaient donc être considérées comme exécutées. Le Conseil d’Etat avait néanmoins constaté qu’aucun dépassement n’y avait été observé en 2021. Il résulte de l’instruction qu’aucun dépassement n’a été observé non plus en 2022 pour cette même zone, confirmant donc la situation constatée depuis 2020. Compte tenu de ces différents éléments, et alors que la situation d’absence de dépassement dans la zone de Paris peut désormais être considérée comme consolidée, selon le Conseil d’Etat, la décision du 12 juillet 2017 doit donc désormais être jugée comme étant exécutée, en ce qui concerne le respect des taux de concentration en PM10.

 

Evolution des concentrations en NO2

Il résulte de l’instruction qu’en ce qui concerne les taux de concentration en NO2, sur les quatre zones administratives de surveillance de la qualité de l’air ambiant pour lesquelles les décisions du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020 n’avaient pas été considérées comme exécutées par la décision du 17 octobre 2022, la zone de Toulouse et celle de Marseille-Aix ne présentent plus, en 2022, de dépassements de la VLC annuelle en PM10 (40 μg/m3voir encadré ci-dessous). Toutefois, la zone de Marseille-Aix connaît encore une station de mesure, celle de Marseille Rabatau, pour laquelle a été constatée en moyenne sur l’année civile une valeur à 39 μg/m3, soit juste en-dessous de la VLC annuelle de 40 μg/m3. Pour les deux autres zones concernées, celles de Paris et de Lyon, si la moyenne annuelle des concentrations en NO2 constatée a globalement diminué dans toutes les stations de mesure en 2022 par rapport à 2019, la VLC annuelle de 40 µg/m3 a été dépassée pendant la période considérée dans huit stations de mesure de la zone de Paris (avec des valeurs atteignant 52 μg/m3 dans deux stations, celle de l’autoroute A1 à Saint-Denis et celle du boulevard périphérique Est), et dans une station de mesure de la zone de Lyon (avec une valeur de 47 μg/m3 relevée à la station de Lyon périphérique, en baisse par rapport à celle constatée pour cette station en 2021 et se rapprochant donc de la VLC de 40 μg/m3).

 

Dans ces conditions, en ce qui concerne les taux de concentration en NO2, la décision du 12 juillet 2017 ne peut être considérée comme étant exécutée désormais que pour la seule zone de Toulouse. En raison de la persistance d’une valeur très proche de la VLC, la situation à Marseille-Aix ne peut pas être considérée comme suffisamment consolidée et les zones de Lyon et de Paris connaissent encore des dépassements significatifs pour ce polluant.

 

PM10 et NO2 : quelles sont les valeurs limites de concentration et autres obligations à respecter ?

Les Etats membres (EM) ne doivent pas dépasser les VLC fixées pour les PM10 et le NO2 dans l’ensemble de leurs zones et agglomérations (article 13.1 de la directive 2008/50/CE).

 

PM10

Les VLC fixées pour les PM10 par la directive 2008/50/CE sont :

  • 40 µg/m3 en moyenne annuelle,
  • 50 µg/m3 en moyenne journalière, à ne pas dépasser plus de 35 fois par année civile [ annexe XI].

 

Les VLC pour les PM10 sont juridiquement contraignantes depuis le 1er janvier 2005 et devaient donc être respectées à cette échéance (cf. article 13 et annexe XI de la directive). Cependant, la directive autorisait les Etats membres à reporter ce délai jusqu’au 11 juin 2011 à condition qu’un plan relatif à la qualité de l’air soit établi pour la zone de dépassement des VLC à laquelle le report de délai s’appliquerait et à condition que cet État membre fasse la preuve qu’il a pris toutes les mesures appropriées aux niveaux national, régional et local pour respecter les délais (article 22.2).

 

NO2

Les VLC fixées pour le NO2 par la directive 2008/50/CE sont :

  • 40 µg/m3 en moyenne annuelle,
  • 200 µg/m3 en moyenne horaire, à ne pas dépasser plus de 12 fois par année civile [ annexe XI].

 

Les VLC pour le NO2 sont juridiquement contraignantes depuis le 1er janvier 2010 et devaient donc être respectées à cette échéance. Cependant, la directive autorisait les Etats membres à reporter ce délai jusqu’au 1er janvier 2015 au plus tard à condition qu’un plan relatif à la qualité de l’air soit établi pour la zone de dépassement des VLC à laquelle le report de délai s’appliquerait (article 22.1).

La directive 2008/50/CE (article 23) prévoit que, lorsque dans une zone ou agglomération donnée, les concentrations de polluants dépassent la valeur limite ou la valeur cible fixée aux annexes XI [SO2, NO2, PM10, CO, plomb, benzène] et XIV [PM2,5], majorée de toute marge de dépassement autorisée, les EM sont tenus d’établir des plans relatifs à la qualité de l’air pour cette zone ou agglomération afin d’atteindre la valeur limite ou la valeur cible correspondante.

Ces plans doivent prévoir des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible (article 23.1). Le contenu minimal de ces plans est fixé en annexe (annexe XV, section A et article 24). Les EM concernés devaient soumettre ces plans à la Commission le plus rapidement possible, et au plus tard deux ans après la fin de l’année au cours de laquelle le premier dépassement a été constaté.

 

 

Les mesures adoptées

Puisque des dépassements des VLC persistent pour le NO2 pour les deux zones de Lyon et de Paris, le Conseil d’Etat s’est ensuite attaché à apprécier si des mesures mises en oeuvre depuis l’adoption de la décision du 17 octobre 2022 sont de nature à ramener, dans le délai le plus court possible, les concentrations de ce polluant en deçà de la VLC dans les zones présentant encore un dépassement ou sont de nature à consolider la situation pour les zones présentant des taux de concentrations très proches de cette VLC.

 

Marseille-Aix

Il résulte de l’instruction que le plan de protection de l’atmosphère (PPA) révisé a été approuvé en mai 2022 et qu’il comporte notamment des mesures de réduction des émissions de polluants ciblant les transports, et en particulier le transport maritime et le transport routier en milieu urbain. Un ensemble de mesures spécifiques a été mis en oeuvre ou est prévu pour limiter les émissions de polluants produites par les navires (notamment le déploiement des bornes électriques sur les quais afin que les navires soient alimentés en électricité et qu’ils ne produisent plus d’émissions lorsqu’ils sont à quai ou encore la réduction de la vitesse de navigation aux abords et dans le port). Par ailleurs, une zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m – lire notre article) couvrant le centre-ville élargi de Marseille a été instaurée le 1er septembre 2022 et l’interdiction de circulation des véhicules comportant une vignette Crit’Air 4 (lire notre brève) est effective sur la zone couverte par la ZFE-m depuis septembre 2023, celle des véhicules comportant une vignette Crit’Air 3 étant prévue à compter de septembre 2024. Selon le Conseil d’Etat, ces différentes mesures de réduction apparaissent comme suffisamment précises et détaillées pour envisager que le respect des VLC en NO2, déjà constaté dans cette zone en 2022, se poursuivra. Elles peuvent ainsi être considérées comme assurant, dans la zone visée, une correcte exécution de la décision du Conseil d’Etat du 12 juillet 2017.

 

Lyon 

Le Ministre fait état de la révision du PPA, adoptée le 24 novembre 2022 et de nouvelles mesures de restriction de la circulation dans le cadre de la ZFE-m de la Métropole de Lyon, avec l’interdiction de circulation des véhicules comportant une vignette Crit’Air 4 à compter du 1er janvier 2024, et celle des véhicules comportant une vignette Crit’Air 3 à compter du 1er janvier 2025. Par ailleurs, il a été décidé par la Métropole du Grand Lyon que la ZFE-m serait étendue à compter du 1er janvier 2024 aux voies rapides, incluant ainsi la station pour laquelle persiste un dépassement (Lyon périphérique). Si ces mesures sont susceptibles de permettre de ramener le niveau de concentration en NO2 en dessous de la VLC pour l’ensemble des stations de mesure à Lyon, en raison du dépassement encore significatif constaté en 2022, la situation ne peut, en l’état, être considérée comme garantissant que les VLC applicables au NO2 seront effectivement respectées à Lyon dans le délai le plus court possible.

 

Paris

Le Ministre fait valoir que la révision du PPA est en cours d’adoption, que l’enquête publique doit avoir lieu en novembre 2023 et que l’approbation du PPA révisé devrait intervenir début 2024[1]. Toutefois, ce PPA révisé, qui ne devrait de toute façon pas avoir un effet immédiat et sensible sur la pollution de l’air, n’est pas encore en vigueur, alors même que la zone de Paris est en situation de dépassement significatif des VLC en NO2 depuis de nombreuses années. En outre, il résulte de l’instruction que l’interdiction de circulation des véhicules comportant une vignette Crit’Air 3, qui devait intervenir au 1er juillet 2023, a été repoussée par la Métropole du Grand Paris au 1er janvier 2025. Dans ces conditions, aucune mesure nouvelle de réduction des émissions de NOx de nature à réduire de façon significative et rapide les taux de concentration en NO2 dans la zone de Paris n’a été mise en œuvre depuis la précédente décision du Conseil d’Etat (du 17 octobre 2022). Par ailleurs, il a été indiqué au cours de l’instruction, qu’en l’état, il n’est pas attendu que les VLC soient respectées dans toutes les stations de mesure en Ile-de-France avant 2030.

Par ailleurs, le Ministre invoque aussi des mesures de portée plus générale, relatives au secteur des transports (l’appui aux collectivités territoriales pour la création et l’évolution des ZFE-m, notamment par la mise en place d’un fonds d’accélération de la transition écologique, le « fonds vert » ; l’aide à l’acquisition de véhicules moins émetteurs ; le soutien au déploiement de bornes de recharges électriques ou relatives au secteur du bâtiment, comme l’interdiction d’installation de nouvelles chaudières à fioul ou à charbon ; l’adoption du plan de sobriété énergétique,…). Toutefois, s’il peut être raisonnablement attendu des effets positifs de telles mesures sur les niveaux de concentration en NO2 dans l’air ambiant, les impacts concrets de ces mesures générales, valables pour l’ensemble du territoire national, ne sont pas déterminées pour les zones de Lyon et de Paris. Ainsi, la contribution de ces mesures à l’objectif de réduire, dans ces zones, la durée des dépassements des VLC pour le NO2 à la période la plus courte possible ne peut, en l’état, être tenue pour suffisamment établie.

Si les différentes mesures mises en avant par le Ministre devraient permettre de poursuivre l’amélioration de la situation constatée à ce jour par rapport à 2021, les éléments fournis ne permettent pas d’établir que les effets des différentes mesures adoptées permettront de ramener, dans le délai le plus court possible, les niveaux de concentration en NO2 en deçà des VLC fixées par la directive 2008/50/CE pour ce polluant dans les zones de Lyon et de Paris. Par conséquent, l’Etat ne peut être considéré comme ayant pris des mesures suffisantes pour assurer l’exécution complète des décisions du Conseil d’Etat des 12 juillet 2017 et 10 juillet 2020 dans ces deux zones.

 

 

Conclusion

Le Conseil d’Etat conclut que sa décision du 12 juillet 2017 est exécutée en ce qui concerne les dépassements des VLC pour les PM10 et, en ce qui concerne le NO2, pour toutes les zones énumérées par la décision du 10 juillet 2020 à l’exception de celles de Lyon et de Paris.

 

La condamnation

Le Conseil d’Etat souligne qu’étant donné, d’un côté, la durée de la période de dépassement des VLC dans les zones de Lyon et de Paris, durée qui ne cesse de s’accroître (et tout particulièrement dans la zone de Paris), et de l’autre côté, les améliorations constatées depuis l’intervention des décisions antérieures, et notamment la réduction du nombre des zones concernées par les dépassements et la baisse globale, tant du nombre des stations de mesure constatant des dépassements que de l’importance de ces dépassements, il y a lieu de minorer de moitié le montant des deux astreintes, pour la période du 12 juillet 2022 au 12 juillet 2023.

Ainsi, conformément à sa décision du 10 juillet 2020, le Conseil d’État condamne l’État au paiement d’une première astreinte pour le deuxième semestre 2022 (juillet – décembre 2022) et une 2e astreinte pour le premier semestre 2023 (janvier – juillet 2023), leur montant étant fixé à 5 M€ chacune, soit 10 M€ au total.

Les deux astreintes seront réparties entre l’association Les Amis de la Terre-France (qui avait initialement saisi le Conseil d’État) et plusieurs organismes et associations œuvrant dans le domaine de la qualité de l’air pour le solde, de la façon suivante :

 

Réactions

Le même jour de l’adoption de la nouvelle décision du Conseil d’Etat, le 24 novembre 2023, le MTE a publié un communiqué, en déclarant notamment « Pour la première fois depuis le début de ce contentieux, le Conseil d’Etat n’a pas condamné l’Etat au montant maximal d’astreinte qu’il avait fixé [par sa décision du 10 juillet 2020], tenant ainsi compte de l’amélioration de la qualité de l’air : absence de dépassement pour les particules fines, retour sous les valeurs limites dans plusieurs zones, diminution de la durée et de l’ampleur du dépassement des valeurs limites et diminution du nombre de personnes exposées à des dépassements pour les agglomérations au-dessus des valeurs limites (notamment pour les agglomérations parisienne et lyonnaise) ».

 

Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement, a également publié le 24 novembre 2023 son analyse de la nouvelle décision du Conseil d’Etat. Il observe que c’est la troisième fois que le Conseil d’Etat procède à la liquidation de l’astreinte prononcée par la décision du 10 juillet 2020 (après la première liquidation provisoire de 10 M€ pour un semestre de retard infligée par la décision du 4 août 2021 et la deuxième liquidation provisoire de 20 M€ pour deux semestres de retard infligée par la décision du 17 octobre 2022). Avec la nouvelle décision du 24 novembre 2023, le Conseil d’Etat a donc réduit de moitié le montant de l’astreinte par semestre de retard, de 10 à 5 M€. En tenant compte de cette nouvelle décision, l’Etat aura donc, pour l’heure, été condamné à verser une astreinte totale de 40 M€ en raison de cinq semestres de retard (2,5 ans) dans l’exécution de la décision du 12 juillet 2017.

Quant à l’utilité de ce contentieux au regard du but poursuivi, selon Arnaud Gossement, le bilan est complexe à établir. D’une part, ce contentieux a été engagé en 2015 (voir notre article pour une chronologie détaillée du contentieux entre l’ONG Les Amis de la Terre et l’Etat jusqu’à la première décision du Conseil d’Etat du 12 juillet 2017) et il est regrettable que, huit ans plus tard, l’Etat n’ait pas encore complètement exécuté la décision du Conseil d’Etat du 12 juillet 2017 et pris toutes les mesures utiles de nature à faire enfin cesser les dépassements et risques de dépassement des VLC applicables au NO2 et aux PM10. D’autre part et malgré ce délai, il semble toutefois que le souci constant du Conseil d’Etat de procéder à l’exécution de ses décisions du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020 ait au moins contribué à une amélioration de la situation, c’est à dire à une réduction des concentrations en NO2 et en PM10 en-deçà des VLC et à l’adoption de nouvelles mesures. Arnaud Gossement souligne qu’il est donc possible que ce contentieux et sa médiatisation aient contribué à ce que l’Etat agisse plus fermement. Reste que certaines mesures prises – comme la création de ZFE-m – sont aujourd’hui contestées et pourraient donc à l’avenir être remises en cause.

 

Prochaines étapes

Le Conseil d’Etat réexaminera en 2024 les mesures mises en œuvre par l’Etat à partir du deuxième semestre 2023 (juillet 2023 – janvier 2024).

 

La France aussi condamnée par la Cour de Justice de l’UE sur le non-respect de la directive 2008/50/CE

A noter enfin que la France fait l’objet de deux contentieux avec l’UE sur le non-respect de la même directive 2008/50/CE pour dépassement des valeurs limites de concentration de NO2 et de PM10.

En savoir plus sur la procédure d’infraction de l’UE et ses quatre étapes (voir premier encadré de notre article).

 

Le cas d’infraction sur le NO2

Le 24 octobre 2019, la France a été condamnée par la Cour de Justice de l’UE (CJUE) pour non-respect de la directive 2008/50/CE relative à la qualité de l’air ambiant, et plus spécifiquement pour :

  • dépassement de manière systématique et persistante la VLC annuelle pour le NO2 depuis le 1erjanvier 2010 dans 12 agglomérations et zones de qualité de l’air françaises, et en dépassant de manière systématique et persistante la VLC horaire pour le NO2 depuis le 1er janvier 2010 dans deux agglomérations et zones de qualité de l’air françaises. La CJUE souligne que ce faisant, la France a continué de manquer, depuis cette date, aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13.1 de la directive 2008/50/CE et de son annexe XI (voir encadré plus loin), et ce depuis l’entrée en vigueur des valeurs limites le 1erjanvier 2010 ;
  • manquement, depuis le 11 juin 2010, aux obligations qui incombent à la France en vertu de l’article 23.1 de la directive 2008/50/CE et de son annexe XV, et en particulier à l’obligation de veiller à ce que la période de dépassement soit la plus courte possible.

La Commission européenne a formellement demandé au Gouvernement français, le 3 décembre 2020, d’exécuter l’arrêt rendu par la CJUE le 24 octobre 2019. Par ailleurs, elle lui a donné un délai de deux mois pour répondre aux préoccupations qu’elle a soulevées (soit jusqu’au 3 février 2021). À défaut, cette dernière pourrait renvoyer l’affaire devant la CJUE et proposer que des sanctions financières soient infligées à la France.

Le 7 février 2024, la Commission européenne a annoncé, dans un communiqué, avoir adressé un avertissement formel à la France, sous forme de lettre de mise en demeure complémentaire, pour non-exécution de l’arrêt de la CJUE, rendu le 24 octobre 2019 (lire notre article). La Commission relance ainsi le contentieux, en cours avec la France sur la mise en œuvre de la directive 2008/50/CE relative à la qualité de l’air, et tout particulièrement sur le non-respect des VLC que la directive a fixées pour le NO2 (contentieux en cours depuis 2015).

Dans cette lettre de mise en demeure complémentaire, la Commission souligne que depuis l’arrêt du 24 octobre 2019, la France a pris certaines mesures et que de nouveaux plans relatifs à la qualité de l’air ont été adoptés dans certaines zones de mesure de la qualité de l’air afin de renforcer les actions existantes. Toutefois, la France ne s’est toujours pas conformée à l’arrêt de la CJUE en ce qui concerne les valeurs limites annuelles de NO2 dans quatre zones de mesure de la qualité de l’air : Paris, Lyon, Strasbourg et Marseille-Aix. Quatorze ans après le délai fixé par la directive et plus de quatre ans après l’arrêt de la Cour de justice, les mesures adoptées jusqu’à présent n’ont pas permis de résoudre efficacement la question. La France dispose à présent d’un délai de deux mois (jusqu’au 7 avril 2024 donc) pour répondre et remédier aux manquements constatés par la Commission. En l’absence de réponse satisfaisante, la Commission pourrait décider de saisir la CJUE, avec une demande d’infliger des sanctions financières.

Lire notre article sur la condamnation de la France par la CJUE le 24 oct. 2019.

Lire notre article sur la demande formelle de la Commission à la France d’exécuter l’arrêt de la CJUE du 24 oct. 2019

Lire notre article sur la lettre de mise en demeure complémentaire adressée par la Commission à la France

 

Le cas d’infraction sur les PM10

Le 28 avril 2022, la France a été condamnée par la Cour de Justice de l’UE (CJUE) pour non-respect de la directive 2008/50/CE relative à la qualité de l’air ambiant, et plus spécifiquement pour :

  • dépassement de manière systématique et persistante la VLC journalière pour les PM10 depuis le 1erjanvier 2005 dans l’agglomération et la zone de qualité Paris et, depuis le 1erjanvier 2005 jusqu’à l’année 2016 incluse, dans l’agglomération et la zone de qualité Martinique/Fort-de-France. La France a ainsi manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13.1 de la directive 2008/50/CE et de son annexe XI « dépassement de manière systématique et persistante» de la valeur limite de concentration (VLC) journalière pour les PM10 ;
  • manquement, dans ces deux zones depuis le 11 juin 2010, aux obligations qui incombent à la France en vertu de l’article 23.1 de la directive 2008/50/CE et de son annexe XV, et en particulier à l’obligation de veiller à ce que la période de dépassement soit la plus courte possible.

Cet arrêt est la conséquence de la procédure d’infraction lancée en 2009 par la Commission européenne contre la France (lire notre premier article sur le sujet publié le 1er mars 2013 et notre deuxième article sur le sujet publié le 1er juillet 2015).

Lire notre article « Après le NO2, les PM10 : la France condamnée par la Cour de Justice de l’UE pour non-respect de la directive sur la qualité de l’air »

 

 

En savoir plus :

 

Deux autres contentieux liés à la pollution de l’air

 

Pollution de l’air par les pesticides

Le Conseil d’Etat a adopté une décision le 13 octobre 2023 rejetant une requête du Collectif des maires antipesticides qui avait demandé au Conseil d’Etat d’enjoindre à la Ministre de la Transition écologique de prendre toutes les mesures utiles pour réglementer et protéger la population contre la pollution de l’air par les pesticides, dans un délai de six mois.

 

Pollution de l’air et santé humaine

Par deux décisions du 16 juin 2023, le Tribunal administratif de Paris a reconnu la responsabilité de l’État du fait de troubles respiratoires subis par des enfants en raison de sa carence fautive en matière de lutte contre la pollution atmosphérique. Ainsi, le Tribunal administratif de Paris a condamné l’État à indemniser des enfants victimes de la pollution de l’air. Sur la base des résultats d’une expertise ordonnée par jugement avant-dire droit, et en s’appuyant sur l’interprétation, par la Cour de Justice de l’UE, de la directive 2008/50/CE, le tribunal a reconnu un lien de causalité entre la pollution de l’air et les dommages corporels des victimes. Malgré une indemnisation symbolique, cette décision constitue le premier cas de réparation des préjudices subis par des particuliers liés à la pollution de l’air (source : Dalloz Actualité du 5 juillet 2023).

Voir les décisions : TA Paris, 4e sect. – 2e ch., 16 juin 2023, n° 2019924  |  TA Paris, 4e sect. – 2e ch., 16 juin 2023, n° 2019925.

 

 

[1] En réalité, l’enquête publique concernant le projet de révision du PPA sur l’ensemble du territoire de la région d’Île-de-France, organisée par le Préfet de la région d’Ile-de-France, Préfet de Paris, n’a pas eu lieu en novembre 2023, mais se tiendra du 26 février au 10 avril 2024. Ce report de trois mois de la tenue l’enquête publique aura pour conséquence un report de l’adoption du PPA révisé. Celle-ci n’interviendra probablement pas avant l’été 2024.

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