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Les politiques de taxation de l’énergie (notamment fossile) de l’UE ne sont pas compatibles avec ses objectifs climat, selon la Cour des Comptes européenne

  • Réf. : 2022_02_a03
  • Publié le: 1 mars 2022
  • Date de mise à jour: 1 mars 2022
  • UE

Le 31 janvier 2022, la Cour des comptes européenne (CCE – voir encadré ci-dessous) a publié un rapport d’analyse intitulé « Taxation de l’énergie, tarification du carbone et subventions à l’énergie ».

 

Mission de la Cour des comptes européenne

La Cour des comptes européenne a été instituée pour contrôler les finances de l’UE. Ses travaux d’audit portent sur le budget et les politiques de l’UE, principalement dans des domaines liés à la croissance, à l’emploi, à la valeur ajoutée, aux finances publiques, à l’environnement et à l’action pour le climat. La Cour contrôle le budget, tant en ce qui concerne les recettes que les dépenses (source : CCE).

 

Objectif du nouveau rapport : évaluer la cohérence entre les taxations et subventions énergétiques et les politiques climat

Ce document d’analyse examine dans quelle mesure les taxes sur l’énergie, la tarification du carbone et les subventions à l’énergie contribuent à la réalisation des objectifs climat de l’UE. Plus spécifiquement, la CCE s’est attachée à examiner :

  • la cohérence entre, d’une part, les niveaux actuels de taxation de l’énergie et la tarification du carbone dans l’UE et, d’autre part, les objectifs climat de l’UE,
  • les subventions à l’énergie, notamment celles aux combustibles et carburants verts et aux combustibles fossiles,
  • la directive sur la taxation de l’énergie actuellement en vigueur (directive 2003/96/CE – lire notre article), qui fixe des taux minimaux de taxation de l’énergie, ainsi que la façon dont la nouvelle proposition de directive de la Commission (présentée dans le cadre du paquet politique et législatif « Fit for 55 » – lire notre brève) entend corriger les faiblesses de cette directive.

 

 

Le document d’analyse couvre la période de 2008 à 2021 (juillet). Les auditeurs de la CCE ont pris en compte des données supplémentaires disponibles après juillet 2021 pour le prix des quotas d’émission de l’UE (jusqu’au 30 novembre 2021) et pour les subventions à l’énergie (données publiées en octobre 2021).

 

Une taxation des énergies fossiles très variable, souvent minimale, qui ne reflète pas leur contenu carbone

La CCE souligne que les niveaux de taxation varient fortement d’un secteur et d’un vecteur d’énergie à l’autre. Dans le cadre de la directive sur la taxation de l’énergie actuellement en vigueur, des sources d’énergie plus émettrices risquent de bénéficier d’avantages fiscaux par rapport à des sources d’énergie faibles en carbone. A titre d’exemple, le charbon est moins taxé que le gaz naturel et certains combustibles fossiles sont nettement moins taxés que l’électricité.

En outre, une majorité d’États membres imposent certes des taxes sur les carburants largement supérieures aux niveaux minimaux établis par la directive sur la taxation de l’énergie, mais plusieurs États membres maintiennent ces taxes à un niveau proche de ces minima. Cette situation risque de créer des distorsions sur le marché intérieur. Pour les décideurs politiques de l’UE, l’un des enjeux consiste à trouver des solutions pour aligner la taxation de l’énergie dans l’UE sur les objectifs des politiques climat. Le faible niveau des prix du carbone et des taxes sur l’énergie pour les combustibles fossiles entraîne une hausse des coûts relatifs des technologies à faibles émissions de carbone et retarde la transition énergétique. En outre, les quotas alloués à titre gratuit au secteur de la production d’électricité dans certains États membres ont freiné l’adoption de technologies décarbonées.

 

Taxation par produit énergétique

Selon le produit énergétique, la moyenne des taxes se situe entre 1,7 euro par MWh et 107,8 euros par MWh (voir graphique ci-dessous). Ces variations ne reflètent pas les différences en matière de contenu carbone. Le charbon est moins taxé que le gaz naturel (qui a un contenu carbone moins important que le charbon), et certains combustibles fossiles sont considérablement moins imposés que l’électricité (qui peut être produite à partir de sources à faibles émissions de carbone).

Taxes ventilées par produit énergétique (en €/MWh)

Source : CCE, 31 janvier 2022 (p.19).

 

Des subventions aux énergies fossiles qui ne diminuent pas

Les subventions à l’énergie peuvent prendre différentes formes : dépenses fiscales (par exemple les crédits ou les réductions d’impôt), aide au revenu ou soutien des prix, transferts directs ou financement de la recherche et du développement. Les subventions à l’énergie relevant de mesures fiscales, qui ont donc une incidence sur le taux de taxation effectif, ont représenté 39% de l’ensemble des subventions à l’énergie en 2019, soit 68 milliards (Md) € sur un total de 176 Md€.

Le montant des subventions à l’énergie a augmenté au fil du temps, notamment grâce à l’essor de celles en faveur des énergies renouvelables, qui ont été multipliées par 3,9 entre 2008 et 2019 (source : Eurostat, 2022). Les subventions aux combustibles fossiles, quant à elles, sont restées plus ou moins stables sur la période malgré les appels à leur élimination progressive. Les subventions aux combustibles fossiles peuvent prendre la forme d’exonérations fiscales, de réductions d’impôts, de virements budgétaires, d’une aide au revenu ou d’un soutien des prix, ou encore d’une sous-tarification de produits. La CCE souligne que ces subventions comportent des risques non négligeables. Elles peuvent en effet :

  • compromettre l’efficacité des signaux de prix du carbone et, par suite, freiner la transition énergétique,
  • contribuer à porter atteinte à la santé publique, étant donné qu’elles favorisent la principale source de pollution atmosphérique,
  • accroître les risques de «verrouillage» (concept de « locking in» en anglais) des investissements à forte intensité de carbone et de ceux dans des actifs qui doivent être démantelés avant la fin de leur durée de vie,
  • fausser le marché, en rendant l’énergie propre et les technologies à faible consommation d’énergie relativement plus onéreuses.

 

Subventions énergétiques sur la période 2008-2019 par source d’énergie

Source : CCE, 31 janvier 2022 (p.28).

 

Tous les secteurs bénéficient de subventions aux combustibles fossiles (voir graphique ci-dessous). L’industrie de l’énergie est celle qui reçoit, en valeurs absolues, la plupart des subventions à l’énergie et de celles aux combustibles fossiles. Celles-ci représentent la majorité des subventions à l’énergie dans trois secteurs : l’industrie, les transports et l’agriculture.

 

Subventions à l’énergie et subventions aux combustibles fossiles en 2019 par secteur

Source : CCE, 31 janvier 2022 (p.31).

 

Comparaison entre subventions aux combustibles fossiles et subventions aux énergies renouvelables

La CCE a comparé les subventions aux combustibles fossiles à celles accordées pour les énergies renouvelables (voir graphique ci-dessous). Prises dans leur ensemble, les subventions aux énergies renouvelables sont plus élevées au sein de l’UE que celles aux combustibles fossiles. Ces données agrégées dissimulent toutefois des différences considérables d’un État membre à l’autre. Quinze États membres (dont la France) accordent davantage de subventions aux combustibles fossiles qu’aux énergies renouvelables. Dans les États membres où le montant des subventions aux combustibles fossiles est supérieur à la moyenne de l’UE, ces subventions sont en général supérieures à celles octroyées en faveur des énergies renouvelables.

 

Niveaux des subventions : comparaison entre les combustibles fossiles et les énergies renouvelables

Source : CCE, 31 janvier 2022 (p.34).

 

La CCE souligne que les États membres qui peinent à progresser dans la réalisation de leurs objectifs en matière d’énergies renouvelables consacrent moins de financements à celles-ci.

 

Conclusions de la CCE : des secteurs émetteurs bénéficient encore d’exonérations de taxes sur l’énergie, et les subventions aux fossiles freinent les politiques d’atténuation

 

La taxation de l’énergie est un instrument que les Etats membres peuvent utiliser non seulement pour percevoir des recettes, mais également pour soutenir la réalisation des objectifs climat de l’UE et pour favoriser les économies d’énergie. Elle peut permettre d’assurer que les signaux de prix des différents produits énergétiques tiennent compte de leur incidence sur l’environnement et d’encourager les entreprises à faire des choix plus écologiques.

 

La directive sur la taxation de l’énergie de 2003 établit les niveaux minimaux d’imposition pour garantir le bon fonctionnement du marché intérieur. Elle peut aussi servir à appuyer d’autres stratégies pertinentes, telles que l’action pour le climat

Certains secteurs bénéficient toutefois de réductions et d’exonérations considérables alors que le niveau de taxation des sources d’énergie ne tient pas compte de leurs émissions de gaz à effet de serre.

La CCE observe qu’après avoir pris en considération l’effet des taxes ou des échanges de quotas d’émission, le prix des produits énergétiques ne traduisait pas, ces dernières années, les coûts environnementaux des émissions.

Dans son évaluation de la directive sur la taxation de l’énergie, réalisée dans le cadre du paquet « Fit for 55 », la Commission a fait état de lacunes dans la législation sur la taxation minimale. La proposition législative révisant cette directive, présentée par la Commission, vise entre autres à aligner la taxation de l’énergie sur le contenu énergétique (et donc sur les objectifs climat de l’UE) et sur les performances environnementales des transporteurs d’énergie. Elle laisserait toujours aux États membres la possibilité de réduire les taux de taxation de l’énergie pour certains secteurs, pour des raisons liées à l’environnement, à l’efficacité énergétique et à la précarité énergétique.

Le système d’échange de quotas d’émission de l’UE et les taxes carbone nationales complètent le cadre de l’UE en matière de taxation de l’énergie. Toutefois, les quotas d’émission alloués à titre gratuit permettent à certains acteurs du marché de ne pas payer une partie de leurs émissions de CO2. Ce sera encore le cas pendant cette décennie (4e phase : 2021-2030).

Les subventions à l’énergie peuvent être utilisées pour passer à une économie à moindre intensité de carbone mais elles font obstacle à la réalisation des objectifs climat, car elles nuisent à la transition vers une énergie verte, malgré les appels à leur élimination progressive. La CCE relève également que l’élimination progressive des subventions aux combustibles fossiles d’ici à 2025, un engagement pris par l’UE et certains de ses États membres dans le cadre du G7, s’annonce délicate sur les plans économique et social. La CCE met en garde contre les répercussions sociales des différentes initiatives proposées dans le cadre du paquet politique et législatif « Fit for 55 » qui peuvent être considérables et, si elles ne sont pas traitées, risquent de nuire à la transition vers une économie plus décarbonée. Si une inégalité de traitement est ressentie par certains groupes ou secteurs, ils risquent de s’opposer à toute avancée dans ce domaine (comme a vu la France avec la crise des gilets jaunes).

Selon la CCE, lors de la révision de la directive 2003/96/CE sur la taxation de l’énergie, l’UE devra relever trois défis majeurs et ce, dans un contexte institutionnel caractérisé par le vote à l’unanimité concernant les questions fiscales (voir notre éclairage « Fiscalité : un processus de prise de décision particulier au niveau de l’UE ») :

  • assurer la cohérence dans le cas des secteurs et des transporteurs d’énergie qui bénéficiaient auparavant d’un traitement de faveur,
  • réduire les subventions aux combustibles fossiles,
  • concilier objectifs climatiques et besoins sociaux.

 

En savoir plus

Communiqué de la CCE (en français)

Rapport intégral de la CCE (en français)

 

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