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Objectifs climat-énergie de l’UE : la Cour des comptes européenne pointe le manque d’ambition des Vingt-sept pour atteindre les objectifs 2030

  • Réf. : 2023_08_a04
  • Publié le: 18 août 2023
  • Date de mise à jour: 17 août 2023
  • UE

Le 26 juin 2023, la Cour des Comptes européenne (CCE – voir encadré ci-après) a publié, sous forme de rapport spécial, un audit de la politique climat-énergie de l’UE. Le rapport évalue la performance de l’UE en matière d’action climat-énergie pour atteindre les objectifs à l’horizon 2020 et 2030 qu’elle s’est fixés en la matière (voir encadré contexte en fin d’article).

 

Mission de la Cour des comptes européenne (CCE)

La CCE a été instituée pour contrôler les finances de l’UE. Ses travaux d’audit portent sur le budget et les politiques de l’UE, principalement dans des domaines liés à la croissance, à l’emploi, à la valeur ajoutée, aux finances publiques, à l’environnement et à l’action pour le climat. La CCE contrôle le budget, tant en termes de recettes que de dépenses (source : CCE).

 

 

Objet du rapport

Dans le cadre du rapport, la CCE s’est attachée à déterminer si l’UE s’appuyait sur des actions concrètes pour atteindre les objectifs en matière d’énergie et de climat qu’elle s’est fixés pour 2030. Le rapport examine si l’UE a tiré des enseignements de l’atteinte des objectifs de 2020 en vue d’atteindre ceux, plus ambitieux, fixés pour 2030.

 

Que retenir du rapport ?

 

Cadre juridique de base

La CCE constate que l’UE a mis en place un cadre juridique visant à mettre en œuvre les objectifs climat-énergie qu’elle s’est fixés. Les États membres étaient tenus de soumettre des plans nationaux en matière d’énergie et de climat (PNEC ou NECP en anglais – voir encadré ci-dessous) pour la période 2021-2030. Ces plans définissent des politiques permettant d’atteindre ces objectifs. La Commission et les États membres sont tenus d’effectuer un suivi et de rendre compte des progrès accomplis.

 

Les NECP

Les NECP doivent être soumis par les Etats membres conformément à l’obligation établie par le règlement (UE) 2018/1999 du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l’Union de l’énergie (articles 3 et 4) (lire notre article). Ces NECP sont décennaux, à compter de la période 2021-2030. Les Etats membres devaient soumettre à la Commission leur projet de premier NECP avant le 31 décembre 2018, et la version définitive au 31 décembre 2019 (article 9). Ils devront soumettre leur 2e plan d’ici le 1er janvier 2029, et ainsi de suite.

Les NECP doivent comporter une description :

  • des objectifs nationaux et des contributions nationales définis au titre de l’Union de l’énergie (réduction des émissions de gaz à effet de serre, énergies renouvelables et efficacité énergétique),
  • des politiques et mesures prévues ou adoptées pour les mettre en œuvre.

Le règlement 2018/1999 (annexe I) établit un modèle de NECP pour garantir une présentation harmonisée entre les Etats membres en vue de faciliter leur évaluation.

Les versions définitives de ces premières NECP avaient été rendues publiques par la Commission le 1er avril 2020.

Le 17 septembre 2020, la Commission avait publié une évaluation, à l’échelle de l’UE, des premières NECP. L’évaluation de la Commission montrait que l’UE était sur la bonne voie pour dépasser son objectif de réduction des émissions de GES d’au moins 40% d’ici à 2030, en particulier grâce aux progrès en cours dans le déploiement des EnR dans toute l’UE. La Commission concluait que l’UE devrait accroître davantage l’efficacité énergétique et la part des EnR. Voir le détail de cette évaluation globale dans notre article.

Le 14 octobre 2020, la Commission européenne a publié les évaluations individuelles des NECP de chacun des 27 Etats membres. Il s’agissait d’analyser les trajectoires et les ambitions de chaque État membre par rapport aux objectifs actuels en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030 (lire notre article).

Au plus tard le 30 juin 2023, et ensuite au plus tard le 1er janvier 2033, et tous les dix ans par la suite, chaque État membre est tenu de soumettre à la Commission un projet de mise à jour de son NECP (cf. article 14 du règlement (UE) 2018/1999).

Voir les pages de la DG Energie consacrées aux NECP.

 

 

Objectifs 2020 et 2030

La CCE constate que l’UE a bien respecté ses objectifs pour 2020, rejoignant ainsi le constat de l’Agence européenne pour l’environnement dans son rapport annuel sur les tendances et projections en matière d’émissions de gaz à effet de serre de l’UE, publié le 26 octobre 2021 (lire notre article). Toutefois, souligne la CCE, elle y est parvenue notamment grâce à des facteurs externes. La Commission n’a pas évalué dans quelle mesure ces avancées découlaient des politiques mises en place (mesures structurelles) plutôt que de phénomènes extérieurs, tels que la crise financière de 2009 (engendrant des fluctuations du PIB) et la pandémie de Covid-19 en 2020 (effets conjoncturels). Plus précisément, la Commission n’a pas évalué :

  • l’ampleur de l’impact de de la pandémie de Covid-19 sur la réalisation des objectifs climat-énergie 2020,
  • l’ampleur des fluctuations inattendues du PIB sur la réalisation, par les Etats membres, des objectifs climat-énergie 2020,
  • dans quelle mesure les mécanismes de flexibilité prévues par les différents actes législatifs climat-énergie (par exemple, l’achat de quotas d’émission de gaz à effet de serre) ont permis aux Etats membres d’atteindre leurs objectifs nationaux de façon efficiente. Ainsi, en raison du manque de transparence sur la manière dont les États membres mettent en œuvre leurs objectifs nationaux en ayant recours à des flexibilités, il est difficile pour les citoyens et les parties prenantes de déterminer si l’UE, dans son ensemble, a atteint ses objectifs globaux de manière efficiente.

 

D’après la CCE, s’il est très probable que les objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre et d’énergies renouvelables auraient été atteints même sans le ralentissement économique induit par la pandémie de Covid-19, celui-ci a joué un rôle important dans la réalisation de l’objectif d’efficacité énergétique. Ainsi, la consommation d’énergie finale a baissé de 8,7 % entre 2019 et 2020 (soit -24,6 % par rapport au scénario de référence 2020), principalement en raison de la récession économique provoquée par la pandémie de Covid-19. La CCE estime que sans ce fort recul interannuel, elle aurait diminué de 17,8 % par rapport au scénario de référence, en supposant que la réduction moyenne annuelle sur la période 2009-2019 se soit poursuivie jusqu’en 2020. Sans la pandémie, l’EU-27 n’aurait donc probablement pas atteint son objectif d’efficacité énergétique pour 2020 (-20% par rapport au scénario de référence).

La CCE constate également que la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’UE était comparable à celle d’autres pays industrialisés. Toutefois, il n’est pas tenu compte, dans la comptabilisation des émissions, de celles résultant des échanges commerciaux (c’est-à-dire les émissions importées), de celles induites par des fuites de carbone (qui, si elles étaient prises en compte, induiraient une augmentation d’environ 8 %) ou encore de celles provenant du transport aérien et maritime international (respectivement 3,4 % et 3,6 %).

 

L’éclairage du Citepa

Pourquoi les émissions importées de gaz à effet de serre et celles issues du transport aérien et maritime international ne sont pas prises en compte dans les inventaires nationaux ?

L’UE ne comptabilise pas les émissions importées de gaz à effet de serre conformément à la méthodologie internationalement reconnue et utilisée aujourd’hui pour l’élaboration des inventaires officiels d’émission de gaz à effet de serre. Ainsi, s’appuyant sur les lignes directrices du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), les directives de la CCNUCC pour l’élaboration des inventaires d’émission de GES prévoient la seule prise en compte des émissions liées aux activités nationales à l’intérieur des frontières (approche territoriale). La méthodologie ne prend donc pas en compte les importants flux d’émissions amont de GES liées aux pays producteurs de biens consommés dans le pays d’inventaire (émissions dites importées). Par conséquent, les émissions de GES associées aux biens importés pour la consommation intérieure des Etats ne figurent pas dans leurs inventaires nationaux. A l’inverse, les émissions liées aux biens fabriqués dans les pays producteurs et exportés sont comptabilisées dans les inventaires nationaux alors que ces biens exportés ne sont pas consommés sur place.

 

Quant aux émissions de gaz à effet de serre du transport aérien et maritime international, elles ne sont pas prises en compte non plus dans les inventaires nationaux. Les émissions de l’aviation internationale, tout comme celles du transport maritime international, n’étaient pas couvertes par le Protocole de Kyoto, et ne sont pas couvertes non plus par l’Accord de Paris. Lors des négociations avant l’adoption du Protocole de Kyoto (1997), les Parties ne sont pas parvenues à un accord sur la question de savoir comment et à qui répartir les émissions de gaz à effet de serre liées aux soutes aériennes et maritimes internationales. Le Protocole de Kyoto (article 2.2) a donc mandaté l’OACI et l’Organisation Maritime Internationale (OMI) pour définir des mesures de réduction visant leurs secteurs respectifs. Les Parties à la CCNUCC ont décidé à la COP-21 (30 nov.-12 déc. 2015) de poursuivre cette démarche pour la période post-2020 dans le cadre de l’Accord de Paris. Il en résulte que les émissions provenant des secteurs du transport aérien international et du transport maritime international sont officiellement exclues du total national des émissions de chaque Etat.

 

Voir notre rapport d’inventaire Secten, édition 2023, publiée en juin 2023 et la page dédiée sur notre site.

 

 

Selon la CCE, la Commission ne dispose que d’un aperçu partiel des actions qui ont permis d’atteindre les objectifs de 2020. Elle a recensé les secteurs affichant de bons résultats, c’est-à-dire ceux couverts par le système d’échange de quotas d’émission de l’UE, mais elle manque d’informations sur les coûts et les impacts des actions visant la réalisation des objectifs.

La CCE précise en outre qu’il existe peu d’indications à ce jour que les objectifs 2030 plus ambitieux donneront lieu à des actions suffisantes au sein des Etats membres.

 

Aspects financiers : budget alloué à l’action climat et besoins en investissement

La CCE souligne un manque de données sur le coût de l’atteinte des objectifs de l’UE. Cette dernière s’est engagée à consacrer au moins 20 % de son budget 2014-2020 à l’action climat. Pour le budget 2021-2027, ce pourcentage est passé à 30 %, soit environ 87 milliards d’euros par an. Ce montant représente moins de 10 % du total des investissements qui sont nécessaires pour atteindre les objectifs de 2030 et qui sont estimés à environ 1 000 milliards d’euros par an. Le reste des investissements devrait provenir de fonds nationaux et privés.

Par ailleurs, les données sur les besoins en investissements et les sources de financement figurant dans les NECP ne sont pas suffisantes pour déterminer si le financement de la mise en œuvre des objectifs 2030 est assuré ou en bonne voie. Dans l’ensemble, la CCE n’a trouvé à ce jour que peu d’éléments laissant penser que les objectifs ambitieux de l’UE fixés pour 2030 donneront lieu à des actions suffisantes. Rien n’indique en effet qu’un financement suffisant sera mis à disposition pour les atteindre, en particulier par le secteur privé.

 

Recommandations

La CCE formule trois recommandations à la Commission européenne :

  • accroître la transparence concernant la performance de l’UE et de ses États membres en ce qui concerne l’action en matière de climat-énergie ;
  • comptabiliser toutes les émissions de gaz à effet de serre générées par l’UE, y compris les émissions importées et celles provenant du transport aérien et maritime international ;
  • soutenir les États membres dans leur engagement à atteindre les objectifs climat-énergie fixés pour 2030.

 

Réponses de la Commission européenne au rapport spécial

En juillet 2023, la Commission européenne a publié ses réponses (en 13 pages) au rapport spécial de la CCE.

 

 

En savoir plus

Communiqué de la CCE

Rapport de la CCE

 

Les objectifs climat-énergie 2020 et 2030 de l’UE

L’UE s’est fixé au fil du temps des objectifs de plus en plus ambitieux en matière de climat et d’énergie. Les objectifs pour 2020 et 2030 visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à développer l’utilisation des énergies renouvelables et à promouvoir l’efficacité énergétique.

 

Les objectifs 2020 et le paquet climat-énergie 2013-2020

Les 8-9 mars 2007, le Conseil européen a approuvé trois objectifs globaux collectifs à l’horizon 2020, dits « 3 x 20 » :

  • réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 (objectif contraignant) ;
  • porter à 20% la part des énergies renouvelables dans les énergies consommées (la consommation finale brute d’énergie) (objectif contraignant);
  • améliorer de 20% l’efficacité énergétique (une réduction de la consommation d’énergie primaire par rapport au scénario tendanciel de 2020) (objectif indicatif).

L’ensemble du Paquet climat-énergie 2007 s’est traduit en six actes législatifs fixant des mesures pour mettre en œuvre les objectifs précités (directive sur le système d’échange de quotas d’émission [SEQE] de gaz à effet de serre, décision sur la répartition de l’effort de réduction dans les secteurs hors SEQE, directive sur les énergies renouvelables, directive sur l’efficacité énergétique,…).

 

Les objectifs 2030 et le paquet climat-énergie 2021-2030

Le 24 octobre 2014, le Conseil européen a approuvé trois nouveaux objectifs globaux collectifs, cette fois pour 2030 :

  • réduire d’au moins 40% les émissions de GES de l’UE (base 1990) (objectif contraignant);
  • porter à au moins 27% la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie de l’UE (objectif contraignant);
  • améliorer d’au moins 27% l’efficacité énergétique (une réduction de la consommation d’énergie primaire par rapport au scénario tendanciel de 2030) (objectif indicatif).

 

Pour mettre en œuvre ces nouveaux objectifs, plusieurs actes législatifs en vigueur ont été renforcés ou de nouveaux actes ont été adoptés en 2018 et 2019 dans le cadre d’un nouveau paquet climat-énergie pour la période 2021-2030, qui avait été présenté par la Commission le 22 janvier 2014 (directive SEQE, règlement sur la répartition de l’effort de réduction dans les secteurs hors SEQE, directive sur les énergies renouvelables, directive sur l’efficacité énergétique,…).

 

Renforcement des objectifs 2030 pour assurer la transition vers la neutralité climatique en 2050

Le pacte vert pour l’Europe (European Green Deal), stratégie présentée par la Commission le 11 décembre 2019, prévoyait une feuille de route composée d’actions destinées, entre autres, à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Dans ce cadre, la Commission a présenté le 17 septembre 2020 un plan, dit « plan cible en matière de climat pour 2030 », visant à renforcer l’objectif de réduction des émissions de GES pour 2030, assorti d’une communication (« Accroître les ambitions de l’Europe en matière de climat pour 2030 »). La Commission y proposait de renforcer l’ambition pour 2030 dans la proposition de règlement dite « loi européenne sur le climat » fixant comme objectif la neutralité climatique en 2050, présenté le 4 mars 2020. Ainsi, elle a proposé de faire passer l’objectif de réduction d’au moins 40% des émissions à l’horizon 2030 à « au moins 55% », en tant qu’étape vers l’objectif de neutralité climatique d’ici 2050. Cette proposition de règlement a été adoptée par le Conseil de l’UE et le Parlement européen dans le cadre de la procédure législative ordinaire (anciennement appelée co-décision) :  règlement (UE) 2021/1119 du 30 juin 2021 (lire notre brève). Ce texte inscrit formellement dans la législation de l’UE le nouvel objectif de réduction collectif contraignant d’au moins ‑55% entre 1990 et 2030. Il s’agit des émissions nettes (c’est-à-dire sont intégrées dans l’objectif les émissions et absorptions de CO2 liées à l’utilisation des terres, le changement d’affectation des terres et la forêt (UTCATF). C’est la première fois qu’un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’UE prend en compte ce secteur complexe (lire notre article sur le sujet et l’encadré consacré à l’UTCATF).

Quant à l’objectif 2030 en matière des énergies renouvelables, dans le cadre du paquet législatif « Fit for 55 [%] », le Conseil de l’UE et le Parlement européen se sont mis d’accord, dans le cadre de la nouvelle directive sur les énergies renouvelables (dite RED III), en cours de finalisation, pour porter l’objectif contraignant initial de 27% à 42,5% pour la période 2021-2030, avec un objectif indicatif supplémentaire de 2,5% qui devrait permettre d’atteindre 45%.

Les objectifs climat-énergie de l’UE à l’horizon 2020 et 2030

Évolution de l’objectif de l’UE en matière d’émissions de gaz à effet de serre

Source : CCE, 26 juin 2023

 

Évolution de l’objectif de l’UE concernant la part des énergies renouvelables

Source : CCE, 26 juin 2023

 

Évolution de l’objectif de l’UE en matière d’efficacité énergétique, exprimé en termes de consommation énergétique

Source : CCE, 26 juin 2023

 

 

 

 

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