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Engagements climat du secteur privé : la France annonce la création d’un comité directeur sur les données liées au climat

  • Réf. : 2022_06_a05
  • Publié le: 16 juin 2022
  • Date de mise à jour: 16 juin 2022
  • International

Suite à une réunion bilatéral tenue au Palais de l’Elysée, le 3 juin 2022, Emmanuel Macron, Président de la République, et Michael R. Bloomberg, envoyé spécial de l’ONU pour l’ambition et les solutions en faveur du climat, ont annoncé la création d’un Comité directeur sur les données liées au climat (Climate Data Steering Committee ou CDSC). Cette initiative fait suite au lancement, dans le cadre du 5e One Planet Summit, du One Planet Data Hub le 28 octobre 2021 par le Président français dont l’objectif est de recenser, sur une seule et unique plateforme, les informations sur les engagements et actions climat des institutions financières pour contribuer à atteindre l’objectif de zéro émission nette.

 

L’éclairage du Citepa

Une entreprise peut-elle être « neutre en carbone » ?

Alors que la question de la neutralité carbone (nécessaire à atteindre au niveau mondial au cours de la seconde moitié du 21e siècle dans le cadre de la CCNUCC et de l’Accord de Paris) et des objectifs « zéro émission nette » sont de plus en plus débattus au niveau international, la question est aussi discutée au niveau national.

 

Deux guides, parus en 2020, présentaient des éclairages et visent à construire des référentiels crédibles en ce sens, l’un produit dans le cadre de l’initiative Science Based Targets, apportant des bases conceptuelles pour comprendre les enjeux scientifiques et pour traduire l’objectif de neutralité en actions concrètes et transparentes pour une entreprise ; le second produit dans le cadre du projet Net Zero Initiative, proposant un référentiel distinguant clairement : la réduction de ses émissions sur l’ensemble de son périmètre, direct et indirect ; la contribution à réduire des émissions hors de son périmètre ; et la contribution à développer des puits de carbone. Lire notre article sur ces deux rapports.

 

Le 1er avril 2021, l’Ademe a publié à son tour un avis sur la neutralité carbone, en précisant que cette expression doit bien être entendue dans son sens courant comme couvrant toutes les émissions de gaz à effet de serre (GES) et pas uniquement le CO2. L’Ademe propose d’une part d’aider à décrypter les différentes annonces faites, rappelle les définitions et propose ainsi des outils pour « faire le tri entre effets d’annonce et ambitions réelles ». L’Ademe rappelle notamment que l’objectif de neutralité n’a de sens qu’à l’échelle globale. La neutralité carbone « ne peut pas s’appliquer à une autre échelle que la planète ». Chercher à appliquer cet objectif à un Etat, une entreprise, une ville, un produit… engendre des biais méthodologiques et éthiques (non-additionnalité, absence d’équité entre acteurs, effet d’immobilisme).

 

A la place, un Etat, une ville, ou une entreprise ne devrait pas se vouloir « neutre en carbone », mais contribuer à l’objectif de neutralité mondiale en réduction au maximum ses émissions.

 

L’objet du nouveau Comité

Le nouveau Comité directeur sur les données liées au climat vise à rendre plus transparent le suivi des actions et des engagements des entreprises en matière de climat, afin de lutter contre le changement climatique au niveau mondial.

Le Comité sera un groupe international associant des représentants des secteurs public et privé et supervisera la création d’une plateforme publique centralisée de données climat ouvertes, de portée mondiale, qui sera chargée de compiler et normaliser les données relatives à la transition vers l’objectif de zéro émission nette découlant des engagements pris par le secteur privé en faveur du climat.

Cette future plateforme devrait :

  • aider les investisseurs à prendre des décisions éclairées et à disposer des informations nécessaires pour élaborer et réaliser leurs plans de transition ;
  • inciter davantage d’entreprises à publier les données relatives à leurs émissions et à rendre des comptes au sujet de leurs engagements zéro émission nette pris à titre individuel ou à titre collectif, par exemple dans le cadre des campagnes Objectif zéro (Race to Zero) et Business Ambition for 1.5°C (de l’initiative Science Based Targets), ainsi que de l’Alliance financière de Glasgow pour zéro émission nette (Glasgow Financial Alliance for Net Zero ou GFANZ) ;
  • renforcer ainsi la transparence et la responsabilité des entreprises et des institutions financières vis-à-vis de leurs engagements. Il devrait donc être beaucoup plus difficile pour les entreprises de verdir artificiellement leur image, voire faire du greenwashing, sans pour autant réduire concrètement leurs émissions de GES ;
  • permettre aux citoyens de voir quelles entreprises sont à l’avant-garde.

 

Composition

Le nouveau Comité directeur sur les données liées au climat réunira :

  • des représentants d’organisations internationales (Nations Unies, OCDE),
  • des représentants d’organismes de régulation (Conseil de stabilité financière [Financial Stability Board ou FSB] et Fonds monétaire international),
  • des représentants des gouvernements de pays développés et en développement,
  • des prestataires de services de premier plan membres de l’Alliance financière de Glasgow pour zéro émission nette (Bloomberg LP, London Stock Exchange Group, Moody’s, Morningstar, MSCI, S&P Global, etc.) et ce, afin de piloter la conception et la création de la plateforme publique de données ouvertes.

 

Justification de la création du Comité

Aujourd’hui, à la différence des Etats, les acteurs non-étatiques (dont le secteur privé) ne rendent pas compte de manière homogène de leurs engagements vers l’objectif de zéro émission nette, ni des données étayant ces engagements. La plupart des plateformes de données existantes ne sont pas publiques et aucune n’est exhaustive. Cela empêche les organismes de régulation, les investisseurs et les autres acteurs de tenir compte des risques concrets pour le climat et de l’avancée vers l’objectif de zéro émission nette au moment d’évaluer les entreprises et les institutions financières. Le manque de données accessibles et normalisées limite la capacité des marchés et du grand public à lutter contre le changement climatique. Les données ouvertes sont ainsi indispensables au suivi des engagements pris par les entreprises et les institutions financières.

 

L’éclairage du Citepa

Comment mesurer et évaluer les actions climat des entreprises ?

Dès juin 2015, dans le contexte de la première Semaine Entreprises et Climat et du premier sommet Entreprises et Climat, le Citepa avait attiré l’attention sur la question. Extrait de l’édito de CDL n°191 de juin 2015 :

« Tout comme les engagements des Etats sont soumis au MRV, notamment via les inventaires d’émission de GES, il devrait en être de même pour ceux du secteur privé. Se pose alors la question de savoir comment mesurer et évaluer les actions climat des entreprises. Pour garantir la transparence des engagements et faire en sorte qu’ils soient suivis d’effet dans le contexte de l’Accord de Paris, un système mondial de MRV pour le secteur privé pourrait être envisagé sur la base d’une méthodologie commune. Ce ne sera pas tâche aisée ».

 

De même, le sommet des dirigeants mondiaux sur le climat convoqué par l’ancien Secrétaire-Général de l’ONU, Ban Ki-moon, le 23 septembre 2014 à New York a vu naître plusieurs coalitions, alliances et autres partenariats internationaux autour de huit domaines d’action dans une forte mobilisation collective des entreprises, des villes, des ONG et de la société civile (lire notre article de novembre 2014). Comme nous l’avons souligné, « toutes ces annonces resteront sans effet si aucun dispositif de suivi n’est mis en place pour évaluer leur avancée concrète… ».

 

Ces propos gardent toute leur pertinence dans l’actualité rapportée par notre présent article.

 

 

Prochaines étapes

Le Comité directeur sur les données liées au climat se réunira à New York au mois de septembre 2022, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies, et présentera une feuille de route et une architecture pour la création d’une plateforme internationale publique rassemblant des données climatologiques, afin d’obtenir d’ici la COP-27 (6-18 novembre 2022) des données consolidées, normalisées et ouvertes concernant l’économie « zéro émission nette ». 

 

 

Comment le nouveau Comité s’articulera avec le groupe d’experts zéro émission nette mis en place par l’ONU ?

Le 1er novembre 2021, lors du segment de haut niveau de la COP-26 à Glasgow (Ecosse), le Secrétaire-Général de l’ONU, Antonio Guterres, a annoncé dans son discours son intention « de créer, en plus des mécanismes déjà établis par l’Accord de Paris [au titre de l’article 13 sur la transparence] un groupe d’experts dont la mission sera de proposer des normes claires permettant de mesurer et d’analyser les engagements que prennent les acteurs non-étatiques [régions, villes, secteur privé, ONG,…] pour réduire à zéro leurs émissions nettes [de GES] ». Antonio Guterres pointait notamment « le manque de crédibilité et la confusion [qui] règnent, chacun donnant aux mots un sens différent et mesurant les choses différemment ».

Le 31 mars 2022, le Secrétaire-Général de l’ONU a lancé son groupe d’experts de haut niveau sur les engagements zéro émisson nette des acteurs non-étatiques (High-Level Expert Group [HLEG] on Net-Zero Emissions Commitments of Non-State Entities), dont la Présidente est l’ancienne Ministre de l’Environnement et du Climat du Canada, Catherine McKenna. Même si, comme l’a rappelé Antonio Guterres, « les Gouvernements détiennent la part du lion en termes de responsabilité d’atteindre zéro émission nette d’ici 2050, et notamment les pays du G20, […] il faut que rapidement chaque entreprise, investisseur, ville, Etat et région mette en œuvre ses promesses de zéro émission nette…[…]. Nous avons besoin d’engagements ambitieux mais ils doivent être assortis d’actions concrètes et mesurables ». Selon M. Guterres, « des normes en matière de zéro émission nette plus strictes et un dispositif renforcé pour rendre compte de progrès de mise en œuvre vers l’atteinte des engagements pris permettront de réaliser des réductions [de GES] concrètes et immédiates ».

Outre sa Présidente, le HLEG compte 15 membres provenant à la fois des pays industrialisés et des pays en développement (aucun Français

La mission du groupe d’experts est de formuler avant fin 2022 des recommandations pour une meilleure intégrité environnementale dans quatre domaines :

▪ des normes et définitions actuelles pour fixer des objectifs de zéro émission nette,

▪ des critères de crédibilité à appliquer pour évaluer les objectifs fixés ou affichés, ainsi que le suivi et le rapportage de leur mise en œuvre par les acteurs non-étatiques,

▪ des processus pour que la communauté internationale puisse vérifier et évaluer de façon transparente les progrès accomplis par les acteurs non-étatiques vers la réalisation de leurs engagements zéro émission nette et dans la mise en œuvre de leurs plans de décarbonation,

▪ une feuille de route pour traduire ces normes et critères en réglementation internationale et nationale dans le contexte d’une transition juste.

Le HLEG a tenu sa première réunion le 27 avril 2022.

A noter enfin que, lors d’un événement de haut niveau sur l’action climat mondiale (« Racing to a better world ») organisé par la CCNUCC le 11 novembre 2021 dans le cadre de la COP-26, les deux champions de haut niveau pour le climat (High-level Climate Champions) à ce moment-là, Nigel Topping (champion britannique pour la COP-26) et Gonzalo Muñoz (champion chilien pour la COP-25), ont rendu compte de leurs travaux entre la COP-25 et la COP-26 pour renforcer l’intégrité et suivre les progrès de la mise en œuvre des engagements climat pris par les entreprises, les investisseurs, les villes, les régions et les Etats et provinces fédérés. Ils ont également publié une synthèse de ces travaux le 11 novembre 2021. Les deux champions pour le climat ont défini comme priorité du programme des acteurs non-étatiques post-COP-26 : la réalisation des engagements pris et la nécessité de rendre des comptes (« accountability » en anglais).

Reste à savoir enfin si les travaux de ce nouveau groupe d’experts et ceux du Comité directeur sur les données liées au climat vont être complémentaires ou vont créer deux plateformes redondantes.

En savoir plus

La page du site de l’ONU consacrée au HLEG

Communiqué de l’ONU du 31 mars 2022

Cahier des charges du HLEG

La page du site de l’ONU consacrée à l’objectif de zéro émission nette

 

En savoir plus

Communiqué de l’Elysée

 

 

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