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Contentieux climat de Grande-Synthe : le Conseil d’Etat contraint le Gouvernement à adopter des mesures de réduction supplémentaires avant fin mars 2022

  • Réf. : 2021_07_a01
  • Publié le: 7 juillet 2021
  • Date de mise à jour: 12 juillet 2021
  • France
  • UE

Dans une décision historique rendue le 1er juillet 2021, le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative publique française, a statué sur une requête déposée fin 2018 par la commune de Grande-Synthe (Nord) contre le Gouvernement au motif de l’insuffisance des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) mises en œuvre pour respecter les objectifs nationaux de la France à l’horizon 2030. Le Citepa vous propose une synthèse de cette décision et un retour sur les faits ayant mené à cette décision.

 

2018-2019 : refus du Gouvernement de répondre à la demande de mesures supplémentaires et saisie du Conseil d’Etat

Fin 2018, la commune de Grande-Synthe et son maire ont demandé au Président de la République et au Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour que la France respecte ses engagements en termes de réduction des émissions de GES, pris dans le cadre de l’Accord de Paris et dans le cadre de ses objectifs nationaux (et notamment les budgets carbone de la Stratégie nationale bas-carbone, SNBC). Un refus du Président de la République et du Gouvernement leur a été opposé.

Soutenus par d’autres villes (Paris, Grenoble) et ONG (Oxfam France, Greenpeace France, Notre Affaire à Tous, Fondation Nicolas Hulot), ils ont alors saisi le Conseil d’État qui a dû, pour la première fois, se prononcer sur la question des engagements climatiques de la France.

 

2020 : première décision du Conseil d’Etat demandant au Gouvernement de justifier son action climat

Le Conseil d’Etat s’est prononcé le 19 novembre 2020 via une décision. Sur la demande des requérants « que soient prises toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national de manière à respecter a minima les engagements consentis par la France au niveau international et national », le Conseil d’Etat a sursis à statuer en attendant que l’Etat prenne toutes les mesures utiles permettant de réduire plus efficacement les émissions de GES. Avant de statuer définitivement sur cette requête, le Conseil d’État a donc demandé au Gouvernement de justifier, dans un délai de trois mois (soit avant le 19 février 2021), que la trajectoire de réduction des émissions de GES pour 2030 (-40 % par rapport à 1990) pourra être respectée sans qu’il soit nécessaire de prendre des mesures supplémentaires.

 

Janvier-juin 2021 : analyse des éléments transmis par le Gouvernement

Après avoir reçu, le 22 janvier 2021, du Ministère de la Transition écologique (MTE) un mémoire justifiant que les mesures prises par le Gouvernement sont suffisantes pour atteindre cet objectif de -40%, le Conseil d’État a indiqué dans un communiqué, publié le 22 février 2021, les suites qu’il comptait donner à ce contentieux et a précisé le calendrier à venir. Le Conseil d’État a aussi transmis le mémoire du MTE aux associations requérantes ou intervenantes pour recueillir leurs observations.

En avril 2021, la section du contentieux du Conseil d’État a ouvert la phase d’instruction avec procédure contradictoire sur la base de l’ensemble des éléments reçus. Le MTE lui avait transmis quatre nouveaux mémoires (enregistrés le 18 février, le 19 mars, le 27 avril et le 31 mai 2021). Le 11 juin 2021, une nouvelle audience publique s’est tenue au Conseil d’État, en présence des collectivités, des associations requérantes et intervenantes ainsi que des représentants du Gouvernement, déjà présents lors de l’audience du 19 novembre 2020. Le rapporteur public a conclu que le Conseil d’Etat devait enjoindre au Gouvernement de prendre sous neuf mois toutes les mesures utiles permettant de respecter ses engagements.

Lire notre article « Contentieux climat du Grande Synthe : le Conseil d’État précise les suites qu’il compte donner après la justification de l’Etat que ses mesures sont suffisantes pour atteindre l’objectif GES de -40% en 2030 », publié le 26 février 2021

 

1er juillet 2021 : seconde décision du Conseil d’Etat demandant au Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires avant le 31 mars 2022

S’appuyant sur les conclusions du rapporteur public, le Conseil d’Etat a statué le 1er juillet 2021 sur ce contentieux dans une décision inédite. Il a fait droit à la demande des requérants, en observant :

  • que, sur la base des éléments et documents transmis par le MTE (et notamment les données d’émissions de GES pour 2019, élaborées par le Citepa et soumises au MTE), le niveau d’émissions en 2019 (441 Mt CO2e) respecte le plafond indicatif annuel du 2e budget carbone (fixé à 443 MtCO2e, cf. décret 2020-457 du 21 avril 2020) ;
  • que la baisse constatée des émissions entre 2018 et 2019 (-0,9%) apparaît toutefois limitée alors que le 1er budget carbone (2015-2018) visait une diminution de l’ordre 1,9% par an et que le 3e budget carbone (2024-2028) prévoit, selon la SNBC révisée par le décret, une réduction de 3% en moyenne par an, dès 2025 ;
  • que si, ainsi que l’a fait valoir le MTE, les données provisoires pour 2020 (élaborées par le Citepa et soumises au MTE) mettent en évidence une baisse sensible du niveau des émissions (environ 401 Mt CO2e), il ressort des pièces du dossier que cette baisse est intervenue dans le contexte des mesures de gestion de la crise sanitaire causée par la pandémie de Covid-19 prises depuis mars 2020, qui ont conduit à une forte réduction du niveau d’activité et, par voie de conséquence, du niveau des émissions de GES. Dans ce contexte, cette réduction pour 2020 apparait néanmoins, comme  » transitoire  » et  » sujette à des rebonds « , et ne peut, en conséquence, être regardée comme suffisant à établir une évolution des émissions de GES respectant la trajectoire fixée pour atteindre les objectifs de 2030 ;
  • que si le 2e budget carbone, tel qu’il est issu de la révision de la SNBC par le décret du 21 avril 2020, se borne à prévoir une diminution des émissions de GES de l’ordre de 6% sur la période de cinq ans concernée (2019-2023), une diminution de l’ordre de 12% est prévue sur la période de cinq ans suivante (2024-2028), correspondant au 3e budget carbone, afin d’atteindre l’objectif de réduction 2030 de -40% de la France. Dans ce contexte, sur la base de plusieurs rapports et avis publiés entre 2019 et 2021 par l’Autorité environnementale (au sein du CGEDD, avis du 6 mars 2019), le Conseil économique, social et environnemental (CESE, avis du 19 avril 2019) et le Haut Conseil pour le climat (HCC, 2e rapport annuel du 8 juillet 2020), il ressort que cette nouvelle trajectoire de diminution des émissions de GES implique l’adoption de mesures supplémentaires à court terme pour obtenir l’accélération de la réduction des émissions visée à partir de 2023 et ce, alors même que l’UE a rehaussé son objectif de -40% à -55% (suite à son adoption formelle par le Parlement européen et le Conseil respectivement les 24 et 28 juin 2021) ;
  • que ce constat de la nécessité d’une accentuation des efforts pour atteindre les objectifs fixés en 2030 et de l’impossibilité, en l’état des mesures adoptées à ce jour, d’y parvenir n’est pas sérieusement contesté par le Gouvernement qui met en avant les différentes mesures prévues par le projet de loi Climat et Résilience (lire notre article). En d’autres termes, le Gouvernement admet ainsi que les mesures déjà en vigueur ne permettent pas d’atteindre l’objectif 2030 de -40%, puisqu’il compte sur les mesures prévues par le projet de loi Climat et Résilience pour l’atteindre.

En conclusion, le Conseil d’Etat fait droit à la demande des requérants et enjoint au Premier Ministre de prendre toutes mesures utiles avant le 31 mars 2022 pour infléchir la courbe des émissions de GES produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec l’objectif national 2030 de la France de -40% et l’objectif national assigné à la France de -37% (base 2005) pour les secteurs hors SEQE fixé par le règlement dit ESR (2018/842). Le Gouvernement dispose donc de neuf mois pour adopter des mesures de réduction supplémentaires à court terme pour atteindre la réduction de 12% sur la période 2024-2028 fixée par le 3e budget carbone. Au terme de ce délai, le Conseil d’Etat pourra décider de prononcer une astreinte (amende) à l’encontre de l’Etat.

Enfin, le Conseil d’Etat a condamné l’Etat à verser 5 000 € à la commune de Grande-Synthe.

 

Le lien avec un autre contentieux climat : l’Affaire du Siècle

Cette décision du Conseil d’Etat était très attendue par les quatre ONG de « l’Affaire du siècle » qui ont introduit en mars 2019 une requête devant le tribunal de Paris (lire notre article). Celui-ci avait rendu son premier jugement sur l’affaire le 3 février 2021 mais avait sursis pour enjoindre à l’Etat de prendre de nouvelles mesures de réduction, en ordonnant un supplément d’instruction de deux mois (soit jusque début avril 2021), dans l’attente justement de la décision du Conseil du Conseil d’Etat dans l’affaire de Grande-Synthe. Le second jugement, définitif, dans le cadre de « l’Affaire du Siècle » devrait intervenir prochainement.

 

 

Les contentieux climat se multiplient, notamment en Europe 

En France, le recours de Grande-Synthe, et celui de l’Affaire du siècle (lire notre article), s’inscrivent dans un contexte plus large où les contentieux climat prennent de plus en plus d’ampleur à travers le monde, et notamment en Europe (Allemagne, Pays-Bas, Belgique,…).

 

Allemagne 

Quatre plaintes avaient été déposées par des associations environnementales, au motif que les objectifs de réduction nationaux des émissions de GES fixés (objectif de -55% entre 1990 et 2030 et trajectoire de réduction fixés dans la loi fédérale sur la protection du climat du 12 décembre 2019 (Bundes-Klimaschutzgesetz ou KSG)) ne permettait pas de lutter suffisamment contre le réchauffement climatique, en vertu de la Constitution allemande (Grundgesetz, article 20a). Dans un jugement rendu le 29 avril 2021, la Cour constitutionnelle fédérale allemande (Bundesverfassungsgericht) a alors partiellement fait aboutir ces plaintes, en rejetant le 29 avril 2021, les objectifs de la loi climat en statuant que cette loi n’était « pas conforme aux droits fondamentaux » des jeunes générations, et qu’elle reportait de trop gros efforts à la période post-2030. Elle a ainsi demandé au Gouvernement de renforcer l’action pré-2030. Six jours plus tard, le 5 mai 2021, le gouvernement allemand, via le Ministre des Finances et la Ministre de l’Environnement, a annoncé, rehausser son objectif 2030 de -55% à -65%, fixer un objectif intermédiaire de -88% pour 2040 et viser la neutralité carbone dès 2045 et non plus en 2050. Un projet de loi modifiant la loi fédérale sur la protection du climat pour fixer formellement ces nouveaux objectifs de réduction (base 1990) a été présenté en Conseil des Ministres le 12 mai 2021 (lire notre article).

 

Pays-Bas 

Un groupe environnemental néerlandais, la Fondation Urgenda, et 900 citoyens néerlandais ont intenté un procès au gouvernement néerlandais pour l’obliger à faire davantage pour prévenir le changement climatique mondial. Le 24 juin 2015, le tribunal de grande instance (District Court en anglais ou Gerechtshof en néerlandais) de La Haye a ordonné à l’État néerlandais de réduire, d’ici à 2020, ses émissions de GES de 25% par rapport au niveau de 1990, estimant que l’objectif de réduction existant du Gouvernement néerlandais (-17%) était insuffisant pour que l’État apporte sa juste contribution à l’objectif mondial de +2°C. Le tribunal a conclu que l’État a le devoir de prendre des mesures de réduction en raison de « la gravité des conséquences du changement climatique et du risque élevé qu’il se produise ». Il s’agit de la première décision au monde d’un tribunal qui ordonne à un État de réduire les émissions de GES pour des raisons autres que des obligations issues d’un acte législatif ou réglementaire. Cette décision a ainsi imposé une obligation juridique au Gouvernement de réduire les émissions du pays.

Le Gouvernement néerlandais a ensuite soumis 29 motifs d’appel, suite à quoi Urgenda a introduit un appel incident.

Le 9 octobre 2018, la Cour d’appel de La Haye a confirmé le jugement du tribunal de grande instance, concluant qu’en ne réduisant pas les émissions de GES d’au moins 25 % d’ici fin 2020, le Gouvernement néerlandais agit illégalement en violation de son devoir de diligence en vertu des articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). La Cour a reconnu la demande d’Urgenda au titre de l’article 2 de la CEDH, qui protège le droit à la vie, et de l’article 8 de la CEDH, qui protège le droit à la vie privée, à la vie familiale, au domicile et à la correspondance. La Cour a déterminé que le Gouvernement néerlandais a l’obligation, en vertu de la CEDH, de protéger ces droits contre la menace réelle du changement climatique.

Le 12 avril 2019, le Gouvernement néerlandais a fait appel (appel en cassation) de la décision auprès de la Cour suprême (Hoge Raad) des Pays-Bas qui a examiné l’appel le 24 mai 2019. Le 13 septembre 2019, l’avocat et le procureur général (des officiers judiciaires indépendants) ont émis un avis formel recommandant à la Cour suprême de confirmer la décision.

Le 20 décembre 2019, la Cour suprême des Pays-Bas a confirmé la décision au regard des articles 2 et 8 de la CEDH.

Voir les étapes clés de ce recours en plus grand détail (source : base de données du Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment).

 

Belgique

Le 17 juin 2021, le tribunal de 1ère instance en Belgique a jugé que l’État fédéral belge n’a pas agi de manière suffisamment prudente et diligente concernant la lutte contre le changement climatique et qu’il a dès lors enfreint l’article 1382 du Code civil sur le devoir de diligence responsable (voir jugement). Le tribunal a également considéré que les droits à la vie et à la vie privé des plaignants, protégés par les articles 2 et 8 de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), étaient violés. Cependant, et au nom du principe de la séparation de pouvoirs, le tribunal a estimé qu’il n’était pas de sa compétence d’enjoindre au gouvernement d’agir de manière concrète (source : IDDRI, 30 juin 2021).

 

En savoir plus

  • IDDRI (2021) Justice climatique : nouvelles tendances, nouvelles opportunités, 30 juin 2021. Consulter
  • The Geneva Association (2021). Climate change litigation – Insights into the evolving landscape. 12 avril 2021. Consulter le rapport et la synthèse
  • Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment/Columbia Law School/Centre for Climate Change Economics and Policy (2021). Global Trends in Climate Change Litigation : 2021 snapshot, Policy report. 2 juillet 2021. Consulter
  • PNUE (2021). Global Climate Litigation Report: 2020 Status Review. 26 janvier 2021. Consulter

 

 

En savoir plus

Communiqué du Conseil d’Etat

Décision du Conseil d’Etat

Analyse de la chaîne Public Sénat

Analyse d’Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l’environnement, 1er juillet 2021

 

 

 

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